Dom Guéranger, L'année liturgique, au 8 mai, les apparitions de S. Michel, Archange
David
avait prédit que l'arrivée de l'Emmanuel en ce monde serait saluée par les
saints Anges, et qu'ils l'adoreraient humblement au moment où il manifesterait
sa présence au milieu des hommes. Nous vîmes l'accomplissement de cet oracle
dans la nuit à jamais heureuse où Marie nous donna le divin fruit de ses
entrailles. Les concerts angéliques retentissaient avec une mélodie toute
céleste qui attira les bergers dans l'étable, et nous nous mêlâmes à eux pour
offrir nos hommages au Dieu enfant. Dans le triomphe de sa résurrection, l'Emmanuel ne pouvait manquer d'être
entouré par ces Esprits bienheureux qui l'avaient considéré avec une
terreur si profonde dans les humiliations et les douleurs de sa passion. A peine a-t-il franchi la barrière qui le
retenait captif dans le sépulcre, qu'un Ange dont le visage lance des éclairs,
et dont les vêtements sont éblouissants comme la neige, vient renverser la
pierre qui fermait l'entrée du tombeau, et annonce aux saintes femmes que celui
qu'elles cherchent est ressuscité. Lorsqu'elles pénètrent dans la grotte du
sépulcre, deux nouveaux Anges vêtus de blanc se présentent à leurs
regards, et leur confirment la nouvelle.
Rendons
nos hommages à ces augustes messagers de notre délivrance, et contemplons-les
avec respect entourant de leurs phalanges le divin roi Jésus, pendant son
séjour ici-bas. Ils adorent cette humanité glorifiée qu'ils verront bientôt
s'élever au plus haut des cieux et prendre place à la droite du Père.
Ils conjouissent à notre bonheur en cette fête de Pâques, par
laquelle l'immortalité nous est rendue en notre Sauveur ressuscité; et, ainsi
que saint Grégoire nous l'enseignait il y a quelques jours, « cette
Pâque devient aussi la fête des Anges ; car en même temps qu'elle nous
rouvre le ciel, elle leur annonce que les pertes qu'ils ont
éprouvées dans leurs rangs vont être réparées. » Il est donc juste que
le Temps pascal consacre une solennité au culte des Esprits angéliques. Aux
approches de l'Annonciation de Marie, nous avons fêté
Gabriel, le céleste para-nymphe; aujourd'hui c'est l'Archange Michel,
le prince de la milice du ciel, qui va recevoir nos hommages. Il a fixé
lui-même ce jour en apparaissant aux hommes, et leur laissant un gage de sa
présence et de sa protection.
Le nom seul de Michel le désigne à notre
admiration : c'est un cri d'enthousiasme et de fidélité. « Qui est semblable à Dieu? » ainsi s'appelle notre sublime Archange. Au fond des enfers, Satan frémit encore à
ce nom qui lui rappelle la noble protestation par laquelle ce radieux Esprit
accueillit la tentative de révolte des anges infidèles. Michel a fait ses
preuves dans l'armée du Seigneur, et pour cette raison la garde et la défense du
peuple de Dieu lui fut confiée, jusqu'au jour où l'héritage de la synagogue
répudiée passa à l'Eglise chrétienne. Maintenant il est le gardien et le
protecteur de l'Epouse de son Maître, notre mère commune. Son bras veille sur
elle ; il la soutient et la relève dans ses épreuves, et il a la main dans tous
ses triomphes.
Mais
n'allons pas croire que le saint Archange chargé des intérêts les plus vastes
et les plus élevés pour la conservation de l'œuvre du Christ, en soit tellement
surchargé qu'il n'ait pas une oreille ouverte à la prière de chacun des membres
de la sainte Eglise. Dieu lui a donné un cœur compatissant envers nous ; et pas
une seule de nos âmes n'échappe à son action. Il tient le glaive pour la
défense de l'Epouse du Christ ; il s'oppose au dragon, toujours prêt à s'élancer
contre la Femme et son fruit ; mais en même temps il daigne être attentif
lorsque chacun de nous, après avoir confessé ses péchés au Dieu tout-puissant,
à la bienheureuse Vierge Marie, les avoue aussi à lui, Michel archange, et lui
demande la faveur de son intercession auprès de Dieu.
Son
œil veille par toute la terre au lit des mourants ; car sa charge spéciale est de recueillir les âmes élues au sortir de leurs
corps. Avec une tendre sollicitude et une majesté incomparable, il les
présente à la lumière éternelle et les introduit dans le séjour de la gloire.
C'est la sainte Eglise elle-même qui, dans les textes de la Liturgie, nous
instruit sur ces prérogatives du grand Archange. Elle nous enseigne qu'il a été préposé au Paradis, et que Dieu
lui a confié les âmes saintes pour les conduire à la région du bonheur sans fin.
Au
dernier jour du monde, lorsque notre divin Ressuscité paraîtra assis sur les
nuées du ciel pour juger le genre
humain, Michel aura à remplir un ministère formidable, lorsque, avec les autres
Anges, il accomplira la séparation des élus et des réprouvés, qui auront repris
leurs corps dans la résurrection générale. Au moyen âge, nos pères aimaient
à représenter l'action du saint Archange dans ce moment terrible. Ils le
figuraient au pied du trône du souverain juge, tenant une balance dans laquelle
il pèse les âmes avec leurs œuvres.
Le
culte d'un si puissant ministre de Dieu, d'un si bienveillant protecteur des
hommes, devait se répandre dans la chrétienté, surtout après la défaite des
faux dieux, lorsqu'il n'y eut plus à craindre que les hommes fussent tentés de
lui décerner les honneurs divins. Constantin
lui éleva près de sa nouvelle capitale un sanctuaire célèbre qui porta le nom Michaélion ;
et à l'époque où Constantinople tomba au pouvoir des Turcs, on n'y comptait pas
moins de quinze églises consacrées sous le nom de saint Michel, soit dans
l'enceinte de la ville, soit dans les faubourgs. Dans le reste de la
chrétienté cette dévotion ne s'étendit que par degrés; et ce fut par des
manifestations du saint Archange que les fidèles furent doucement avertis de
recourir à lui. Ces manifestations étaient locales, vulgaires en apparence;
mais Dieu, qui fait sortir les grands effets des petites causes, s'en servit
pour éveiller peu à peu chez les chrétiens le sentiment de la confiance envers
leur céleste protecteur. Les Grecs
célèbrent l'apparition qui eut lieu en Phrygie, à Chône, nom qui a
remplacé celui de Colosses. Il existait dans cette ville une église en
l'honneur de saint Michel, et elle était fréquentée par un saint
personnage nommé Archippe, que les païens poursuivaient avec fureur. Afin
de se défaire de lui, ils lâchèrent l'écluse d'un cours d'eau qui vint s'unir
au Lycus, et menaça de renverser l'église Saint-Michel,
où Archippe était en prières. Tout à coup le saint Archange apparut
tenant en main une verge; à son aspect
l'inondation recula, et les eaux, grossies par l'affluent que la malice des
païens avait déchaîné, allèrent se perdre dans le gouffre où
le Lycus s'enfonce et disparaît près de Colosses. La date de ce
prodige n'est pas certaine ; on sait seulement qu'il eut lieu à une époque où
les païens étaient encore assez nombreux à Colosses pour inquiéter les
chrétiens.
Sanctuaire de Saint-Michel du Mont Gargan, Italie |
Une
autre apparition fut destinée à accroître la dévotion à saint Michel chez les
peuples de l'Italie, et eut lieu sur le
mont Gargan, en Apulie ; c'est celle que nous fêtons aujourd'hui. Une
troisième se passa en France, sur les côtes de Normandie, au mont Tomba ; nous
la célébrerons au 16 octobre.
La
fête d'aujourd'hui n'est pas la plus solennelle des deux que l'Eglise consacre
chaque année à saint Michel ; celle du 29 septembre est d'un degré supérieur,
mais elle est moins personnelle au saint Archange. On y honore en même temps
tous les chœurs de la hiérarchie angélique. Voici maintenant le récit
liturgique de l'apparition du grand Archange sur le mont Gargan, tel qu'il est
consigné au Bréviaire romain.
L'autorité
des livres sacres et l'ancienne tradition des saints nous apprennent que le
bienheureux Archange Michel a souvent apparu aux hommes : ce qui est la cause
que la mémoire de ces apparitions est célébrée en plusieurs lieux. Comme
autrefois la synagogue des Juifs, de même aujourd'hui l'Eglise de Dieu le
révère comme son gardien et son protecteur. Une célèbre apparition du saint Archange eut lieu sous le pontificat de
Gélase Ier, en Apulie, sur le sommet du mont Gargan, au pied duquel est
située la ville de Siponto.
Un
taureau appartenant à un homme qui habitait cette montagne s'étant un jour
écarté du troupeau, on le chercha longtemps, et enfin on le trouva qui s'était
embarrassé dans des broussailles à l'entrée d'une caverne. Un des hommes qui
étaient à la poursuite du taureau ayant lancé sur lui une flèche pour le
percer, la flèche se détourna, et revint sur celui qui l'avait lancée. Une
terreur religieuse saisit alors les gens qui étaient à la poursuite de
l’animal, ainsi que ceux à qui ils racontèrent la chose, en sorte que personne
n'osait approcher de la caverne. Les habitants de Siponto en
référèrent à leur évêque, qui leur répondit qu'il fallait consulter Dieu, et
ordonna trois jours de jeûnes et de prières à cette intention.
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