" Dialogues " du Pape Saint Grégoire le Grand, chap. XXXV - La vision du monde entier dans un seul
rayon de lumière.
1. Une autre fois encore, Servandus
était venu selon son habitude rencontrer Benoît : il était diacre et abbé de ce
monastère qui avait été construit dans la région de Campanie par un certain
patricien appelé Libère. En effet, il fréquentait le monastère, car cet homme,
lui aussi, répandait comme une source les paroles de la grâce céleste de sorte
que, comme par une sorte de courant allant de l’un à l’autre, ils s’imprégnaient
mutuellement des douces paroles de la vie, et, cette suave nourriture de la
patrie céleste dont ils ne pouvaient jouir encore parfaitement, ils la
goûtaient du moins en soupirant après elle.
2. Mais l’heure
du repos l’exigeant, le vénérable Benoît se retira dans la partie supérieure de
cette tour où il logeait et il installa le diacre Servandus dans la partie
inférieure de cette même tour et là, cela va de soi, on pouvait monter
facilement et communiquer entre le bas et le haut. Devant cette tour, d’autre
part, il y avait un vaste logis dans lequel les disciples de l’un et de l’autre
prenaient leur repos. Or l’homme du Seigneur Benoît, alors que les frères
reposaient encore et que l’heure des vigiles approchait, avait devancé le
moment de la prière nocturne : debout à la fenêtre, il priait instamment le
Dieu Tout-puissant et subitement, alors qu’il regardait dans la nuit encore
profonde, il vit une lumière répandue d’en-haut chasser toutes les ténèbres de
la nuit et briller d’une telle splendeur qu’elle surpassait la lumière du jour
elle-même, alors qu’en fait, elle rayonnait au sein des ténèbres.
3. Or dans
cette contemplation, une chose tout à fait admirable s’ensuivit car, en effet,
comme lui-même l’a raconté ensuite, le monde entier, comme rassemblé sous un
seul rayon de soleil, fut offert à ses yeux. Comme ce Vénérable Père fixait les
yeux avec intensité sur la splendeur de cette lumière éclatante, il vit l’âme
de l’évêque de Capoue, Germain, transportée par les anges au ciel dans une
sphère de feu.
4. Alors,
voulant que quelqu’un soit avec lui le témoin d’un tel miracle, il appela le
diacre Servandus par son nom à deux et trois reprises en poussant une forte
clameur. Et comme celui-ci était troublé par cette clameur inhabituelle chez un
tel homme, il monta, regarda et vit un petit reste de lumière : il était
stupéfait d’un tel miracle ; alors l’homme de Dieu lui raconta point par point
ce qui s’était produit et aussitôt il demanda à Théoprobe, homme religieux du
bourg fortifié de Cassin de se rendre la nuit même à la ville de Capoue pour
savoir ce qui était arrivé à l’évêque Germain : l’envoyé le trouva déjà mort,
et poursuivant sa recherche avec soin, il découvrit que son trépas s’était
produit au moment même où l’homme de Dieu avait eu connaissance de son
ascension.
La Règle de Saint Benoît. |
5. Pierre :
Chose tout à fait admirable et terriblement étonnante ! Bien plus : qu’on
puisse dire que le monde entier fut offert à ses yeux, rassemblé pour ainsi
dire, dans un seul rayon de soleil, cela je ne l’ai jamais expérimenté ! Et par
conséquent, je ne saurais même pas me le représenter. Car suivant quel ordre de
choses peut-il bien se faire que le monde entier soit vu par un seul homme ?
6. Grégoire :
Retiens bien, Pierre, ce que je te dis : Pour l’âme qui voit le Créateur, toute
créature paraît bien exiguë. En effet bien que cette âme n’ait contemplé qu’un
faible rayonnement de la lumière du Créateur, tout le créé se réduit pour elle
à de petites proportions, car par la lumière elle-même de cette vision intime,
le sein de son esprit s’élargit et son cœur grandit tellement en Dieu qu’il se
tient élevé au-dessus du monde. Qui plus est, l’âme du voyant quant à elle, se
trouve au-dessus d’elle-même. Et lorsque, dans la lumière de Dieu elle est
ainsi ravie au-dessous d’elle-même, elle s’amplifie intérieurement ; alors elle
jette un regard au-dessus d’elle et elle comprend, dans cet état d’élévation,
combien tout le créé est petit, alors que, dans son abaissement, elle n’arrivait
même pas à le saisir. Ainsi donc, l’homme qui contemplait ce globe de feu et
qui voyait les anges en train de remonter au ciel, ne pouvait voir ces choses,
sans aucun doute, que dans la lumière de Dieu. Qu’y a-t-il d’étonnant, dès lors
à ce qu’il vît le monde rassemblé devant ses yeux, alors que, élevé dans la
lumière de l’esprit, il se situait déjà hors du monde ?
Médaille exorciste de Saint Benoît |
7. Par
ailleurs, quand je dis que le monde était rassemblé devant ses yeux, ce n’est
pas que la terre et le ciel se fussent contractés, mais que l’âme du Voyant s’était
dilatée, elle qui, ravie en Dieu, put voir, sans difficulté, tout ce qui était
au-dessous de Dieu. Ainsi donc, en union avec cette lumière qui jaillissait devant
ses yeux, à l’extérieur de lui-même, il y avait, dans son esprit une lumière
intérieure qui, parce qu’elle ravissait l’âme du Voyant vers les hauteurs, lui
montrait combien étaient exiguës toutes les réalités d’en-bas.
8. Pierre : Il
me semble qu’il m’a été utile de n’avoir pas compris tout de suite ce que tu m’avais
dit puisque ma lenteur a permis, de ta part, un exposé aussi développé. Mais
maintenant que mon intelligence a été abreuvée des explications tellement
limpides que tu as infusées en elle, je te prie de reprendre la suite de ton
récit.
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