Armoiries de S.Em.R. le Cardinal Marc Ouellet |
Son Eminence le
Cardinal Ouellet : communion spirituelle et communion sacramentelle - 2e
partie
II – « Si
la communion spirituelle est possible pour les divorcés remariés alors pourquoi
pas la communion sacramentelle ? »
La question fut
posée dans l’aula synodale lors de la discussion sur l’accès aux sacrements de pénitence et
d’eucharistie pour les personnes divorcées et remariées. S’il est possible
en effet pour ces personnes de retrouver l’état de grâce par le repentir
sincère et donc la possibilité de la communion spirituelle, alors pourquoi ne
pas leur permettre aussi la communion sacramentelle? Si l’obstacle de la
situation objective d’adultère n’empêche pas nécessairement la communion
spirituelle alors la communion sacramentelle n’est-elle pas aussi souhaitable?
Nous savons bien que l’absence d’état de
grâce due au péché mortel vicie la communion sacramentelle et la rend même sacrilège
dans l’opinion de saint Paul reprise par saint Thomas [1] et le Concile de Trente [2]. Mais au point où nous en sommes et à l’heure du
Jubilé de la miséricorde, l’Église catholique serait-elle capable d’une
amnistie générale envers tant de couples et de familles en situation
irrégulière qui voudraient normaliser leur vie sacramentelle?
Le Cardinal Marc Ouellet célébrant la sainte Messe, la divine Eucharistie où le Christ se donne à nous dans le Sacrement de son Alliance. |
Depuis la réforme liturgique du Concile Vatican II qui
a heureusement restauré la participation active des fidèles à la liturgie, nous
constatons malheureusement une certaine éclipse du discours sur la communion
spirituelle. En revanche,
on redécouvre le lien très étroit entre la communion sacramentelle et la
communion ecclésiale. Cette redécouverte est un vrai progrès mais à la
condition de cultiver le sens spirituel profond des sacrements. On observe en
effet la tendance très diffuse chez les fidèles à se présenter à la communion
sacramentelle sans une claire conscience des conditions spirituelles requises pour
recevoir fructueusement le sacrement. Chez beaucoup, on comprend la communion
sacramentelle comme une participation active à la liturgie plutôt que comme un
signe de communion au Corps du Christ en tant que membre de l’Église. L’abstention de communier comporte alors un
vague sentiment d’exclusion voire de discrimination. D’où un désir de
participation complète qui ne soit pas frustré par une discipline héritée d’un
passé jugé révolu.
La position de l’Église catholique à l’égard des
personnes divorcées et remariées face à la communion eucharistique demeure
toutefois claire et constante dans la tradition [3] même si
leur situation irrégulière n’empêche pas la communion spirituelle au sacrement. Avant même le Concile Vatican II, un commentateur de
saint Thomas d’Aquin évoquait leur cas en ces termes: « Le pasteur miséricordieux devra leur
enseigner l’importance et l’efficacité de la communion in voto pour procurer des grâces
eucharistiques. »[4] Il
précisait ainsi l’enseignement de saint Thomas qui parle équivalemment de
communion in voto et de « communion
spirituelle » : « Elle est
spirituelle parce qu’elle fait atteindre la res du sacrement (l’effet), mais elle est elle-même
sacramentelle parce qu’elle fait atteindre cette res (union au Christ) par un votum (désir) dont l’objet propre est le sacramentum (manducation) lui-même
bien que sa réalisation rituelle soit actuellement impossible. » [5]
Voici le Corps du Christ, Epoux de nos âmes. Sommes-nous en communion avec Lui, Lui qui se donne tout entier à nous ? |
La raison profonde de la discipline de l’Église vient
du lien très intime entre l’alliance conjugale et la signification nuptiale de
la communion eucharistique : « le lien conjugal est intrinsèquement relié à
l’unité eucharistique entre le Christ époux et l’Église épouse » (SC,
27, cf. Eph. 5, 31-32). Cette
affirmation de l’Exhortation apostolique Sacramentum caritatis assume
l’approfondissement théologique de saint Jean-Paul II sur le mariage et dans le cas des divorcés remariés reconfirme la pratique pastorale de
l’Église « parce que leur état et
leur condition de vie contredisent objectivement l’union d’amour entre le
Christ et l’Église, qui est signifiée et mise en œuvre dans l’Eucharistie »
(SC, 29).
L’alliance conjugale est en effet le signe sacramentel
du don du Christ époux à l’Église épouse, don actualisé dans la célébration de
l’Eucharistie et ratifié publiquement par la manducation des saintes espèces au
banquet de la nouvelle Alliance : « Prenez et mangez, ceci est mon corps »
« Amen! ». Si le signe
sacramentel du mariage indissoluble est détruit par la rupture de la première
union et l’entrée dans une nouvelle union objectivement adultère, comment les
personnes divorcées remariées peuvent-elles témoigner publiquement et en vérité
de la signification nuptiale de la communion eucharistique? Même une conversion authentique fondée sur
un vrai repentir ne peut enlever l’obstacle d’une situation objective qui
contredit la vérité des sacrements du mariage et de l’Eucharistie. C’est
pourquoi l’Église demande aux divorcés remariés de s’abstenir de communier
sacramentellement, tout en les invitant à pratiquer la communion in
voto, la communion spirituelle au sens que nous avons défini précédemment.
La limite qui
leur est imposée n’est pas tributaire
d’un manque de miséricorde qu’on aurait dû surmonter il y a bien longtemps
dans l’histoire; elle tient à la nature
même de l’Église et à la signification des sacrements dans l’économie du
salut. L’ordre sacramentel exprime en effet « l’amour sponsal du Christ et de l’Église » (SC, 27), le
baptême étant le « le bain de noces
(cf. Ep 5, 26-27) qui précède le repas de
noces, l’Eucharistie » [6]. Le mariage sacramentel étant « signe efficace, sacrement de l’alliance du
Christ et de l’Église » (ibid.) là où l’alliance conjugale est rompue, le respect de l’Alliance avec le
Christ impose l’abstention de la communion sacramentelle et encourage l’humble
prière de désir du sacrement qui ne laisse pas le fidèle sans fruit comme nous
l’avons dit. Si on désire la communion au Corps du Christ époux avec lequel
on est objectivement en rupture du fait d’une autre union, on ne peut pas dire
Amen à la signification d’unité dans la fidélité que suppose le geste de la
communion sacramentelle. Par conséquent,
on s’abstient de communier sacramentellement pour ne pas entraîner l’Époux dans
un faux témoignage, ce qui est une offense à son égard. Bref, la limite
imposée par l’Église au long des siècles aux personnes divorcées et remariées n’est pas le fruit d’un juridisme ou d’une
tradition sclérosée, elle incarne son obéissance à l’Esprit Saint qui fait
mieux comprendre de nos jours la dimension ecclésiale des sacrements et la
nature profonde de l’Église comme épouse et Corps du Christ.
Le Sacrement du Mariage, signe de l'Alliance entre Dieu et les hommes. |
La communion
eucharistique est à comprendre dans ce contexte comme la communion
sacramentelle d’un membre qui engage non seulement sa personne mais aussi
l’Église épouse unie au Christ par l’Alliance. L’Église vit son rapport d’Alliance avec le Christ à travers le don des
sacrements qui sont des actes du Christ la renouvelant, la nourrissant,
l’augmentant et l’animant comme son Corps et son épouse. Chacun de ses
fidèles reçoit la communion eucharistique comme membre d’un même Corps, qui
intensifie son union au Christ dans la mesure où ses sentiments et sa condition
de vie reflètent la fidélité de l’Église épouse à l’égard du Christ époux.
On comprend
ainsi pourquoi la communion spirituelle est possible sans que la communion
sacramentelle ne le soit. La miséricorde
de Dieu peut restaurer la communion spirituelle dans les âmes repentantes,
tout en maintenant une limite à la communion sacramentelle, car elle s’adapte à
la faiblesse des pécheurs sans toutefois promouvoir cette faiblesse aux dépens
de la fidélité des autres membres du peuple de Dieu [7]. La communion
sacramentelle des divorcés remariés nivellerait la différence entre la fidélité
et l’infidélité au don total et définitif de soi-même. L’Église adopte
cette même attitude par amour et respect de son époux divin, tout en
s’efforçant de libérer juridiquement et pastoralement les personnes qui sont
capables de mettre fin à leur situation irrégulière. En ce sens, des
accélérations et des assouplissements de procédure sont souhaités et
heureusement pressentis à cet effet [8].
Mais pour les
cas d’échec d’un mariage sacramentel authentique, l’annonce de la miséricorde
ne peut tenir un double discours, affirmant d’une part l’indissolubilité du
mariage sacramentel et ouvrant d’autre part des parcours de pénitence
conduisant à la communion sacramentelle. Une
pastorale cohérente à l’égard des personnes divorcées et remariées doit
explorer plus à fond la voie de la communion spirituelle en explicitant son
rapport étroit à la communion eucharistique et à la communion ecclésiale. Ces
personnes restent membres à part entière de la communauté. Elles peuvent y
trouver une croissance en sainteté dans leur état par l’exercice de la charité,
la fraternité et la participation active à la liturgie.
Par ailleurs,
il convient de rappeler que la
miséricorde divine déborde l’ordre sacramentel et elle opère dans les cœurs
bien au-delà des obstacles observés à vues humaines. Le facteur décisif
pour retrouver l’état de grâce avec Dieu n’est pas d’abord le signe de
l’absolution des fautes ou de la communion eucharistique, mais bien le repentir sincère et un chemin de
conversion qui ont un effet justificateur même quand les conditions
objectives des personnes ne peuvent être modifiées. C’est le cas de beaucoup de
personnes divorcées et remariées qui gardent en leur cœur un désir intense des
sacrements exprimé par leur participation active à la vie de la communauté. Il
importe de les accompagner et de leur faire découvrir la valeur positive de
leur union à Dieu et de leur témoignage sacramentel, imparfait mais authentique.
On pourrait
objecter que cette position ne tient pas suffisamment compte du caractère
médicinal de l’Eucharistie, qu’elle risque de dévaloriser l’économie
sacramentelle, qu’elle opère une séparation entre la vie intérieure et la vie
publique, voire qu’elle manque l’occasion d’un rapprochement œcuménique avec
les orthodoxes. En réponse à ces objections, nous devons comprendre que l’abstention de la communion est aussi une
manière de confesser publiquement la valeur du sacrement, et que cette forme de
participation par abstention et communion spirituelle peut favoriser un
processus de profonde conversion et guérison, beaucoup plus qu’une volonté
de communier à tout prix, même au prix de contraindre le Seigneur à contredire
son propre témoignage. La communion
recherchée avec le Seigneur sera davantage obtenue sous le mode du sacrifice et
du désir qui ne comportent pas de contre témoignage.
Bref, il faut
rappeler que les sacrements ne sont pas
seulement des moyens de salut pour les individus, ils sont des gestes
ecclésiaux qui appartiennent au témoignage public de l’Église en tant qu’épouse
du Christ. Celle-ci enseigne à ses enfants à faire totalement confiance à
la miséricorde divine pour leur salut. Elle les entraîne aussi dans son propre respect pour le témoignage d’amour de
l’Époux qui s’exprime corporellement dans l’Eucharistie, respect qui serait contredit par une
amnistie générale.
La plénitude de
la Miséricorde n’est pas seulement dans le fait que tout, absolument tout, soit
pardonné dans le Christ, mais dans le fait que nous, pauvres pécheurs
pardonnés, soyons des partenaires authentiques du Dieu de l’Alliance. L’Esprit Saint fait progresser l’Église
depuis des siècles dans l’intelligence du mystère de l’Alliance, dont le
rapport entre l’Eucharistie et le mariage fait l’objet de nos jours d’un
approfondissement salutaire. Même ceux et celles qui vivent en situation
irrégulière peuvent expérimenter la divine miséricorde dans un cadre
sacramentel approprié qui respecte le mystère de l’Alliance : « Amour
et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent. » (Ps 84,
11).
+ Marc Cardinal
Ouellet
__________________
[1] IIIa pars,
q. 80, a. 4.
[2] Cf. DH 1646-1647.
[3] Cf.
Jean-Paul II, Exhortation apostolique Familiaris Consortio sur
les tâches de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui, 22
novembre 1981, n. 84; Catéchisme de l’Église catholique, n. 1650 et
1665; Congrégation pour la doctrine de la foi, Lettre aux évêques de
l’Église catholique sur l’accès à la communion eucharistique de la part des
fidèles divorcés-remariés, 14 septembre 1994; Benoît XVI, Exhortation
apostolique post-synodale Sacramentum caritatis sur l’Eucharistie source
et sommet de la vie et de la mission de l’Église, 22 février 2007, n.
27-29.
[4] A.-M.
Roguet, « Les différentes catégories de communion spirituelle »,
dans: Somme théologique, IIIa pars, q.
79-83, 345.
[5] A.-M.
Roguet, op. cit., 345-346. Cette précision distingue la communion
spirituelle sacramentelle des autres formes de communion spirituelle que sont
par exemple le souvenir de la messe, l’union au Christ présent dans le
tabernacle, l’adoration eucharistique hors de la messe, etc.
[6] Catéchisme
de l’Église catholique, n. 1617.
[7] En effet,
« si l’on admettait ces personnes à l’Eucharistie, les fidèles seraient
induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l’Église concernant
l’indissolubilité du mariage » (FC, 84); cf. aussi Sacramentum
caritatis, n. 29.
[8] La
communion sacramentelle redevient aussi possible si les époux « prennent
l’engagement de vivre en complète continence, c’est-à-dire en s’abstenant des
actes réservés aux époux » (FC, n. 4; cf. Jean-Paul II, Homélie
à la messe de clôture du VIe Synode des Évêques, 25 octobre
1980, n. 7: AAS 72 (1980), p. 1082). Une telle position semble
aujourd’hui plus difficile à justifier théologiquement et pratiquement étant
donné que l’union conjugale est beaucoup plus large que l’acte conjugal.
Reconnaissons toutefois qu’elle incarne le réalisme sacramentel de l’Église
catholique, c'est-à-dire le lien spirituel concret entre la chair du Christ
donnée en communion à l’Église et le don charnel des époux qui en est le
sacrement.
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