Quelle est celle-ci, qui
s'avance belle comme l'aurore à son lever, terrible comme une armée rangée en
bataille (Cant. VI, 9.) ? Ô Marie, c'est aujourd'hui que, pour la
première fois, votre douce clarté réjouit la terre. Vous portez en vous le
Soleil de justice ; et sa lumière naissante frappant le sommet des monts,
tandis que la plaine est encore dans la nuit, atteint d'abord le Précurseur
illustre dont il est dit qu'entre les fils des femmes il n'est point de plus
grand. Bientôt l'astre divin, montant toujours, inondera de ses feux les
plus humbles vallées. Mais que de grâce en ces premiers rayons qui s'échappent
de la nuée sous laquelle il se cache encore ! Car vous êtes, Ô Marie, la nuée
légère, espoir du monde, terreur de l'enfer (III Reg. XVIII, 44
; Isai. XIX, 1.) ; en sa
céleste transparence, contemplant de loin les mystères de ce jour, Elie le père
des prophètes et Isaïe leur prince découvrirent tous deux le Seigneur. Ils vous
voyaient hâtant votre course au-dessus des montagnes, et ils bénissaient Dieu ;
car, dit l'Esprit-Saint, lorsque l'hiver a enchaîné les névés, desséché les
vallées, brûlé les montagnes, le remède à tout est dans la hâte de la nuée (Eccli.
XLIII, 21-24.).
Hâtez-vous
donc, Ô Marie ! Venez à nous tous, et que ce ne soient plus seulement les montagnes qui ressentent les
bienfaits de votre sereine influence : abaissez-vous jusqu'aux régions
sans gloire où la plus grande partie du genre humain végète, impuissante à
s'élever sur les hauteurs ; que jusque dans les abîmes de perversité
les plus voisins du gouffre infernal, votre visite fasse pénétrer la lumière du
salut. Oh ! puissions-nous, des prisons du péché, de la plaine où s'agite
le vulgaire, être entraînés à votre suite ! Ils sont si beaux vos pas
dans nos humbles sentiers (Cant.
VII, 1.), ils sont si suaves les
parfums dont vous enivrez aujourd'hui la terre (Ibid. I, 5.) ! Vous n'étiez point connue, vous-même vous
ignoriez, Ô la plus belle des filles d'Adam, jusqu'à cette première sortie
qui vous amène vers nos pauvres demeures (Ibid, 7.) et manifeste votre puissance. Le désert,
embaumé soudain des senteurs du ciel, acclame au passage, non plus l'arche des
figures, mais la litière du vrai Salomon, en ces jours mêmes qui sont les jours
des noces sublimes qu'a voulu contracter son amour (Ibid. III,
6-11.). Quoi d'étonnant si d'une
course rapide elle franchit les montagnes, portant l'Epoux qui s'élance comme
un géant de sommets en sommets (Psalm. XVIII, 6-7.) ?
Vous n'êtes pas, Ô Marie, celle qui nous est montrée dans le divin Cantique
hésitante à l'action malgré le céleste appel, inconsidérément éprise du
mystique repos au point de le placer ailleurs que dans le bon plaisir absolu du
Bien-Aimé. Ce n'est point vous qui, à la voix de l'Epoux, ferez difficulté de
reprendre pour lui les vêtements du travail, d'exposer tant qu'il le voudra vos
pieds sans tache à la poussière des chemins de ce monde (Cant. V, 2-10.). Bien plutôt : à peine s'est-il donné à vous dans une mesure qui ne sera
connue d'aucune autre, que, vous gardant de rester absorbée dans la jouissance
égoïste de son amour, vous-même l'invitez à commencer aussitôt le grand
œuvre qui l'a fait descendre du ciel en terre : "Venez, mon bien-aimé, sortons aux champs, levons-nous dès le matin pour
voir si la vigne a fleuri, pour hâter l'éclosion des fruits du salut dans les
âmes ; c'est là que je veux être à vous." (Cant.
VII, 10-13.).
Et, appuyée sur lui, non moins que lui sur vous-même, sans rien perdre
pour cela des délices du ciel, vous traversez notre désert (Ibid. VIII, 5.) ; et la Trinité sainte perçoit, entre cette mère et son fils, des
accords inconnus jusque-là pour elle-même ; et les amis de l'Epoux,
entendant votre voix si douce (Ibid. 13.), ont, eux aussi, compris son amour et
partagé vos joies. Avec lui, avec vous, de siècle en siècle, elles seront
nombreuses les âmes qui, douées de l'agilité de la biche et du faon mystérieux,
fuiront les vallées et gagneront les montagnes où brûle sans fin le pur parfum
des cieux (Ibid. 14.).
Bénissez, Ô Marie, ceux que séduit ainsi la meilleure part. Protégez le
saint Ordre qui se fait gloire d'honorer spécialement le mystère de votre
Visitation ; fidèle à l'esprit de ses illustres fondateurs, il ne cesse point
de justifier son titre, en embaumant l'Eglise de la terre de ces mêmes parfums
d'humilité, de douceur, de prière cachée, qui furent pour les anges le
principal attrait de ce grand jour, il y a dix-huit siècles. Enfin, ô
Notre-Dame, n'oubliez point les rangs pressés de ceux que la grâce suscite,
plus nombreux que jamais en nos temps, pour marcher sur vos traces à la
recherche miséricordieuse de toutes les misères ; apprenez-leur comment on
peut, sans quitter Dieu, se donner au prochain : pour le plus grand honneur
de ce Dieu très-haut et le bonheur de l'homme, multipliez ici-bas vos fidèles
copies. Que tous enfin, vous ayant suivie en la mesure et la manière voulues
par Celui qui divise ses dons à chacun comme il veut (I Cor. XII, 11.), nous nous retrouvions dans la patrie pour chanter d'une seule voix avec
vous le Magnificat éternel !
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