Quelque excessives que fussent les
persécutions suscitées à Boudon nous l’avons vu supporter sans murmure et sans
trouble les peines de tout genre qu’elles lui attirèrent abandonner en quelque
sorte sa réputation à ceux qui voulaient la flétrir et la perdre et soumettre
son cœur au renoncement de ce qu’il y a de plus cher à la nature sans se
permettre aucune démarche qui pût justifier son innocence.
Cette inaction
apparente pourrait sembler d’abord le résultat d’un abattement extrême ou d’une sorte de désespoir de gagner sa
cause. Cependant jamais l’espérance ne
fut plus assurée et plus ferme dans le cœur de Boudon qu’alors qu’il se
courbait ainsi sans rien faire pour les parer sous les coups multipliés qui
l’accablaient comme cette espérance n’avait point d autre fondement que Dieu
seul rien de ce qui lui arrivait de la part des hommes ne pouvait en altérer la
douceur il les laissait se livrer au
mensonge et à l’intrigue pour l’humilier et le perdre, bien persuadé que tous
leurs efforts seraient vains aussitôt que le temps marqué par la volonté divine
pour la durée de son épreuve serait écoulé et que ses peines cesseraient dès
que celle qu’il avait choisie dans le ciel pour protectrice et pour mère aurait
dit.
Reliquaire de saint Taurin, premier évêque d'Evreux |
C’est assez. Il
avait rapporté de ses fréquentes communications avec Dieu un secret
pressentiment que cet instant n’était pas éloigné mais en attendant il adorait
avec plus d’amour et de résignation que jamais l’accomplissement de ses
desseins sur lui. A mesure que tout lui
manquait dans le monde il se perdait avec un abandon plus absolu dans le sein
de cet être adorable qui semble jeter des regards plus miséricordieux et plus
tendres sur l’âme affligée et se plaire à lui faire sentir d’une manière aussi
sensible qu’efficace la douceur de sa présence.
Il s’efforçait
aussi de se dédommager par les suffrages des amis qu’il invoquait dans le ciel
de l’inconstance et de l’ingratitude de ceux qui l’abandonnaient sur la terre. Ses pèlerinages étaient plus fréquents, ses
pratiques de dévotion envers la sainte Vierge et les Saints plus longues et
plus ferventes, il allait souvent prier la mère de Dieu à Notre Dame de
Chartres et, lorsqu’il était à Evreux, il visitait presque tous les jours les
autels de sa dévotion ; on le voyait fréquemment aussi sur le tombeau du
premier apôtre de ce diocèse saint Taurin. Il y allait souvent, selon les
expressions de M Bosguérard, épancher
son cœur dans les détresses dont il était abîmé. Ce furent son exemple et
la protection éclatante qu’il en obtint qui ranimèrent alors à Evreux la
dévotion de ce saint évêque qui était tombée dans un oubli profond.
Voile de la Vierge Marie, Cathédrale de Chartres |
La vue de Boudon prosterné avec tant de
confiance et de foi devant ces précieuses reliques y attira quelques âmes
affligées qui cherchaient aussi du secours dans leurs peines. Bientôt leur nombre s’accrut tellement
qu’il eut la consolation de voir ce
saint tombeau aussi fréquenté qu’il était auparavant désert. Il n’omit rien
dans la suite pour entretenir cette confiance des âmes pieuses il écrivit une
vie de saint Taurin : il conseilla plusieurs pratiques de dévotion en son
honneur et si sa fête est maintenant
célébrée à Evreux avec tant de solennité, si l’affluence y est si considérable
et les grâces qu’on en retire si nombreuses et si efficaces, on doit avec
justice l’attribuer à Boudon.
Enfin tandis qu’on
le jugeait indigne de travailler pour Dieu, il s’y livrait au contraire avec plus de zèle et d’application que
jamais, il s’abandonnait à son
esprit pour composer des ouvrages où on
retrouve presque à chaque page l’empreinte d’une foi si vive d’un amour si
sublime qu’on ne peut se défendre en les lisant d’un attendrissement secret
d’une douce et intime persuasion.
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