jeudi 31 août 2017

Naissance au Ciel de l'abbé Henri-Marie Boudon

Carte de 1654, Evreux, sa Cathédrale et l'église Saint-Taurin
« Vie nouvelle de Henri Marie Boudon », par S. Exc. R. Mgr. Matthieu, Archevêque de Besançon


En voyant approcher le moment qui allait le séparer de ses amis en ce monde, Boudon sentait redoubler l’affection sainte qu’il leur portait et il lui semblait aussi qu’elle allait prendre dans le sein de Dieu un caractère plus durable et plus pur.

Jamais il ne parut plus occupé des amis que la charité lui avait formés que dans ces instants pénibles où l’âme effrayée se replie ordinairement sur elle-même et perd de vue tout ce qui l’environne ; il est vrai que chacun d’eux perdait en lui ou un bienfaiteur ou un conseil et un appui, aussi mettait-il tous ses soins à leur persuader qu’après lui, la Providence saurait leur procurer d’autres moyens d’assistance et d’autres instruments de sanctification.

Piéta, détail. Chapelle de la Mère de Dieu, Cathédrale d'Evreux
Toutes ses lettres respirent cette attention délicate avec laquelle il les préparait à leur séparation prochaine en cherchant à insinuer dans leur cœur la sainte résignation et la douce confiance dont le sien était pénétré ~.

« Souvenez-vous que dans l’ancienne loi les sacrifices charnels que l’on offrait à Dieu ne pouvaient être sans de grandes douleurs de la part des victimes car il fallait qu’elles fussent égorgées et elles n’étaient qu’une figure du grand sacrifice que nous faisons avec Notre Seigneur Jésus Christ ; or, combien en a-t-il coûté à cet aimable Sauveur ! Il suffit donc, ma chère fille, que vous lui sacrifiiez dans le fond de votre âme sans réserve. Ne vous mettez point en peine des contradictions que vous ressentirez dans votre partie inférieure. »

~ Ce fut dans cet état continuel de crise qu’il passa tout le mois d’avril et celui de mai. Les premiers jours de juin furent très mauvais et le 7 il se trouva si mal qu’on crut qu’il ne passerait pas la nuit. Il reçut l’extrême onction le 8 au matin et dicta ensuite quelques lignes à M. Thomas pour le lui annoncer.

Malgré sa pieuse confiance et son abandon sans réserve à la volonté de Dieu, il n’était pas exempt de cette crainte religieuse que les approches de l’éternité ont imprimée dans l’âme des plus grands saints ; aussi se recommandait-il instamment aux prières de ses amis, il les conjurait surtout d’intéresser en sa faveur la Reine des anges et ceux des bienheureux qui étaient les objets les plus particuliers de sa dévotion. Il invoquait continuellement le secours de ces célestes intercesseurs et, lorsque la violence de ses maux ne lui permettait plus d’adresser au Ciel, que des prières entrecoupées et, sans suite, son oraison jaculatoire la plus ordinaire, alors était ces mots qui exprimaient si bien les désirs de toute sa vie : « Mon Dieu que je cesse d’être afin que vous viviez en moi que je périsse à la vie sensuelle afin de ne pas périr de la mort éternelle. »


Chanoine cathédral. Gravure
~ Ce fut à quelques jours de là que le pieux archidiacre fut appelé à jouir de la compagnie des saints dont il avait si bien suivi les traces. Les crises douloureuses qui l’avaient éprouvé si longtemps ne reparurent point aux approches de sa mort mais on put prévoir qu’elle suivrait de près l’anéantissement total dans lequel il tomba ; l’esprit parut même quelquefois s’égarer un peu et les idées perdre leur suite mais, en lui parlant de Dieu, on le rappelait à lui-même et on s’apercevait que si la nature succombait à son épuisement, l’âme ne perdait rien de la ferveur qui avait toujours fait sa force.

Dans une de ces fréquentes défaillances où il ne donnait plus aucun signe de vie, le bruit de sa mort s’étant répandu, plusieurs personnes accoururent autour de son lit par un de ces mouvements spontanés qui portent à contempler les restes des saints et à s’approprier quelque chose qui leur ait appartenu. S’étant aperçu, en revenant à lui, que sa chambre était pleine de monde et, sa langue étant trop enflée pour qu’il pût satisfaire au désir qu’il avait de leur parler lui-même, il dit en bégayant à M. Chanoine : « Dites aux personnes qui sont ici que je les exhorte de tout mon cœur à aimer et à servir Dieu fortement et que dans le pays de Dieu seul où je vais tout le monde sera obligé de reconnaître par force ou par amour qu’il n’y avait que cela à faire en ce monde. »

Petit cartulaire de Sant-Taurin d'Evreux
~ Cette grande et consolante pensée qui avait fait les délices de sa vie environna de paix la dernière heure de Boudon et ce fut encore en répétant à Dieu qu’il ne voulait plus que lui seul qu’il remit doucement son âme entre ses mains, sans effort et sans agonie, le jeudi 31 août 1702, dans la soixante-dix neuvième année de son âge.

Quelques instants avant d’expirer, Boudon avait chargé M. Chanoine de faire connaître sa mort à ses amis afin qu’ils priassent pour son âme. M. Chanoine s’acquitta dès le lendemain de ce pieux devoir en écrivant à M. Thomas la lettre suivante :

« Ce n’est plus le saint M. Boudon qui vous écrit, c’est un misérable et chétif prêtre qu’il a eu la charité de souffrir auprès de sa sainte personne pendant sa vie qui s’acquitte d’un devoir qu’il lui a imposé à l’heure de la mort qui est de le recommander aux prières de ses amis en Jésus Christ ; c’est pourquoi, j’ai l’honneur de vous écrire la présente pour vous dire qu’il est mort dans le même zèle de l’établissement du règne de Dieu seul en lui comme il a toujours vécu. Il me dit, le soir du jour qui précéda sa mort, qu’il se sentait le cœur plus que plein du désir de servir Dieu de toutes ses forces mieux qu’il n’avait encore fait jusque-là, et il mourut hier entre mes bras, après m’avoir témoigné pour dernière parole, qu’il ne voulait plus que Dieu seul. »
« MM. nos chanoines l’ont inhumé comme l’un d’eux malgré tous ses sentiments pour la pauvreté. MM. de notre séminaire et MM. du chapitre, ayant beaucoup disputé à qui le posséderait, mais enfin on l’a inhumé dans la chapelle où il a toujours célébré les divins mystères, quoique ce soit contre l’usage de la cathédrale d’Evreux qui inhume ses dignités devant un autel particulier de la sainte Vierge et les autres chanoines devant leurs chapelles. »
Le Séminaire tenu par les Eudistes, aujourd'hui le palais de justice. A son
entrée était enterré le Cœur du Vénérable prêtre.
« L’affluence du peuple fut si grande dans sa chambre dès qu’on sut sa mort qu’à peine put-on avoir le temps de le mettre sur la paillasse de son lit pour permettre au peuple qui venait de toutes parts de lui rendre les derniers devoirs. Tous les petits enfants et toutes les grandes personnes lui baisaient les pieds et on eut toutes les peines du monde, à dix heures du soir, de faire retirer tous ceux qui y venaient et qui ne se lassaient point de le regarder, de le toucher et de lui faire toucher des mouchoirs, des heures, des scapulaires, des chapelets, des chemises et autres choses. »
« Vous saurez aussi que pour contenter MM. du chapitre et du séminaire, MM. du séminaire ont eu le cœur, et le corps a été porté à Notre-Dame ; il y a quelques personnes qui disent avoir reçu du soulagement et la guérison de quelques incommodités et plusieurs personnes ont commencé dès aujourd’hui à faire des neuvaines à son tombeau. Nous avons fait tirer son portrait par un curé de notre connaissance parce que nous n’avons point de peintre à Evreux mais, comme il n’a pas bien réussi à cause qu’il était fort interrompu par le bruit et la foule du peuple, il en a tiré le portrait en plâtre et ensuite en cire pour le crayonner, et vous le faire tenir afin que vous ayez la consolation de le voir, quoique nous l’ayons perdu. Je prendrai la liberté de vous écrire quand nous vous l’enverrons »



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