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Feux d'artifices pour notre belle fête nationale en l'honneur de Notre Dame
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Extrait du discours du Cardinal Pacelli, futur Pie XII sur la vocation
Chrétienne de la France, le 13 juillet 1937
~ Mais voici que le parfum dont mon âme était tout embaumée me suivait,
m'accompagnait au cours de mon voyage de retour à travers la luxuriante
fécondité des plaines et des collines de France, de la douce terre
de France, souriante dans la splendeur de sa parure d'été. Et ce parfum
m'accompagne encore ; il m'accompagnera désormais partout. Mais, à me trouver
aujourd'hui en cette capitale de la grande nation, au cœur même de cette
patrie, toute chargée des fruits de la terre, toute émaillée des fleurs du
ciel, du sein de laquelle a germé, sous le soleil divin, la fleur exquise du
Carmel, si simple en son héroïque sainteté, si sainte en sa gracieuse
simplicité ; à me trouver ici en présence de toute une élite des fils et des
filles de France, devant deux cardinaux qui honorent l'Église et la patrie,
l'un pasteur dont la sagesse et la bonté s'emploient à garder la France
fidèle à sa vocation catholique, l'autre, docteur, dont la science
illustra naguère ici même cette glorieuse vocation, mon émotion redouble encore
et la première parole qui jaillit de mon cœur à mes lèvres est pour vous porter
à vous et, en vous, à tous les autres fils et filles de France, le salut, le
sourire de la grande « petite sainte », flos campi et lilium convallium (Cant.
2, 1), decor Carmeli (Is. 35, 2), messagère de la miséricorde et de la
tendresse divines pour transmettre à la France, à l'Église, à tout le monde, à
ce monde trop souvent vide d'amour, sensuel, pervers, inquiet, des effluves
d'amour, de pureté, de candeur et de paix.
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Armoiries du vénérable Pape Pie XII |
~ Comment dire, mes frères, tout ce qu'évoque en mon esprit, en mon âme,
comme dans l'âme et dans l'esprit de tout catholique, je dirais même dans toute
âme droite et dans tout esprit cultivé, le seul nom de Notre-Dame de
Paris ! Car ici c'est l'âme même de la France, l'âme de
la fille aînée de l'Église, qui parle à mon âme.
Âme de la France d'aujourd'hui qui vient dire ses aspirations, ses angoisses et
sa prière; âme de la France de jadis dont la voix, remontant des profondeurs
d'un passé quatorze fois séculaire, évoquant les Gesta Dei per Francos, parmi
les épreuves aussi bien que parmi les triomphes, sonne aux heures critiques
comme un chant de noble fierté et d'imperturbable espérance. Voix de Clovis et
de Clotilde, voix de Charlemagne, voix
de Saint Louis surtout, en cette île où il semble vivre
encore et qu'il a parée, en la Sainte Chapelle, de la plus
glorieuse et de la plus sainte des couronnes ; voix aussi des grands docteurs
de l'Université de Paris, des maîtres dans la foi et dans la sainteté…
Leurs souvenirs, leurs noms inscrits sur vos rues, en même temps qu'ils
proclament la vaillance et la vertu de vos aïeux, jalonnent comme une route
triomphale l'histoire d'une France qui marche et qui avance en dépit de tout,
d'une France qui ne meurt pas ! Oh ! Ces voix !
j'entends leur innombrable harmonie résonner dans cette cathédrale,
chef-d'œuvre de votre génie et de votre amoureux labeur qui l'ont dressée comme
le monument de cette prière, de cet amour, de cette vigilance, dont je trouve
le symbole parlant en cet autel où Dieu descend sous les voiles eucharistiques,
en cette voûte qui nous abrite tous ensemble sous le manteau maternel de Marie,
en ces tours qui semblent sonder l'horizon serein ou menaçant en gardiennes
vigilantes de cette capitale. Prêtons l'oreille à la voix de Notre-Dame de
Paris.
Au milieu de la rumeur incessante de cette immense métropole, parmi
l'agitation des affaires et des plaisirs, dans l'âpre tourbillon de la lutte
pour la vie, témoin apitoyé des désespoirs stériles et des joies décevantes,
Notre-Dame de Paris, toujours sereine en sa calme et pacifiante gravité, semble
répéter sans relâche à tous ceux qui passent : Orate, fratres, Priez, mes
frères ; elle semble, dirais-je volontiers, être elle-même un Orate fratres de
pierre, une invitation perpétuelle à la prière.
Nous les connaissons les aspirations, les préoccupations de la France
d'aujourd'hui ; la génération présente rêve d'être une génération de
défricheurs, de pionniers, pour la restauration d'un monde chancelant et désaxé
; elle se sent au cœur l'entrain, l'esprit d'initiative, le besoin irrésistible
d'action, un certain amour de la lutte et du risque, une certaine ambition de
conquête et de prosélytisme au service de quelque idéal.
~ Mais ces aspirations mêmes que, malgré la grande variété de leurs
manifestations, nous retrouvons à chaque génération française depuis les
origines, comment les expliquer ? Inutile d'invoquer je ne sais quel fatalisme
ou quel déterminisme racial. À la France d'aujourd'hui, qui
l'interroge, la France d'autrefois va répondre en donnant à cette hérédité son
vrai nom : la vocation.
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Dormition de la Vierge Marie |
Car, mes frères, les peuples, comme les individus, ont aussi leur vocation
providentielle ; comme les individus, ils sont prospères ou misérables,
ils rayonnent ou demeurent obscurément stériles, selon qu'ils sont dociles ou
rebelles à leur vocation.
Fouillant de son regard d'aigle le mystère de l'histoire universelle et de
ses déconcertantes vicissitudes, le grand évêque de Meaux écrivait : «
Souvenez-vous que ce long enchaînement des causes particulières, qui font et
qui défont les empires, dépend des ordres secrets de la Providence. Dieu tient
du plus haut des cieux les rênes de tous les royaumes ; il a tous les cœurs en
sa main ; tantôt il retient les passions ; tantôt il leur lâche la bride, et
par là il remue tout le genre humain… C'est ainsi que Dieu règne sur tous les
peuples. Ne parlons plus de hasard ni de fortune ; ou parlons-en seulement
comme d'un nom dont nous couvrons notre ignorance » (Bossuet,
Discours sur l'histoire universelle, III, 8).
Le passage de la France dans le monde à travers les siècles est une vivante
illustration de cette grande loi de l'histoire de la mystérieuse et pourtant
évidente corrélation entre l'accomplissement du devoir naturel et celui de la
mission surnaturelle d'un peuple.
Du jour même où le premier héraut de l'Évangile posa le pied sur cette
terre des Gaules et où, sur les pas du Romain conquérant, il porta la doctrine
de la Croix, de ce jour-là même, la foi au Christ, l'union avec Rome,
divinement établie centre de l'Église, deviennent pour le peuple de France la
loi même de sa vie. Et toutes les perturbations, toutes les révolutions, n'ont
jamais fait que confirmer, d'une manière toujours plus éclatante, l'inéluctable
force de cette loi.
L'énergie indomptable à poursuivre l'accomplissement de sa mission a
enfanté pour votre patrie des époques mémorables de grandeur, de gloire, en
même temps que de large influence sur la grande famille des peuples chrétiens.
Et si votre histoire présente aussi ses pages tragiquement douloureuses,
c'était aux heures où l'oubli des uns, la négation des autres, obscurcissaient,
dans l'esprit de ce peuple, la conscience de sa vocation religieuse et la
nécessité de mettre en harmonie la poursuite des fins temporelles et terrestres
de la patrie avec les devoirs inhérents à une si noble vocation.
Et, néanmoins, une lumière resplendissante ne cesse de répandre sa clarté
sur toute l'histoire de votre peuple ; cette lumière qui, même aux heures les
plus obscures, n'a jamais connu de déclin, jamais subi d'éclipse, c'est toute
la suite ininterrompue de saints et de héros qui, de la terre de France, sont
montés vers le ciel. Par leurs exemples et par leur parole, ils brillent comme
des étoiles au firmament, quasi stellae in perpetuas aeternitates (Dan. 12, 3)
pour guider la marche de leur peuple, non seulement dans la voie du salut éternel,
mais dans son ascension vers une civilisation toujours plus haute et plus
délicate.
Saint Remi qui versa
l'eau du baptême sur la tête de Clovis ; Saint Martin,
moine, évêque, apôtre de la Gaule ; Saint Césaire d'Arles
; ceux-là et tant d'autres, se profilent avec un relief saisissant sur
l'horizon de l'histoire, dans cette période initiale qui, pour troublée qu'elle
fût, portait cependant en son sein tout l'avenir de la France. Et, sous leur
action, l'Évangile du Christ commence et poursuit, à travers tout le territoire
des Gaules, sa marche conquérante, au cours d'une longue et héroïque lutte
contre l'esprit d'incrédulité et d'hérésie, contre les défiances et les
tracasseries de puissances terrestres, cupides et jalouses. Mais, de ces
siècles d'effort courageux et patient, devait sortir enfin la France
catholique, cette Gallia sacra, qui va de Louis, le saint Roi, à Benoît-Joseph
Labre, le saint mendiant ; de Bernard de Clairvaux,
à François de Sales, à l'humble Curé d'Ars ;
de Geneviève, la bergère de Nanterre, à Bernadette,
l'angélique pastourelle de Lourdes ; de Jeanne d'Arc, la
vierge guerrière, la sainte de la patrie, à Thérèse de
l'Enfant-Jésus, la vierge du cloître, la sainte de la « petite voie ».
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Assomption du corps et de l'âme de Notre Dame au Ciel, Reine des Anges et des hommes, Modèle de tous les saints |
La vocation de la France, sa mission religieuse ! Mes frères, mais cette
chaire même ne lui rend-elle pas témoignage ? Cette chaire qui évoque le
souvenir des plus illustres maîtres, orateurs, théologiens, moralistes,
apôtres, dont la parole, depuis des siècles, franchissant les limites de cette
nef, prêche la lumineuse doctrine de vérité, la sainte morale de l'Évangile,
l'amour de Dieu pour le monde, les repentirs et les résolutions nécessaires,
les luttes à soutenir, les conquêtes à entreprendre, les grandes espérances de
salut et de régénération.
À monter, même pour une seule fois et par circonstance, en cette chaire
après de tels hommes, on se sent forcément, j'en fais en ce moment
l'expérience, bien petit, bien pauvre ; à parler dans cette chaire, qui a
retenti de ces grandes voix, je me sens étrangement confus d'entendre aujourd'hui
résonner la mienne.
Et malgré cela, quand je pense au passé de la France, à sa mission, à ses
devoirs présents, au rôle qu'elle peut, qu'elle doit jouer pour l'avenir, en un
mot, à la vocation de la France, comme je voudrais avoir l'éloquence d'un Lacordaire,
l'ascétique pureté d'un Ravignan, la profondeur et
l'élévation théologique d'un Monsabré, la finesse
psychologique d'un Mgr d'Hulst avec son intelligente
compréhension de son temps ! Alors, avec toute l'audace d'un homme qui sent la
gravité de la situation, avec l'amour sans lequel il n'y a pas de véritable
apostolat, avec la claire connaissance des réalités présentes, condition
indispensable de toute rénovation, comme je crierais d'ici à tous les fils et
filles de France : « Soyez fidèles à votre traditionnelle vocation !
Jamais heure n'a été plus grave pour vous en imposer les devoirs, jamais heure
plus belle pour y répondre. Ne laissez pas passer l'heure, ne laissez pas
s'étioler des dons que Dieu a adaptés à la mission qu'il vous confie; ne les
gaspillez pas, ne les profanez pas au service de quelque autre idéal trompeur,
inconsistant ou moins noble et moins digne de vous ! »
Mais, pour cela, je vous le répète, écoutez la voix qui vous crie : «
Priez, Orate, fratres ! » Sinon, vous ne feriez qu'œuvre humaine, et, à l'heure
présente, en face des forces adverses, l'œuvre purement humaine est vouée à la
stérilité, c'est-à-dire à la défaite ; ce serait la faillite de votre vocation.
Oui, c'est bien cela que j'entends dans le dialogue de la France du passé
avec la France d'aujourd'hui. Et Notre-Dame de Paris, au temps où ses murs
montaient de la terre, était vraiment l'expression joyeuse d'une communauté de
foi et de sentiments qui, en dépit de tous les différends et de toutes les
faiblesses, inséparables de l'humaine fragilité, unissait tous vos pères en un
Orate, fratres dont la toute-puissante douceur dominait toutes les divergences
accidentelles. À présent, cet Orate, fratres la voix de cette cathédrale ne
cesse pas de le répéter ; mais combien de cœurs dans lesquels il ne trouve plus
d'écho ! Combien de cœurs pour lesquels il ne semble plus être qu'une
provocation à renouveler le geste de Lucifer dans l'orgueilleuse ostentation de
leur incrédulité ! Cette voûte sous laquelle s'est manifestée en des élans
magnifiques l'âme de la France d'autrefois et où, grâce à Dieu, se manifestent
encore la foi et l'amour de la France d'aujourd'hui ; cette voûte qui, il y a
sept siècles, joignait ses deux bras vers le ciel comme pour y porter les
prières, les désirs, les aspirations d'éternité de vos aïeux et les vôtres,
pour recevoir et vous transmettre en retour la grâce et les bénédictions de
Dieu ; cette voûte sous laquelle en un temps de crise, l'incrédulité, dans son
orgueil superbe, a célébré ses éphémères triomphes par la profanation de ce
qu'il y a de plus saint devant le ciel ; cette voûte, mes frères, contemple
aujourd'hui un monde qui a peut-être plus besoin de rédemption qu'en aucune
autre époque de l'histoire et qui, en même temps, ne s'est jamais cru plus
capable de s'en passer.
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Vénérable Pie XII |
Aussi, tandis que je considère cet état de choses et la tâche gigantesque
qui, de ce chef, incombe à la génération présente, je crois entendre ces
pierres vénérables murmurer avec une pressante tendresse l'exhortation à
l'amour ; et moi-même, avec le sentiment de la plus fraternelle affection, je
vous la redis, à vous qui croyez à la vocation de la France : « Mes frères, aimez! Amate, fratres ! »
~ Que d'hommes n'ont perdu la foi au Père qui est dans les cieux que parce
qu'ils ont perdu d'abord la confiance dans l'amour de leurs frères qui sont sur
la terre, même de ceux qui font profession de vie chrétienne ! Le réveil de ces
sentiments fraternels et la claire vue de leurs relations avec la doctrine de
l'Évangile reconduiront les fils égarés à la maison du Père.
Au malheureux gisant sur la route, le corps blessé, l'âme plus malade
encore, on n'aura que de belles paroles à donner et rien qui fasse sentir
l'amour fraternel, rien qui manifeste l'intérêt que l'on porte même à ses
nécessités temporelles, et l'on s'étonnera de le voir demeurer sourd à toute
cette rhétorique ! Qu'est-elle donc, cette foi qui n'éveille au cœur aucun
sentiment qui se traduise par des œuvres ? Qu'en dit saint Jean,
l'apôtre et l'évangéliste de l'amour ? « Celui qui jouit des biens de ce monde
et qui, voyant son frère dans le besoin, ne lui ouvre pas tout grand son cœur,
à qui fera-t-on croire qu'il porte en lui l'amour de Dieu ? » (1 Jn 3, 17.)
La France catholique qui a donné à l'Église, à l'humanité tout entière
un Saint Vincent de Paul et tant d'autres héros de la
charité, ne peut pas ne pas entendre ce cri : Amate, fratres ! Et elle sait que
les prochaines pages de son histoire, c'est sa réponse à l'appel de l'amour qui
les écrira.
À sa fidélité envers sa vocation, en dépit de toutes les difficultés, de
toutes les épreuves, de tous les sacrifices, est lié le sort de la France, sa
grandeur temporelle aussi bien que son progrès religieux. Quand j'y songe, de quel cœur, mes frères,
j'invoque la Providence divine, qui n'a jamais manqué, aux heures critiques, de
donner à la France les grands cœurs dont elle avait besoin, avec quelle ardeur
je lui demande de susciter aujourd'hui en elle les héros de l'amour, pour
triompher des doctrines de haine, pour apaiser les luttes de classes, pour
panser les plaies saignantes du monde, pour hâter le jour où Notre-Dame de
Paris abritera de nouveau sous son ombre maternelle tout son peuple, pour lui
faire oublier comme un songe éphémère les heures sombres où la discorde et les
polémiques lui voilaient le soleil de l'amour, pour faire résonner doucement à
son oreille, pour graver profondément dans son esprit la parole si paternelle
du premier Vicaire de Jésus-Christ : « Aimez-vous les uns les autres d'une
dilection toute fraternelle, dans la simplicité de vos cœurs » In fraternitatis
amore, simplici ex corde invicem diligite ! (1 P.1, 22).
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Le vénérable Pape célébrant la Messe |
Ce que je connais, mes frères, de ce pays et de ce peuple français, des
directions que lui donnent ses chefs religieux et de la docilité du grand
nombre des fidèles ; ce que m'apprennent les écrits des maîtres catholiques de
la pensée, les rapports des Congrès et Semaines où les problèmes de l'heure
présente sont étudiés à la lumière de la foi divine ; ce que je constate aussi
de l'idéalisme avec lequel la jeunesse croyante de la France s'intéresse à la
question capitale du prolétariat et à sa solution juste et chrétienne, tout
cela certes me remplit d'une ferme confiance que cette même jeunesse, grâce à
la rectitude de sa bonne volonté, à son esprit de dévouement et de sacrifice, à
sa charité fraternelle, si noble en ses intentions, si loyale en ses efforts,
cheminera toujours par les voies droites et sûres. Aussi, loin de moi de douter
jamais de si saintes dispositions ; mais, à la généreuse ardeur de la jeune
France vers la restauration de l'ordre social chrétien, Notre-Dame de Paris,
témoin au cours des siècles passés de tant d'expériences, de tant de
désillusions, de tant de belles ardeurs tristement fourvoyées, vous adresse,
après son exhortation à l'amour : - Amate, fratres ! – son exhortation à la
vigilance, exhortation empreinte de bonté maternelle, mais aussi de gravité et
de sollicitude : « Veillez, mes frères !
Vigilate, fratres ! »
Vigilate ! C'est qu'il ne s'agit plus aujourd'hui, comme en d'autres temps,
de soutenir la lutte contre des formes déficientes ou altérées de la
civilisation religieuse et la plupart gardant encore une âme de vérité et de
justice héritée du christianisme ou inconsciemment puisée à son contact ;
aujourd'hui, c'est la substance même du christianisme, la substance même de la
religion qui est en jeu ; sa restauration ou sa ruine est l'enjeu des luttes
implacables qui bouleversent et ébranlent sur ses bases notre confinent et avec
lui le reste du monde.
Le temps n'est plus des indulgentes illusions, des jugements édulcorés qui
ne voulaient voir dans les audaces de la pensée, dans les errements du sens
moral qu'un inoffensif dilettantisme, occasion de joutes d'écoles, de vains
amusements de dialecticiens. L'évolution de ces doctrines, de ces principes
touche à son terme ; le courant, qui insensiblement a entraîné les générations
d'hier, se précipite aujourd'hui et l'aboutissement de toutes ces déviations
des esprits, des volontés, des activités humaines, c'est l'état actuel, le
désarroi de l'humanité, dont nous sommes les témoins, non pas découragés,
certes ! Mais épouvantés.
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La cathédrale Notre-Dame de Paris avant l'incendie |
Une grande partie de l'humanité dans l'Europe actuelle est, dans l'ordre
religieux, sans patrie, sans foyer. Pour elle, l'Église n'est plus le foyer familial ; Dieu n'est plus le
Père ; Jésus-Christ n'est plus qu'un étranger. Tombé des hauteurs de la
révélation chrétienne, d'où il pouvait d'un coup d'œil contempler le monde,
l'homme ne peut plus voir l'ordre dans les contrastes de sa fin temporelle et
éternelle ; il ne peut plus entendre et goûter l'harmonie en laquelle viennent
se résoudre paisiblement les dissonances. Quel tragique travail de Sisyphe que
celui qui consiste à poursuivre la restauration de l'ordre, de la justice, de
la félicité terrestre, dans l'oubli ou la négation même des relations
essentielles et fondamentales !
Quelle désillusion amère, quelle douloureuse ironie que la lecture des
fastes de l'humanité dans laquelle les noms de ceux que, tour à tour, elle a
salués comme des précurseurs, des sauveurs, les maîtres de la vie, les artisans
du progrès – et qui parfois le furent à certains égards – apparaissent
aujourd'hui comme les responsables, inconscients peut-être, des crises dont nous
souffrons, les responsables d'un retour, après vingt siècles de christianisme,
à un état de choses, à certains égards, plus obscur, plus inhumain que celui
qui avait précédé !
Une organisation économique gigantesque a étonné le monde par le
fantastique accroissement de la production, et des foules immenses meurent de
misère en face de ces producteurs qui souffrent souvent d'une détresse non
moins grande, faute de la possibilité d'écouler l'excès monstrueux de leur
production. Une savante organisation technique a semblé rendre l'homme
définitivement maître des forces de la nature et, dans l'orgueil de sa vie,
devant les plus sacrées lois de la nature, l'homme meurt de la fatigue et de la
peur de vivre et, lui qui donne à des machines presque l'apparence de la vie,
il a peur de transmettre à d'autres sa propre vie, si bien que l'ampleur
toujours croissante des cimetières menace d'envahir de tombes tout le sol
laissé libre par l'absence des berceaux.
À tous les maux, à toutes les crises, peuvent s'opposer les projets de
solution les plus divers, ils ne font que souligner l'impuissance, tout en
suscitant de nouveaux antagonismes qui dispersent les efforts. Et ces efforts
ont beau s'intensifier jusqu'au sacrifice total de soi-même, pour la
réalisation d'un programme pour le salut de la communauté, la disproportion
entre le vouloir et le pouvoir humains, entre les plans les plus magnifiques et
leur réalisation, entre la fin que l'on poursuit et le succès que l'on obtient,
va toujours s'accentuant. Et tant d'essais stériles et malheureux n'aboutissent
en fin de compte qu'à exaspérer toujours davantage ceux qui sont las
d'expériences vaines et qui réclament impérieusement, farouchement parfois et
avec menaces, de vivre et d'être heureux.
Vigilate ! Eh ! oui, il en est tant qui, pareils aux apôtres à Gethsémani,
à l'heure même où leur Maître allait être livré, semblent s'endormir dans leur
insouciance aveugle, dans la conviction que la menace qui pèse sur le monde ne
les regarde pas, qu'ils n'ont aucune part de responsabilité, qu'ils ne courent
aucun risque dans la crise où l'univers se débat avec angoisse. Quelle illusion
! Ainsi jadis, sur le mur du palais où Balthasar festoyait, la main mystérieuse
écrivait le Mane, Thécel, Pharès (note 6). Encore Balthasar eut-il la prudence
et la curiosité d'interroger Daniel, le prophète de Dieu ! Combien aujourd'hui
n'ont même pas cette prudente curiosité ! Combien restent sourds et inertes à
l'avertissement du Christ à ses apôtres : Vigilate et orate ut non intretis in
tentationem !
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Vue intérieure de Notre-Dame de Paris |
Vigilate ! Et pourtant l'Église, répétant la parole même du Christ, les
avertit. Depuis les derniers règnes surtout, les avertissements se sont faits
plus précis ; les encycliques se succèdent ; mais à quoi bon les
avertissements, les cris d'alarme, la dénonciation documentée des périls
menaçants, si ceux-là mêmes qui, régulièrement et correctement assis au pied de
la chaire, en entendent passivement la lecture, s'en retournent chez eux
continuer tranquillement leur habituel train de vie sans avoir rien compris ni
du danger commun ni de leur devoir en face du danger !
Vigilate ! Ce n'est pas aux seuls insouciants que ce cri s'adresse. Il
s'adresse aussi à ces esprits ardents, à ces cœurs généreux et sincères, mais
dont le zèle ne s'éclaire pas aux lumières de la prudence et de la sagesse
chrétienne. Dans l'impétueuse fougue de leurs préoccupations sociales, ils
risquent de méconnaître les frontières au-delà desquelles la vérité cède à
l'erreur, le zèle devient fanatisme et la réforme opportune passe à la
révolution. Et quand, pour mettre l'ordre et la lumière dans cette confusion,
le Vicaire de Jésus-Christ, quand l'Église, en vertu de sa mission divine,
élève la voix sur les grandes questions du jour, sur les problèmes sociaux,
faisant la part du vrai et du faux, du licite et de l'illicite, elle n'entend
favoriser ni combattre aucun camp ou parti politique, elle n'a rien d'autre en
vue que la liberté et la dignité des enfants de Dieu ; de quelque côté qu'elle
rencontre l'injustice, elle la dénonce et la condamne ; de quelque côté qu'elle
découvre le bien elle le reconnaît et le signale avec joie. Mais il est une
chose qu'elle exige de tous ses enfants, c'est que la pureté de leur zèle ne
soit pas viciée par des erreurs, admises sans doute de bonne foi et dans la
meilleure intention du monde, mais qui n'en sont pas moins dangereuses en fait
et qui, en fin de compte, viennent tôt ou tard à être attribuées non seulement
à ceux qui les tiennent, mais à l'Église elle-même. Malheur à qui prétendrait faire
pactiser la justice avec l'iniquité, concilier les ténèbres avec la lumière !
Quae enim participatio justitiae cum iniquitate ? Aut quae societas luci ad
tenebras ? (2 Cor. 6,14.)
C'est aux heures de crises, mes frères, que l'on peut juger le cœur et le
caractère des hommes, des vaillants et des pusillanimes. C'est à ces heures qu'ils donnent leur
mesure et qu'ils font voir s'ils sont à la hauteur de leur vocation, de leur
mission.
Nous sommes à une heure de crise. À la vue d'un monde qui tourne
le dos à la croix, à la vraie croix du Dieu crucifié et rédempteur, d'un monde
qui délaisse les sources d'eau vive pour la fange des citernes contaminées ; à
la vue d'adversaires, dont la force et l'orgueilleux défi ne le cèdent en rien
au Goliath de la Bible, les pusillanimes peuvent gémir d'avance sur leur
inévitable défaite ; mais les vaillants, eux, saluent dans la lutte l'aurore de
la victoire ; ils savent très bien leur faiblesse, mais ils savent aussi que le
Dieu fort et puissant, Dominus fortis et potens, Dominus potens in praelio (Ps
23, 8 ) se fait un jeu de choisir précisément la faiblesse pour confondre la
force de ses ennemis. Et le bras de Dieu n'est pas raccourci ! Ecce non est
abbreviata manus Domini ut salvare nequeat (Is. 59, 1)(note 10).
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Notre Dame de Paris, protectrice de la ville |
Dans un instant, quand, debout à l'autel, j'élèverai vers Dieu la patène
avec l'hostie sainte et immaculée pour l'offrir au Père éternel, je lui
présenterai en même temps la France catholique avec l'ardente prière que,
consciente de sa noble mission et fidèle à sa vocation, unie au Christ dans le
sacrifice, elle lui soit unie encore dans son œuvre d'universelle rédemption.
Et puis, de retour auprès du trône du Père commun pour lui faire part de
tout ce que j'aurai vu et éprouvé sur cette terre de France, oh ! comme je
voudrais pouvoir faire passer dans son cœur si aimant, pour le faire déborder
de joie et de consolation, mon inébranlable espérance que les catholiques de ce
pays, de toutes classes et de toutes tendances, ont compris la tâche
apostolique que la Providence divine leur confie, qu'ils ont entendu la voix de
Notre-Dame de Paris qui leur chante l'Orate, l'Amate, le Vigilate, non comme
l'écho d'un « hier » évanoui, mais comme l'expression d'un « aujourd'hui »
croyant, aimant et vigilant, comme le prélude d'un « demain » pacifié et béni.
Ô Mère céleste, Notre Dame, vous qui avez donné
à cette nation tant de gages insignes, de votre prédilection, implorez pour
elle votre divin Fils ; ramenez-la au berceau spirituel de son antique
grandeur, aidez-la à recouvrer, sous la lumineuse et douce étoile de la foi et
de la vie chrétienne, sa félicité passée, à s'abreuver aux sources où elle
puisait jadis cette vigueur surnaturelle, faute de laquelle les plus généreux
efforts demeurent fatalement stériles, ou tout au moins bien peu féconds ;
aidez-la aussi, unie à tous les gens de bien des autres peuples, à s'établir
ici-bas dans la justice et dans la paix, en sorte que, de l'harmonie entre la
patrie de la terre et la patrie du ciel, naisse la véritable prospérité des
individus et de la société tout entière.
« Mère du bon conseil », venez au secours des
esprits en désarroi devant la gravité des problèmes qui se posent, des volontés
déconcertées dans leur impuissance devant la grandeur des périls qui menacent !
« Miroir de justice », regardez le monde où des frères, trop souvent oublieux
des grands principes et des grands intérêts communs qui les devraient unir,
s'attachent jusqu'à l'intransigeance aux opinions secondaires qui les divisent
; regardez les pauvres déshérités de la vie, dont les légitimes désirs
s'exaspèrent au feu de l'envie et qui parfois poursuivent des revendications
justes, mais par des voies que la justice réprouve ; ramenez-les dans l'ordre
et le calme, dans cette tranquillitas ordinis qui seule est la vraie paix !
Regina pacis ! Oh ! Oui ! En
ces jours où l'horizon est tout chargé de nuages qui assombrissent les cœurs
les plus trempés et les plus confiants, soyez vraiment au milieu de ce peuple
qui est vôtre la « Reine de la Paix » ; écrasez de votre pied
virginal le démon de la haine et de la discorde ; faites comprendre au monde,
où tant d'âmes droites s'évertuent à édifier le temple de la paix, le secret
qui seul assurera le succès de leurs efforts : établir au centre de ce temple
le trône royal de votre divin Fils et rendre hommage à sa loi sainte, en
laquelle la justice et l'amour s'unissent en un chaste baiser, justitia et pax
osculatae sunt (Ps 74, 11) (note 12).
Et que par vous la France, fidèle à sa vocation,
soutenue dans son action par la puissance de la prière, par la concorde dans la
charité, par une ferme et indéfectible vigilance, exalte dans le monde le
triomphe et le règne du Christ Prince de la paix, Roi des rois et Seigneur des
seigneurs. Amen.