Icône moderne. Saint Jean Baptiste prêchant dans le désert et sa décollation |
Homélie de Saint Jean
Chrysostome sur la décollation de Saint Jean Baptiste
Je vous prie de considérer avec plus d’attention
quelle est la demande de cette fille. «Donnez-moi,
» dit-elle, « dans ce plat la tête de Jean-Baptiste.
» Voyez-vous l’effronterie? Entendez-vous
l’organe du diable? Elle sait bien quel est celui dont elle demande la tête,
puisqu’elle l’appelle « Jean-Baptiste, » et elle la demande néanmoins.
Elle veut qu’on lui apporte dans un plat cette tête sacrée et bienheureuse, et elle
en parle comme s’il ne s’agissait que d’un mets qu’on servirait sur une table.
Elle ne donne aucune raison de cette demande barbare, parce qu’elle n’en a
point. Elle met seulement sa gloire à se
faire donner une satisfaction si cruelle et si malheureuse. Elle ne demande
point qu’on fasse venir saint Jean et qu’on le tue devant tout le monde. Elle
appréhendait trop sa force et sa liberté. La moindre de ses paroles l’aurait
fait trembler, et la vue du glaive qui allait lui trancher la tête n’eût point
empêché ce courageux prophète de parler. C’est pourquoi elle dit: « Donnez-moi ici dans ce plat la tête de
Jean-Baptiste. »
Elle veut voir sa tête, mais
lorsque sa bouche sera muette.
Elle la veut voir toute sanglante, non seulement pour s’assurer qu’elle ne lui fera plus de reproches,
mais encore pour satisfaire sa vengeance en l’insultant. Dieu voit cela, mes
frères, et Il l’accepte. Il ne lance
point ses foudres sur cette malheureuse. Il ne réduit point en cendres ce
front insolent et cette langue homicide. Il ne commande point à la terre de
s’ouvrir pour abîmer ce prince et tous ses conviés avec lui. Il retient Sa justice en cette rencontre
pour préparer à Son serviteur une couronne plus illustre, et pour laisser à
tous ceux qui le suivraient une plus grande consolation dans leurs maux.
Écoutons ceci, nous que la pratique de la vertu expose
aux mauvais traitements des méchants. Un
homme si admirable, un saint qui avait passé sa vie dans un désert, sous un
habit si austère, sous un cilice; un prophète et le plus grand des prophètes, à
qui le Fils de Dieu avait rendu ce témoignage qu’entre tous ceux qui étaient
nés des femmes, il n’y en avait point de plus grand que lui: ce saint, dis-je,
est sacrifié à la rage d’une femme impudique; sa tête est le prix de la
danse d’une fille effrontée, et il est abandonné à ces furieuses, parce qu’il a
soutenu avec vigueur la loi de Dieu.
La danse de Salomé et la tête du Précurseur dans un plat à ses pieds |
Pensons à ce grand exemple, et souffrons généreusement
tout ce qui nous pourra arriver. Cette malheureuse femme était altérée du sang
de l’innocent, et elle a le plaisir de le répandre. Elle voulait se venger de
l’injure qu’elle croyait que saint Jean lui avait faite, et Dieu permet qu’elle
se satisfasse comme elle l’avait désiré, et qu’elle se rassasie de sa
vengeance. Qu’avait-elle à reprocher à
ce saint homme? Il ne lui avait jamais fait la moindre réprimande, et il
s’était toujours adressé à Hérode. Mais sa conscience criminelle lui fait
sentir l’aiguillon du remords. C’est le bourreau qui la tourmente et qui la
déchire. Ce qu’elle endure au dedans la rend comme furieuse au dehors. Elle remplit sa maison de confusion et d’infamie.
Elle déshonore tout ensemble en elle-même sa fille et son mari mort, et
découvre son adultère vivant; elle veut surpasser ses premiers excès par
d’autres encore plus horribles. Il semble qu’elle dise à saint Jean: si
vous ne pouvez souffrir de voir Hérode adultère, je le rendrai même homicide;
et pour faire cesser vos reproches, je le forcerai à vous ôter la vie.
Je vous appelle ici, vous tous qui donnez aux femmes un si grand pouvoir sur votre esprit.
Vous qui faites des serments indiscrets sur des choses douteuses et
incertaines, et qui creusez ainsi la fosse où vous devez être précipités, en
rendant les autres les maîtres de votre perte. Car n’est-ce pas ainsi que périt
Hérode?
Il crut que dans une fête et dans un jour de joie,
cette fille lui demanderait quelque chose qui fût proportionné à elle, au lieu
où elle était, et au temps de cette réjouissance publique; bien loin de
s’imaginer qu’elle dût demander une tête. Et cependant il fut trompé
malheureusement, et sa surprise ne l’excuse point. Car si cette fille instruite
par sa mère osa lui faire une demande plus digne d’une tigresse que d’une
femme, c’était à lui à s’opposer à cette furieuse, et non pas à se rendre le
ministre d’une cruauté si odieuse et si inouïe. Qui n’aurait été frappé d’horreur
de voir au milieu d’un festin paraître dans un plat cette tête sacrée toute
dégoutante de son sang? ~ C’est par cet
esprit de sang et de meurtre que se conduisit alors cette femme, croyant
qu’après qu’elle aurait fait mourir saint Jean, son crime serait enseveli avec
lui. Mais il arriva tout le contraire, parce qu’après sa mort même, le prophète parla plus haut que jamais.
Les méchants se conduisent dans leurs desseins comme
les malades, qui mourant de soif ne pensent qu’à boire pour se rafraîchir, sans
considérer qu’ils se trouveront ensuite beaucoup plus mal. Si cette femme n’eût
point fait mourir saint Jean, pour l’empêcher de lui reprocher son impudicité,
on aurait beaucoup moins parlé contre elle. Car lorsque saint Jean fut mis en
prison, ses disciples d’abord demeurèrent dans le silence. Mais lorsqu’ils le
virent tué si cruellement, ils furent contraints enfin de dire qu’elle avait
été la cause de sa mort. Ils voulaient d’abord épargner la réputation de cette
femme adultère, en ne publiant point ce qui aurait pu la déshonorer. Mais ils
furent forcés enfin de découvrir toute cette intrigue, de peur qu’on ne crût
que leur maître eût été un séditieux comme Theudas et Judas, et qu’il eût été
exécuté comme eux, pour avoir fait quelque entreprise contre l’État. On voit par-là, que plus on s’efforce de
cacher son péché plus on le publie; et que le moyen de couvrir un crime n’est
pas d’y en ajouter un autre, mais de l’expier par une sincère pénitence.
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