La dispute du Saint Sacrement, palais du Vatican |
Sermon pour la fête Dieu par Saint Thomas d’Aquin,
Docteur des Docteurs
de l'Eglise, prononcé au Consistoire, devant le Pape et les Cardinaux
(traduction du RP. Sertillanges in Les plus belles pages de saint Thomas d'Aquin)
Saint Thomas d'Aquin, basilique Saint-Etienne de Jérusalem |
Révérendissimes
Pères, les souvenirs pleins d'allégresse
qu'évoque la solennité de ce jour nous invitent à entourer de joyeuses louanges
le Corps très saint du Christ. Quoi de plus doux, quoi de plus suave au
cœur des élus que de chanter les trésors de la divine charité et d'exalter
l'ardeur d'un amour sans mesure ? C'est qu'à
la table de la grâce nouvelle, tous les jours, par les mains du prêtre, Dieu
donne à ses enfants et aux héritiers de son royaume sa chair en nourriture et
son sang en breuvage. Ce sont là tes œuvres admirables, ô Christ, toi dont
la puissance est infinie et la bonté sans bornes ! Dans cet aliment sacré et ce
pain super-substantiel qu'annonçaient les prodiges antiques, tu as trouvé le
secret d'une union merveilleuse et auguste : la chair immaculée de Jésus-Christ, l'Agneau sans tache, devient le
remède de ceux que le fruit défendu avait rendus malades et qui avaient perdu
l'éternelle et immarcescible couronne.
Le triomphe de l'Eucharistie |
O
prodige qu'on ne peut trop exalter ! Effusion permanente de la bonté divine et
d'une miséricorde sans mesure ! Dans ce
sacrement, consommation de tous les sacrifices, Il demeure, ce Dieu,
indéfectiblement avec nous ; Il y est pour jusqu'à la fin des siècles ; Il
donne aux fils d'adoption le pain des anges et les enivre de l'amour qu'on doit
aux enfants.
O
humilité singulière, délices de Dieu, et que le Christ pratique après l'avoir
prêchée lui-même ! Il ne se refuse à
personne ; Il ne craint pas de prendre pour habitacle même un cœur souillé.
O
pureté, qui semblable à celle du soleil n'est ternie par aucune fange et ne
craint nulle contagion, mais qui gagne les âmes et en fait disparaître toute
tache !
O
nourriture des Esprits bienheureux, qui sans cesse nous renouvelle et jamais ne
s'épuise ! Tu n'es ni brisée, ni divisée, ni transformée ; mais, gardant ton
intégrité et ta nature, tu nous rappelles le buisson antique, la farine et l'huile miraculeuses qui ne
diminuaient pas.
O
Sacrement admirable, où Dieu se cache et où notre Moïse à nous se couvre le
visage du manteau de ses œuvres, objet de louanges dans toutes nos générations
! Par la vertu des paroles sacrées,
instrument de la puissance divine, les substances symboliques sont changées en
chair et en sang ; les espèces sacramentelles subsistent sans support, et
pourtant nulle loi naturelle n'a souffert violence. Par la vertu de la
consécration, un seul Christ, parfait et intègre, se trouve en divers endroits,
comme une parole se communique, toujours identique à elle-même. Quand l'hostie se divise, Jésus s'y trouve
comme un même visage dans les fragments d'un miroir brisé. Les fidèles
l'offrent à Dieu sous les deux espèces, quoiqu'il soit tout entier sous chacune
d'elles, et c'est à bon droit qu'on agit ainsi, car ce sacrement donne aux hommes le double salut du corps et de l'Âme, et
il rappelle l'amertume d'une double Passion.
O
Vertu ineffable du Sacrement, qui embrase notre cœur du feu de la charité et
marque du sang de l'Agneau immaculé, au-dessus de leurs deux battants, les linteaux de nos portes !
O
véritable viatique de notre exil militant, soutien
des voyageurs, force des faibles, antidote des infirmités, accroissement des
vertus, abondance de la grâce et purification des vices, réfection des âmes,
vie des débiles et union des membres dans l'organisme unique de la charité !
O Sacrement ineffable de la foi,
Tu augmentes notre charité et nous communiques l'espérance ; soutien de
l'Eglise, Tu éteins la concupiscence et parfais le corps mystique du Christ.
Voici la substance de l'arbre de vie, ô Seigneur Jésus !
Messe papale en la Basilique Saint-Jean du Latran, Cathédrale de NS Père le Pape |
O Pasteur et nourriture, prêtre et
sacrifice, aliment et breuvage des élus, pain vivant des esprits, remède à nos
faiblesses quotidiennes, festin suave, source de tout renouveau !
O
sacrifice de louange et de justice, holocauste de la nouvelle grâce, repas
excellent, non de volailles ou de taureaux, mais de viandes plus succulentes et
de ce vin délicieux qui renouvelle les amis de Dieu et enivre ses élus
!
O
table de bénédiction, table de proposition garnie d'une nourriture
substantielle ! Table immense où tout est prodige étonnant ! Table plus
douce que toute douceur, plus délectable que toute saveur, plus suave que tout
parfum, plus magnifique que toute parure, plus succulente que toute nourriture
! Table que le Christ a préparée à ses amis et commensaux, que le père de
famille sert à son fils de retour, après le repas de l'agneau symbolique. Vous
êtes le bain sacré que figuraient les antiques piscines, ô notre Pâque,
immolation du Christ, et vous exigez la conversion du vice à la vertu, donnant
ainsi la liberté aux Hébreux de l'esprit.
O nourriture qui rassasie et ne dégoûte
point, qui demande la mastication de la foi, le goût de la dévotion, l'union de
la charité, et que divise non les dents du corps, mais le courage de la
croyance !
O
viatique de notre pèlerinage, qui attire les voyageurs sur les sommets des
vertus !
O pain vivant, engendré au ciel, fermenté
dans le sein de la Vierge, cuit sur le gibet de la croix, déposé sur l'autel,
caché sous les espèces sacramentelles, confirme mon cœur dans le bien et assure
ses pas dans le chemin de la vie ; réjouis mon âme, purifie mes pensées. Voici le pain, le vrai pain, consommé, mais
non consumé, mangé, mais non transformé ; il assimile et il ne s'assimile pas ;
il renouvelle sans s'épuiser ; il perfectionne et conduit au salut ; il donne
la vie, confère la grâce, remet les péchés, affaiblit la concupiscence ; il nourrit
les âmes fidèles, éclaire l'intelligence, enflamme la volonté, fait disparaître
les défauts, élève les désirs.
Le pressoir mystique, vitrail de l'abbatiale Saint-Taurin d'Evreux |
O
calice de toutes suavités, où s'enivrent les âmes généreuses ! O calice
brûlant, calice qui tourne au sang du Christ ; sceau du Nouveau Testament,
chasse le vieux levain, remplis notre intime esprit, pour que nous soyons une
pâte nouvelle, et que nous mangions les azymes de la sincérité et de la vérité.
O
vrai repas de Salomon, cénacle de toute consolation, soutien dans la présente
tribulation, aliment de joie et gage de la félicité éternelle, foyer de
l'unité, source de vertu et de douceur, symbole de sainteté ! La
petitesse de l'hostie ne signifie-t-elle pas l'humilité, sa rondeur
l'obéissance parfaite, sa minceur l'économie vertueuse, sa blancheur la pureté,
l'absence de levain la bienveillance, sa cuisson la patience et la charité,
l'inscription qu'elle porte la discrétion spirituelle, les espèces qui
demeurent sa permanence, sa circonférence la perfection consommée ?
O
pain vivifiant, ô azyme, siège caché de la toute-puissance ! Sous de
modestes espèces visibles se cachent d'étonnantes et sublimes
réalités.
Saint Sacrifice de la Messe. Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. |
O
Corps, ô Ame, et Toi de tous deux inséparable, ô Substance Divine ! De ce dont on chante les grandeurs dans ce
sacrement auguste, ô bon Jésus, seules, pour la foi, après la consécration, les
espèces sacramentelles demeurent ; ce qui est mangé sans être assimilé ne
souffre ni augmentation ni diminution ; ce que tous reçoivent en entier, mille
ne le possèdent pas plus qu'un seul, un seul le possède autant que mille. Ce
que contiennent tous les autels, les parcelles intactes ou brisées le
contiennent toutes ; ta chair est mangée véritablement, c'est véritablement ton
sang que nous buvons. Et tu es ici le prêtre, et tu es aussi l'hostie, et les
saints Anges sont là présents, qui exaltent ta magnificence et louent ta
souveraine majesté. C'est là ta puissance, Seigneur, qui seule opère de
grandes choses ; elle dépasse tout sentiment et toute compréhension, tout
génie, toute raison et toute imagination. C'est Toi qui as institué et confié à
tes disciples ce sacrement où tout est miracle.
N'approche donc pas de cette table
redoutable sans une dévotion respectueuse et un fervent amour, homme ! Pleure
tes péchés et souviens-toi de la Passion. Car l'Agneau
immaculé veut une âme immaculée qui le reçoive comme un pur azyme.
Recours au bain de la confession ;
que le fondement de la foi te porte ; que l'incendie de la charité te consume ;
que la douleur de la Passion te pénètre ; qu'un droit jugement t'éprouve.
Approche de la table du Seigneur,
de cette table magnifique et puissante, de telle sorte que tu parviennes un
jour aux noces du véritable Agneau, là où nous serons enivrés de l'abondance de
la maison de Dieu ; là où nous verrons le Roi de gloire, le Dieu des vertus
dans toute sa beauté ; là où nous goûterons la Pain vivant dans le royaume du
Père, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont la puissance et l'empire
demeurent jusqu'à la fin des siècles. Amen.
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