Dom Guéranger, "L’Année
liturgique", pour le 3e dimanche de Carême
Le Christ exorcisant un possédé et chassant un démon, Bible enluminée par Guiard des Moulins, XIVe |
Depuis la promulgation de
l’Évangile, le pouvoir de Satan sur les corps s’est trouvé restreint par la
vertu de la Croix, dans les pays chrétiens ; mais il reprend une nouvelle
extension, si la foi et les œuvres de la piété chrétienne diminuent. De là toutes ces horreurs
diaboliques qui, sous divers noms plus ou moins scientifiques, se commettent
d’abord dans l’ombre, sont ensuite acceptées dans une certaine mesure par les
gens honnêtes, et pousseraient au renversement
de la société, si Dieu et son Église n’y mettaient enfin une digue.
Chrétiens de nos jours,
souvenez-vous que vous avez renoncé à Satan, et prenez garde qu’une ignorance
coupable ne vous entraîne dans l’apostasie. Ce n’est pas à un être de raison que vous avez renoncé sur les
fonts baptismaux : c’est à un être
réel, formidable, et dont Jésus-Christ nous dit qu’il a été homicide dès le
commencement.
Mais si nous devons
redouter l’affreux pouvoir qu’il peut exercer sur les corps, et éviter tout
contact avec lui dans les pratiques auxquelles il préside, et qui sont le culte
auquel il aspire, nous devons aussi craindre son influence sur nos âmes.
Mosaïques, "Vade retro Satana", Passe derrière moi, Satan ! |
Voyez quelle lutte la
grâce divine a dû engager pour
l’arracher de votre âme. En ces jours, l’Église nous offre tous ses moyens
pour triompher de lui : le jeûne
uni à la prière et à l’aumône. Vous arriverez à la paix ; et votre
cœur, vos sens purifiés, redeviendront le temple de Dieu. Mais n’allez pas
croire que vous ayez anéanti votre ennemi. Il
est irrité ; la pénitence l’a expulsé honteusement de son domaine, et il a
juré de tout tenter pour y rentrer. Craignez donc la rechute dans le péché
mortel ; et pour fortifier en vous cette crainte salutaire, méditez la
suite des paroles de notre Évangile.
Le Sauveur nous y apprend que cet
esprit immonde, chassé d’une âme, s’en va errant dans les lieux arides et
déserts. C’est là qu’il dévore son humiliation, et qu’il sent davantage les
tortures de cet enfer qu’il porte partout avec lui, et dont il voudrait se
distraire, s’il le pouvait, par le meurtre des âmes que Jésus-Christ a
rachetées.
L’Ancien Testament nous montre déjà les démons vaincus, réduits à
fuir dans des solitudes éloignées : c’est ainsi que le saint Archange
Raphaël relégua dans les déserts de l’Égypte supérieure l’esprit infernal qui
avait fait périr les sept maris de Sara. Mais
l’ennemi de l’homme ne se résigne pas à rester ainsi toujours éloigné de la
proie qu’il convoite. La haine le pousse, comme au commencement du monde,
et il se dit : « Il faut que je
retourne à ma maison d’où je suis sorti ».
Les démons et les vices poussant les hommes au mal et à la mort, Raoul de Presles, XVe |
Mais il ne viendra pas
seul ; il veut triompher, et pour cela il amènera, s’il le faut, avec lui
sept autres démons plus pervers encore. Quel choc se prépare pour la pauvre
âme, si elle n’est pas vigilante, fortifiée ; si la paix que Dieu lui a rendue n’a pas été une paix
armée ! L’ennemi sonde les abords
de la place ; dans sa perspicacité, il examine les changements qui se sont
opérés pendant son absence. Qu’aperçoit-il dans cette âme où il avait
naguère ses habitudes et son séjour ? Notre Seigneur nous le dit : le démon la trouve sans défense, toute
disposée à le recevoir encore ; point d’armes dirigées contre lui. Il semble que l’âme attendait cette
nouvelle visite. C’est alors que, pour être plus sûr de sa conquête, l’ennemi va chercher ses renforts.
L’assaut est donné ; rien ne résiste ; et bientôt, au lieu d’un hôte
infernal, la pauvre âme en recèle une troupe ; « et, ajoute le Sauveur, le
dernier état de cet homme devient pire que le premier ».
Comprenons l’avertissement que nous donne la sainte Église, en
nous faisant lire aujourd’hui ce terrible passage de l’Évangile. De toutes
parts, des retours à Dieu se ménagent ; la réconciliation va s’opérer dans
des millions de consciences ; le Seigneur va pardonner sans mesure ;
mais tous persévéreront-ils ?
Le démon s'amusant avec Martin Luther, gravure représentant la folie des hérétiques et des pécheurs suivant le démon. |
Lorsque
le Carême reviendra dans un an convoquer les chrétiens à la pénitence, tous
ceux qui, dans ces jours, vont se sentir arrachés à la puissance de Satan,
auront-ils maintenu leurs âmes franches et libres de son joug ? Une triste
expérience ne permet pas à l’Église de l’espérer. Beaucoup retomberont, et peu de temps après leur délivrance, dans
les liens du péché. Oh ! S’ils
étaient saisis par la justice de Dieu en cet état ! Cependant, tel sera le
sort de plusieurs, d’un grand nombre peut-être.
Craignons donc la
rechute ; et pour assurer notre persévérance, sans laquelle il nous eût peu
servi de rentrer pour quelques jours seulement dans la grâce de Dieu, veillons désormais, prions, défendons les
abords de notre âme, résignons-nous au combat ; et l’ennemi, déconcerté de
notre contenance, ira porter ailleurs sa honte et ses fureurs.
La porte du Ciel s'ouvre par la Croix, la prière et la pénitence. Saint Carême ! |
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