Il semble que le seul maintien d’une
personne, son attitude, nous la révèlent tout entière, comme si son extérieur
semblait sculpter son âme. Certes, la
Vierge de Lourdes, en se montrant à sainte Bernadette, vient nous apporter un
message qui redit l’essentiel de l’Evangile : prière et pénitence. Presque
toutes les apparitions de la Sainte Vierge reprennent cet enseignement qui,
pour en être capital, est trop souvent bien vite oublié. Mais, avant de l’entendre,
il suffit de la regarder pour recevoir sa leçon : la révélation de son état d’âme
à l’image duquel ses enfants doivent se conformer afin de porter la
ressemblance maternelle. Contemplons cette image de l’Immaculée, tant
reproduite dans nos églises, regardons dans le recueillement son visage, ses
mains, ses pieds. Avant que de parler, elle apparaît et sa seule apparition
comporte une leçon morale.
Notre-Dame de Lourdes regarde le ciel. Dans ce
visage, les yeux, qui sont le sens le plus parlant, sont levés vers Dieu et
semblent porter tout son être vers Dieu seul d’un même élan total.
Ainsi, vient-elle nous révéler
son nom d’Immaculée, en nous rappelant aux lois fondamentales de la prière et
de la pénitence. Sa seule attitude nous livre son âme et nous invite à y faire
la nôtre semblable par le seul mystérieux attrait de sa beauté morale. Beau
reflet de son privilège d’Immaculée, que ce don entier d’elle-même à Dieu. Ce
privilège, que notre pauvre langage humain exprime d’une façon négative : « immaculée, sans tache, sans péché »,
est une réalité positive, profonde et splendide. Il s’agit d’une plénitude de
grâce de la part de Dieu à laquelle correspond l’offrande totale de Marie au
Seigneur.
Cette attitude d’âme est celle à
laquelle nous devons tendre. Enfants de
Dieu, parce que nous tenons du Seigneur et la vie naturelle et la vie
surnaturelle, le premier mouvement en tout et toujours doit être de s’orienter
vers Dieu. Dès nos premières leçons de catéchisme, nous avons appris que
Dieu nous a créés pour le connaître, l’aimer, le servir et lui plaire, aussi,
quelle que soit notre vocation, notre état, nos occupations, tout ce qui fait
notre vie cherche Dieu et aboutit à lui.
A peine avons-nous commencé notre
chapelet, qu’en récitant le Pater, reçu de la bouche de Jésus, nous affirmons
ne pas vouloir autre chose que sanctifier le Nom divin, que faire advenir son
règne et que faire sa volonté. Le saint apôtre Paul, entrant plus avant dans le
détail de nos vies, jusqu’aux actions les plus simples et les plus naturelles,
dira : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez et quoi que vous fassiez,
faites tout pour la gloire de Dieu » (I Corinthiens X 31).
Les saints, singulièrement les fondateurs d’Ordres,
ont tracé à leurs disciples un chemin de perfection. Si, à première vue, ces
chemins peuvent paraître différents, en réalité, tous, avec des expressions
semblables, portent au même but : saint Ignace de Loyola veut que ses Jésuites
travaillent « pour la plus grande de
Dieu », comme saint Louis-Marie Grignion de Montfort veut que ses religieux
n’aient en tête que « Dieu seul »,
comme sainte Anne-Marie Javouhey ordonne ses religieuses à « la sainte volonté
de Dieu. » Voilà, en définitive, ce que nous dit, la figure extatique de la
Vierge de Massabielle au regard fixé vers Dieu.
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Notre Dame de Lourdes, couronnée |
Habituellement, lorsqu’elle
apparaissait à sainte Bernadette, l’Immaculée avait les mains jointes sur sa
poitrine, même s’il lui arriva d’ouvrir les bras. Lorsqu’elle égrainait son
chapelet avec Bernadette, tout le temps que la voyante le récitait, ses mains
devenaient jointes aux doigts entrelacés. Mains jointes paume contre paume, ou
mains jointes aux doigts entrelacés, c’est toujours l’attitude de la prière.
Par-là, elle nous souligne que la prière
est le moyen de rester fixés à Dieu et de nous unir à lui.
Par la prière, mouvement de l’esprit et du cœur, avant d’être
mouvement des lèvres, se fait notre union à Dieu. Par la foi, l’adoration, la
demande, la prière donne à tout le reste de notre activité valeur d’hommage à
Dieu. Reconnaissons que la faiblesse de nos conceptions et de nos
interprétations humaines nous font souvent négliger la prière ; sous prétexte que le saint apôtre Jacques nous enseigne
que la foi sans les œuvres est une foi morte, bien des chrétiens n’accordent
pas leur vie extérieure à leurs pratiques de piété ; sous prétexte qu’il existe
des dévots égoïstes, paresseux, orgueilleux, avares, médisants et peu
charitables, les beaux esprits entendent minimiser le rôle cultuel de la
religion et la veulent concentrer dans les activités extérieures ; c’est tout
juste s’ils ne placent pas ce que le monde appelait autrefois l’honnête homme,
sans aucune religion et vaguement altruiste, au-dessus du catholique pratiquant
et observant. Assurément, Jésus lui-même
demandait des « adorateurs en esprit et en vérité »; il dit à des pharisiens,
hypocrites : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi »
; il déclara : « Ce ne sont pas ceux qui disent : Seigneur, Seigneur, qui
entreront dans le royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père
qui m’a envoyé. » Mais n’oublions pas non plus qu’il a recommandé : « Il faut
toujours prier ». Et pour toujours prier, pour que nos activités les plus
charitables, pour que nos œuvres de zèle restent toujours prière et ne dévient
pas en satisfactions personnelles, en quête de vaine gloire ou de popularité,
voire même en simple altruisme naturel, il est nécessaire de faire souvent
retour à Dieu par la prière bien comprise : élévation de notre âme vers Dieu
pour reconnaître que tout vient de lui et doit aller à lui, qu’il est tout et
que nous ne sommes rien. Telle est la
leçon que nous donne l’Immaculée aux mains jointes et jusque dans le concret,
en tenant le chapelet qui est la prière des humbles.
Sur chacun des pieds nus de Notre-Dame de
Lourdes, on voit une rose jaune qui brillait comme de l’or. Ses pieds
disparaissaient, pour ainsi dire, sous le pan de la robe et les deux roses lui
faisaient comme une chaussure. Comment ne pas se rappeler ici l’enthousiasme du
prophète : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix ! » Il
exalte les pieds des missionnaires parce qu’ils sont le signe de leur activité
et de leur zèle. Ces deux roses, sur les pieds de l’Immaculée, sont, comme
toujours, symbole d’amour, de l’amour de Dieu et du prochain, du double amour qui
se résout en un seul, la charité, vertu théologale. Mais symbole de son amour
agissant puisqu’elles fleurissent sur ses pieds. Amour qui s’active, qui se dépense, qui s’épuise pour Dieu et pour les
âmes. Ainsi son union à Dieu indiquée par son regard, formée par la prière, s’achève
dans l’amour véritable, non celui des mots mais celui des actes. Parfait modèle
de la pleine justice, de la totale religion, de la dédicace sans réserve à Dieu
et, à cause de Dieu, aux autres.
Le montre-t-elle assez, Notre-Dame de Lourdes,
qu’elle est venue secourir ceux qui souffrent, par les innombrables miracles
qui se répètent depuis un siècle ! Le montre-t-elle assez, Notre-Dame de
Lourdes, qu’elle est venue purifier les âmes aux piscines de la pénitence non
moins miraculeuses que celles de la Grotte ! Mais, déjà, sa seule attitude le
révèle à tous ceux qui la regardent. Si deux roses d’or ornent ses pieds, c’est
qu’elle unit la contemplation de Marie à l’activité de Marthe. Et, à son
exemple, l’âme chrétienne qui tend à la perfection ne doit pas s’isoler dans
une sorte de recherche de Dieu qui ne serait plus qu’une recherche de soi-même,
de sa tranquillité ou de sa paix. Si on
aime Dieu, peut-on supporter de le voir méconnu et ignoré par tant et tant d’âmes ?
Si, pour Dieu, on aime le prochain, peut-on ne pas s’efforcer de lui procurer
ce qui peut l’aider à trouver les biens célestes ? Qu’elle est petite, cette
pauvre charité des biens matériels nécessaires qui ne vise pas à communiquer le
bien suprême de la sanctification ! Certes, qui peut le plus doit le moins,
mais le moins n’a jamais remplacé le plus. Faisons du bien quand nous le
pouvons, secourons les pauvres, adonnons-nous aux œuvres de miséricorde, mais
que nos actions n’aient pour but et pour mobile que la plus grande gloire de
Dieu, en dehors de quoi il n’y a qu’agitation humaine, activité naturelle de
solidarité et don passager de soi.
Ne méritons pas ce reproche du prophète qui
disait : « Ils ont des yeux et ne verront pas » ; agenouillons devant la statue de Notre-Dame de Lourdes pour recevoir la
leçon de sa religieuse et charitable attitude. Son image est une
prédication vivante : elle nous enseigne la primauté de Dieu, vers qui nous
avons à tourner notre visage et à fixer nos yeux ; elle nous enseigne la prière par laquelle on se relie à Dieu ; elle
nous enseigne la charité effective, entreprenante, active qui en a fini avec le
prétexte égoïste.
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Grotte de Massabielle, gravure |
Daigne, l’Immaculée,
prendre notre cœur avec le sien pour lui communiquer l’amour de Jésus Dieu,
afin que nous soyons fondus avec elle dans le cœur de Jésus, pour aimer avec
lui. Amen.
Abbé Chr.Ph Chanut