Les Anges de France protégeant les lys royaux |
Dom MEUNIER, « Sous
la garde des Anges »,
Téqui, 1929
Nous avons en
sainte Jeanne d’Arc le plus bel exemple qui soit de l’assistance donnée aux
saints et aux saintes par le ministère des Anges. Elle fut si visiblement
inspirée, guidée, soutenue par saint Michel que l’on a pu dire – dans la chaire
et dans les livres – qu’elle en était la « personnification ».
Sa naissance –
et sa mission – paraissent avoir été obtenues par l’intercession de ce glorieux
Archange. On l’avait tant prié ! Son culte était alors si répandu, si
populaire ! On l’invoquait, nous pouvons le dire, avec une ferveur et une
confiance que la piété chrétienne ne connaît malheureusement plus aujourd’hui.
Dans le royaume de France – envahi, dévasté, durement opprimé par les Anglais
–, tous les esprits, tournés vers lui, attendaient et espéraient de lui un
sauveur. Afin d’obtenir plus sûrement son intervention, Charles VII l’avait
fait figurer sur ses étendards et s’était rendu, en grande pompe, à l’un de ses
sanctuaires les plus vénérés, celui du Puy-en-Velay.
Les pèlerinages
au Mont Saint-Michel, si en honneur depuis le IXesiècle, s’étaient
succédé, renouvelés, multipliés plus que jamais : gens d’église et gens de
guerre, nobles et roturiers, riches et pauvres, jeunes et vieux, corporations
et confréries de tout genre avaient tenu à aller implorer l’Archange dans ce
sanctuaire fameux – privilégié entre tous, puisque c’est lui-même qui l’a
choisi pour y être prié. On s’y était rendu, isolément ou par bandes, au prix
de mille fatigues, sans souci des dangers de la route, ni du « péril de la
mer ». Sur cette sainte montagne, on avait vu, à maintes reprises, de
grandes foules venues des provinces les plus lointaines aussi bien que de
celles qui en sont plus près. Comment saint Michel eût-il pu demeurer
indifférent – rester sourd à tant d’appels – ne pas venir enfin au secours d’un
pays où on l’honorait si bien ?
Ce fut sur l’un
des territoires tout spécialement confiés à sa garde – en Lorraine, au duché de
Bar – que vint au monde « l’Envoyée de Dieu », la libératrice
attendue.
Saint Michel envoyant Sainte Jeanne d'Arc en mission : sauver la France |
À peine
était-elle âgée de treize ans qu’il lui parlait de sa mission. Jeanne a dit
elle-même en quelles circonstances : « Cette voix vint à peu près
vers midi, en été, dans le jardin de mon père », raconte-t-elle à ses
juges ; « je l’entendis à ma droite, du côté de l’église. Elle était
accompagnée d’une clarté : car rarement je l’entends sans une lumière qui
paraît du même côté. Elle est même généralement très vive. – Elle me paraissait
une bien noble voix et je crois qu’elle me venait de Dieu ; et après
l’avoir entendue trois fois, je reconnus que c’était la voix d’un
Ange »... « Je le vis devant mes yeux ; il n’était pas seul,
mais bien entouré d’Anges du Paradis. Je les ai vus des yeux de mon corps,
aussi bien que je vous vois ; et quand ils s’éloignaient de moi, je
pleurais et j’aurais bien voulu qu’ils m’emportassent avec eux. » –
Interrogée de nouveau, en secret, dans sa prison, elle ajoute : « La
première fois, j’eus grand doute que ce fût saint Michel qui venait à moi et
j’eus grand-peur. Je le vis même très souvent avant de savoir que c’était
lui. » – Puis, comme l’assesseur insiste
pour qu’elle dise sous quel aspect l’Archange lui apparaissait : « Il
était, répond-elle, en la forme d’un prud’homme. Quant à son vêtement et au reste, je
n’en dirai plus autre chose. Et les Anges, je les ai vus de mes yeux, mais
c’est tout ce que vous aurez de moi à ce sujet. – Je crois aussi fermement aux
paroles et aux actes de saint Michel, qui m’est apparu, que je crois que
Notre-Seigneur a souffert mort et passion pour nous, continue-t-elle ; ce
qui me pousse à croire cela, ce sont le bon conseil, le bon secours et la bonne
doctrine qu’il m’a apportés et donnés. »
L'anneau de Sainte Jeanne d'Arc |
Pendant quatre
ans, en effet, l’Archange se chargea lui-même de préparer Jeanne à sa mission.
– « Sur toutes choses, il me disait : sois bonne enfant et Dieu
t’aidera », aimait-elle à répéter plus tard. À son instigation, elle fit
« vœu de garder sa virginité autant qu’il plairait à Dieu » ;
puis, elle commença cette pratique de la modestie, de la pureté, de la chasteté
qui devait la faire paraître à tous les yeux « plus ange que femme »
et à laquelle rendirent hommage les gentilshommes de son escorte.
Saint Michel
lui enseigna aussi « l’horreur du mensonge », et la charité pour
tous. Mais ce qu’il lui fit surtout acquérir, ce sont les deux vertus dont il
donna le premier l’exemple, à l’origine des temps : une humilité profonde
et une obéissance parfaite aux volontés divines. Jeanne a dit elle-même comment
elle le recevait quand il venait les lui déclarer – comment elle avait coutume
de « lui faire révérence, ainsi qu’aux Anges qui l’accompagnaient et,
après leur départ, de baiser la terre où ils avaient posé ».
L’Archange
l’instruisit encore de « la grande pitié qui était au royaume de
France » ; il la mit au courant des malheurs de la royauté qui lui
étaient inconnus ; et il lui confia « des secrets qu’elle ne devait
révéler à personne, sinon au Roi ».
Ainsi préparée,
Jeanne pouvait partir. – « N’ayez aucune crainte, dit-elle à quelqu’un qui
s’inquiète : ce que je fais, j’ai ordre de le faire. Mes frères du Paradis
me l’ont dit et Dieu lui-même me dit qu’il faut que j’aille à la guerre. »
Les étapes de
cette glorieuse voie d’obéissance étaient marquées d’avance par les Esprits
célestes. Ce fut d’abord Vaucouleurs ; puis Sainte-Catherine de
Fierbois : tout s’y passa comme l’Ange l’avait annoncé. Ainsi devait-il en
être de la première entrevue avec le Dauphin, si importante et décisive.
Laissons la Pucelle raconter comment elle parvint jusqu’à lui. – « Vers
midi (de ce jour-là) je fus moi-même à Chinon, où je logeai dans une
hôtellerie. Après dîner je me rendis vers le roi, qui était dans le château.
La Voix m’avait promis que je serais reçue par le roi après
mon arrivée. – Elle me dit : « Va hardiment, quand tu seras près du roi,
il aura bon signe de te recevoir et de te croire. »
– Quand j’entrai dans
la chambre, je le reconnus au milieu des autres, d’après l’avertissement
de ma Voix qui me le révéla. – Avant qu’il me mît en œuvre, il
eut de nombreuses apparitions et de belles révélations. – Ceux de mon parti ont
bien su que la Voix m’était envoyée de Dieu ; ils ont vu et reconnu cette
voix, j’en suis sûre. » Comme les juges de Rouen insistaient pour savoir
quel était le signe donné au roi, Jeanne répond : « Ce signe est
beau, bon, honorable, bien croyable et le plus riche qui soit au monde. Je ne
vous le dirai pas. Ce fut un Ange, venu de la part de Dieu et non de la part
d’un autre, qui le remit au roi ; bien des fois j’en rendis grâces à Dieu,
parce que les clercs cessèrent d’arguer quand ils eurent le signe. »
Dans un autre
interrogatoire, pressée davantage, elle fait ces aveux : « J’étais
presque toujours en prières afin que Dieu envoyât le signe du roi ; je me
trouvais à mon logis, en la demeure d’une très bonne femme, près du château de
Chinon, quand l’Ange vint ; et ensuite, lui et moi, nous allâmes ensemble
par l’escalier à la chambre du roi. Il entra le premier, moi ensuite. Il avait
après lui une bonne compagnie d’autres Anges que chacun ne voyait pas. Si ce n’eût
été par amour pour moi et pour me soustraire à la peine que me causaient les
gens qui m’attaquaient, je crois bien que plusieurs de ceux qui virent l’Ange
ne l’auraient pas vu. Quand il vint au roi, il lui fit une révérence, en
s’inclinant, et lui donna certitude, en lui apportant la couronne, et en lui
disant qu’il aurait le royaume de France dans son intégrité, moyennant le
secours de Dieu, et moyennant mon labeur ; il lui dit de me mettre en
besogne, c’est-à-dire de me donner des hommes d’armes, car autrement il ne
serait pas de sitôt couronné et sacré.
« En même
temps il rappelait au roi la belle patience qu’il avait dans ses grandes
tribulations. Tous ceux qui étaient avec le roi ne virent pas l’Ange, mais je
crois que l’Archevêque de Reims, les sires d’Alençon et de la Trémouille et
Charles de Bourbon le virent. Quant à la couronne, plusieurs gens d’église et
autres la virent, qui ne virent pas l’Ange. Celui-ci me quitta dans une petite
chapelle ; je fus bien fâchée de son départ ; même je pleurais :
je serais volontiers allée avec lui. Il ne me quitta pas en proie à la peur ou
à l’effroi, mais j’étais bien fâchée de son départ. Ce n’est pas par un effet
de mon mérite que Dieu m’envoya son Ange ; ce fut dans l’espérance que le
roi croirait ce signe et qu’on cesserait de m’attaquer pour porter, enfin,
secours aux bonnes gens d’Orléans ; ce fut aussi en faveur des mérites du
roi et du bon duc d’Orléans. Le roi crut que c’était un Ange, par
l’enseignement des gens d’église qui étaient là et par le signe de la couronne. »
Sainte Jeanne d'Arc sur le bûcher, à Rouen |
Un autre jour,
où on lui demande « si l’Ange qui apporta le signe au roi fut le même que
celui qui lui était apparu », Jeanne répond sans la moindre
hésitation : « C’est toujours un seul et même Ange et il ne m’a
jamais fait défaut. »
Cet Ange – elle
l’a dit ailleurs – c’est saint Michel. Il l’accompagne à Poitiers, devant les
théologiens chargés de l’examiner. C’est lui qui dicte ses réponses, comme il
lui dictera plus tard ses messages aux Anglais. Il lui indique ce qu’elle doit
mettre sur son étendard ; cet étendard « qu’elle aime, dit-elle,
quarante fois plus que son épée », car il ne fait pas couler de sang et le
non de Jésus y rayonne. – « Prends-le, de par le Roi du ciel, lui dit
l’Archange ; et avance hardiment, Dieu t’aidera. »
Cette promesse
se réalise bientôt à Orléans. Son étendard en main, Jeanne attaque et emporte
successivement, presque sans coup férir, les bastilles des Tourelles – de
Saint-Loup – des Augustins ; et le 8 mai (fête de saint Michel au mont
Gargan) la ville est délivrée. Les Anglais, terrifiés, se retirent et
s’enfuient « fort abaissés de puissance et aussi de courage », dit un
vieil historien.
Il est évident
qu’une force mystérieuse soutient la Pucelle, combat pour elle et la protège.
Dunois, La Hire, le duc d’Alençon, Alain Chartier, se plaisent à reconnaître
« qu’elle possède les qualités des chefs de guerre les plus
renommés » – « qu’elle a la maturité d’une expérience
consommée ». D’où lui viennent ce savoir, ce génie militaire et ce courage
surhumain, sinon de Dieu ? Jeanne, en effet, se défend vivement d’avoir
rien fait par elle-même ; elle ne cesse de répéter qu’elle a simplement
accompli « l’ordre du ciel », qui lui fut intimé par l’Archange saint
Michel. – À son écuyer Jean d’Aulon qui lui reproche de rester seule et de ne
pas se retirer avec les autres, elle fait cette réponse où l’on voit combien
elle compte sur l’aide des Anges : – « Seule ! – j’ai avec moi
cinquante mille guerriers qui combattent pour nous ; je ne partirai d’ici
que la ville ne soit prise ».
Animée de cette
confiance surnaturelle, Jeanne relève tous les courages. Marchant de victoire
en victoire, elle entraîne jusqu’à Reims l’indolent Charles VII, pour qu’il y
soit sacré. C’est l’accomplissement de sa mission – l’apogée de sa gloire
ici-bas. Mais, dans son humilité, la vierge guerrière se garde bien d’oublier
qu’elle n’a rien fait que par la vertu d’En-Haut. Et dans sa reconnaissance
pour son céleste protecteur, elle tient par-dessus tout à ce que le
« signe » au nom duquel elle a vaincu, – l’étendard reçu des mains de
saint Michel – « soit à l’honneur comme il fut à la peine ».
La Passion de
Jésus suivit de près son entrée triomphale à Jérusalem. On trouve des rapprochements
analogues dans la vie des serviteurs de Dieu. Ce devait être le cas pour sainte
Jeanne d’Arc.
Aux
acclamations enthousiastes dont elle avait été l’objet à Reims succédèrent
bientôt des sentiments de jalousie – de basses intrigues – et l’abandon.
Qu’elle ait été trahie ou non, son étendard lui fut arraché des mains sous les
murs de Compiègne. Les Bourguignons la firent prisonnière et la livrèrent aux
Anglais pour une forte rançon. Ses Voix l’en avaient avertie.
– « Il faut qu’il en soit ainsi, lui disaient-elles ; ne t’étonne
pas ; prends tout en gré ; Dieu te viendra en aide. »
Alors commença
pour elle le chemin du calvaire. L’Archange qui « ne lui avait jamais fait
défaut » lui continua son aide et ses conseils. Il la visitait, dans sa
prison, jusqu’à trois fois le jour. – « Oui, dit-elle à ses juges ;
j’ai entendu sa voix le matin, – à l’heure de vêpres – et, le soir, quand
sonnait l’Ave Maria ». – « Et que vous a-t-il
dit ? » – « De vous répondre hardiment. » – « S’est-il
jamais contredit ? » – « Non, jamais. » – « Et d’où
vient cette voix ? » – « Elle vient de Dieu et par son ordre. Je
le crois fermement ; aussi fermement que je crois, la foi chrétienne et
que Dieu nous a arrachés des peines de l’enfer ».
Un autre jour –
alors que la Pucelle entrevoyait trop bien l’issue fatale de son procès –
les Voix ont répété, en y mettant plus de précision :
« Prends tout en gré ; n’aie pas trop grand souci de ton
martyre ; tu viendras finalement au royaume du Paradis. »
Jeanne fut
condamnée à être brûlée vive. L’Archange vint-il la réconforter au milieu des
atroces souffrances de son supplice ? Ne pas le supposer serait lui faire
injure ; d’autant que, d’après un témoin oculaire, elle l’invoquait à
haute voix, mêlant son nom à ceux de Jésus et de Marie. Comment saint Michel
aurait-il pu la délaisser à ce point ? Pourtant, si l’on s’en tient aux
documents historiques, il semble qu’autour du bûcher de Rouen, comme durant la
Passion, les Anges se soient abstenus d’intervenir, afin de laisser à la
victime tout le mérite de son immolation.
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