Armoiries de Son Eminence Révérendissime Philippe Cardinal Barbarin, Primat des Gaules Archevêque de Lyon |
Extraits de la conférence du Cardinal Philippe Barbarin
‘‘La France est-elle
encore la « fille aînée de l’Eglise » ?’’
à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, le 15 avril
2013
Je voudrais vous
partager maintenant cette remarque étonnante : tout le monde se souvient que le
Bienheureux Jean-Paul II a utilisé l’expression à la Messe célébrée au Bourget
le dimanche 1er juin 1980, lors de son premier voyage apostolique en France.
Durant son homélie, où
il commentait les dernières lignes de l’Evangile selon saint Matthieu : « Allez, enseignez toutes les nations,
baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et apprenez-leur à
garder les commandements » (28, 19-20), le pape a parlé de la longue
histoire de la foi dans notre pays. Il a évoqué « Irénée, ce grand martyr et Père apostolique qui fut évêque de Lyon
», puis « le Martyrologe romain, [où l’]
on fait très souvent mention de Lutetia Parisiorum ». Puis il s’est exclamé
: « D’abord la Gaule, et ensuite, la
France : la Fille aînée de l’Eglise ! (…) Je
voudrais répéter ces paroles qui constituent votre titre de fierté : la Fille
aînée de l’Eglise ! »
Il a parlé du « grand chapitre » de l’histoire de
l’Eglise qui est inscrit dans l’histoire de notre patrie et au moment de
prononcer le nom des saints de notre pays, il a dit : « Il me serait difficile de les nommer tous, mais j’évoquerais au moins
ceux qui ont exercé la plus grande influence dans ma vie: Jeanne d’Arc,
François de Sales, Vincent de Paul, Louis-Marie Grignion de Montfort,
Jean-Marie Vianney, Bernadette de Lourdes, Thérèse de Lisieux, Sœur Elisabeth
de la Trinité, le Père de Foucauld, et tous les autres.»
A la fin de l’homélie,
il a lancé cette apostrophe mémorable : « Alors,
permettez-moi de vous interroger : ‘’France,
fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême?’’
Permettez-moi de vous demander : ‘’France, fille aînée de l’Eglise et éducatrice
des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la
sagesse éternelle ?’’ Pardonnez-moi cette question. »
Reprenant son propos
l’après-midi, devant les évêques de France réunis à Issy-les-Moulineaux,
Jean-Paul II avait ajouté : « Cela crée beaucoup de devoirs. » Ce
qui est étrange, c’est que lorsqu’il est revenu en France, seize ans plus tard,
précisément pour le XVème centenaire du baptême de Clovis, il n’a pas utilisé
de nouveau cette expression. Certains disent qu’on lui a fait remarquer entre
temps qu’elle manquait de fondement historique.
Certes, du XIIIème au
XIXème siècle, lorsque le Pape appelle la France au secours pour défendre ses
intérêts temporels, elle répond. C’est
Grégoire IX le premier qui demande, en 1239, l’aide de saint Louis contre
l’empereur Frédéric II, en lui écrivant : « Le Royaume de France a été placé
par Dieu au-dessus de tous les peuples ; Jésus-Christ l’a choisi comme
l’exécuteur spécial des volontés divines. »
Et sept siècles plus
tard, l’empereur Napoléon III vole encore au secours des Etats pontificaux,
menacés par le projet de l’unité italienne et Monsieur Thiers offre à Pie IX le
château de Pau comme refuge. Mais l’expression « fille aînée de l’Eglise », on ne la trouve pas ! En fait, c’est le roi de France qui est regardé et
qui se considère comme « le fils aîné
», «le roi très chrétien».
Lorsque Charles VI
vient, en 1389, visiter le Pape Clément VII en Avignon, celui-ci lui dit qu’en
lui « comme au bras dextre de l’Eglise,
et vrai champion et très chrétien, il a singulière fiance ». Au début du
XVIe siècle, la célèbre rencontre de Bologne entre François Ier et Léon X, le
11 décembre 1515, nous est ainsi rapportée par le Chancelier du Prat : « Tandis
que les autres rois et princes chrétiens ont l’habitude de témoigner au pape
leur obéissance filiale par simple délégation, lui, François, est venu en
personne jurer fidélité à Léon, comme le fils aîné à son père, le plus grand
des rois au Souverain Pontife, le prince très chrétien au chef de la chrétienté.
»
Il est plus amusant de
retrouver ce langage un siècle plus tard, quand il est appliqué à Henri IV, le
premier et unique chanoine du Latran. Apprenant sa mort, le pape Paul V dit à
l’ambassadeur Pierre de l’Estoile : « Ah,
mon ami, vous avez perdu votre roi et votre bon maître, et moi, j’ai perdu mon bon fils aîné. »
(…) Lacordaire essaie de
comparer l’élection du peuple juif dans la Bible au choix de la France : « Dieu, voyant les peuples s’éloigner de lui,
en choisit un et il le forma Lui-même, annonçant à Abraham que toutes les
nations seraient bénies en lui » et, après avoir traversé les siècles en
évoquant la venue du Seigneur, puis Constantin, Clotilde, Clovis et saint Rémy,
Lacordaire conclut en disant: « De même
que Dieu a dit à son Fils de toute éternité : ‘’Tu es mon premier-né’’, la papauté a dit à la France: ’’Tu es ma
fille aînée.’’ Elle a fait plus, s’il est possible, elle a créé un
barbarisme sublime : elle a nommé la France le Royaume christianissime –
christianissimum regnum. »
(…) La France, « fille aînée de l’Eglise » : l’origine de
l’expression est aujourd’hui oubliée, le rapport entre les nations s’est
considérablement modifié, le paysage du catholicisme en France n’a plus rien à
voir avec celui que connaissait Lacordaire… Mais l’expression est toujours là,
dans les esprits ; elle vient sur les lèvres, même si elle ne concerne
plus les relations entre le Souverain Pontife et « son bon fils aîné ». Elle
renvoie à un passé spirituel, théologique et missionnaire impressionnant.
Clovis recevant les fleurs de lys, miniature du XVe siècle |
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