Déposition de frère Jean Toutmouillé, des frères
prêcheurs.
Le jour où
Jeanne fut brûlée, je me trouvai dès le matin en la prison avec frère Martin
Ladvenu que l’évêque de Beauvais lui avait envoyé pour l’induire à vraie
pénitence et l’entendre en confession; ce que ledit Ladvenu fit bien
soigneusement et charitablement.
Quand il
annonça à Jeanne la sentence des juges et qu’elle ouït la dure et cruelle mort qui
l’attendait, elle cria douloureusement et piteusement, se tira et arracha les
cheveux: « Hélas, me traite-t-on ainsi horriblement et cruellement qu’il faille
que mon corps net et entier qui ne fut jamais corrompu soit aujourd’hui consumé
et réduit en cendres! Ah! ah! j’aimerais mieux être décapitée sept fois que
d’être ainsi brûlée. Hélas si j’eusse été en la prison ecclésiastique à
laquelle je m’étais soumise et que j’eusse été gardée par les gens d’Eglise,
non pas par mes ennemis et adversaires, il ne me fût pas si misérablement
arrivé malheur. Oh! j’en appelle devant Dieu, le grand juge, des grands torts
et ingravances qu’on me fait. » Et elle se plaignait merveilleusement
des oppressions et violences qu’on lui avait faites.
Après ces
plaintes survint l’évêque de Beauvais auquel elle dit incontinent: « Evêque,
je meurs par vous. » Il commença à lui faire des remontrances, disant:
« Ah! Jeanne, prenez tout en patience,
vous mourez pour ce que vous n’avez pas tenu ce que vous aviez promis et que
vous êtes retournée à votre premier maléfice. » Et la pauvre Pucelle lui
répondit : « Hélas! si vous m’eussiez
mise aux prisons de cour d’Eglise et rendue entre les mains de concierges
ecclésiastiques compétents et convenables, ceci ne fût pas advenu. C’est pourquoi
j’en appelle de vous devant Dieu. » Pour lors je sortis et n’ouïs plus
rien.
La Pucelle me
révéla qu’après son abjuration, on
l’avait tourmentée violemment en la prison, molestée et battue, et qu’un lord
anglais avait tenté de la violer. Elle disait publiquement et elle me dit à
moi que c’était la cause pour laquelle elle avait repris l’habit d’homme.
Avec la
permission des juges, avant le prononcé de la sentence, j’entendis Jeanne en confession et je lui administrai le corps de
Notre-Seigneur. Elle le reçut avec grande dévotion et beaucoup de larmes. Son
émotion était telle que je ne saurais l’exprimer.
Le matin de ce
jour qui était un mercredi, tandis que j’étais avec Jeanne pour la préparer au
salut, l’évêque de Beauvais et quelques chanoines de Rouen entrèrent: Quand elle vit l’évêque, Jeanne lui dit
: « Vous
êtes cause de ma mort, vous
m’aviez promis de me mettre aux mains de l’Eglise et vous m’avez remise aux
mains de mes pires ennemis. » Près de sa fin elle disait encore à l’évêque
: « Hélas
je meurs par vous, car si vous
m’eussiez donnée à garder aux prisons d’Eglise, je ne serais pas ici. »
Au lieu de procéder régulièrement, on s’en tint à la
sentence épiscopale et il n’y eut pas de sentence laïque. C’est là un fait dont je suis certain, car je ne
quittai pas Jeanne depuis sa sortie du château jusqu’au moment où elle rendit
l’esprit. Après qu’elle eut été abandonnée par l’Eglise au bras séculier, deux
sergents anglais la contraignirent de descendre de l’échafaud, la menèrent au
lieu de l’exécution et la livrèrent au bourreau. Pourtant le bailli et la cour
séculière étaient présents, assis sur un échafaud. Mais, je le répète, il n’y
eut pas de condamnation portée par eux.
Le bourreau disait:
« Jamais l’exécution d’aucun criminel ne
m’a donné tant de crainte que l’exécution de cette pucelle; d’abord à cause de
sa réputation et du grand bruit fait autour d’elle, puis à cause de la manière
cruelle dont elle a été liée et affichée. » De fait les Anglais
avaient fait faire un haut échafaud en plâtre, et au dire du bourreau, il ne la
pouvait bonnement ni facilement expédier, ayant peine à atteindre jusqu’à elle.
De tout cela il était fort marri et il avait grande compassion de la façon
atroce dont on faisait mourir Jeanne.
Je puis attester la grande et admirable contrition de
Jeanne, sa continuelle confession et repentance. Elle prononçait toujours le
nom de Jésus et elle invoquait dévotement l’aide des saints et saintes du
paradis. Jusqu’à sa dernière heure, comme
toujours, Jeanne affirma et maintint que
ses voix étaient de Dieu, que tout ce qu’elle avait fait elle l’avait fait par
ordre de Dieu, et qu’elle ne croyait pas avoir été trompée par ses voix; enfin
que ses révélations étaient de Dieu.
A son dernier jour, Jeanne se confessa et communia. La sentence ecclésiastique fut ensuite prononcée.
Ayant assisté à tout le dénouement du procès, j’ai bien et clairement vu qu’il
n’y eut pas de sentence portée par le juge séculier. Celui-ci était à son
siège, mais il ne formula pas de conclusion. L’attente avait été longue. A la
fin du sermon, les gens du roi d’Angleterre emmenèrent Jeanne et la livrèrent
au bourreau pour être brûlée. Le juge se borna à dire au bourreau, sans autre
sentence: « Fais ton office .»
Frère Martin
Ladvenu et moi suivîmes Jeanne et restâmes avec elle jusqu’aux derniers
moments. Sa fin fut admirable tant elle montra grande contrition et belle
repentance. Elle disait des paroles si piteuses, dévotes et chrétiennes que la
multitude des assistants pleurait à chaudes larmes. Le cardinal d’Angleterre et plusieurs autres Anglais ne purent se tenir
de pleurer; l’évêque de Beauvais, même lui, versa quelques pleurs.
Comme j’étais
près d’elle, la pauvre pucelle me
supplia humblement d’aller à l’église prochaine et de lui apporter la croix
pour la tenir élevée tout droit devant ses yeux jusqu’au pas de la mort, afin
que la croix où Dieu pendit, fût, elle vivante, continuellement devant sa vue. C’était
bien une vraie et bonne chrétienne.
Au milieu des
flammes, elle ne s’interrompit pas de
confesser à haute voix le saint nom de Jésus, implorant et invoquant l’aide des
saints du paradis. En même temps elle disait qu’elle n’était ni hérétique,
ni schismatique comme le partait l’écriteau. Elle m’avait prié de descendre avec la croix, une fois le feu allumé,
et de la lui faire voir toujours. Ainsi je fis. A sa fin, inclinant la tête et
rendant l’esprit, Jeanne prononça encore avec force le nom de Jésus. Ainsi
signifiait-elle qu’elle était fervente en la foi de Dieu, comme nous lisons que
le firent saint Ignace d’Antioche et plusieurs autres martyrs. Les assistants pleuraient.
Un soldat
anglais qui la haïssait mortellement avait juré qu’il mettrait de sa propre
main un fagot au bûcher de Jeanne. Il le fit. Mais à ce moment, qui était celui
où Jeanne expirait, il l’entendit crier le nom de Jésus. Il demeura terrifié et
comme foudroyé. Ses camarades l’emmenèrent dans une taverne près du
Vieux-Marché pour le ragaillardir en le faisant boire. L’après-midi, le même Anglais confessa en ma présence à un frère
prêcheur de son pays, qui me répéta ses paroles, qu’il avait gravement erré,
qu’il se repentait bien de ce qu’il avait fait contre Jeanne, qu’il la
réputait maintenant bonne et brave pucelle; car au moment où elle rendait l’esprit dans les flammes il avait pensé
voir sortir une colombe blanche valant du côté de la France.
Le même jour,
l’après-midi, peu de temps après l’exécution, le bourreau vint au couvent des
frères prêcheurs trouver frère Martin Ladvenu et moi. Il était tout frappé et
ému d’une merveilleuse repentance et angoissante contrition. Dans son désespoir
il redoutait de ne jamais obtenir de Dieu indulgence et pardon pour ce qu’il
avait fait à cette sainte femme. « Je
crains fort d’être, damné, nous disait-il, car j’ai brûlé une sainte. » Ce
même bourreau disait et affirmait que nonobstant l’huile, le soufre et le
charbon qu’il avait appliqués contre les entrailles et le cœur de Jeanne, il
n’avait pu venir à bout de consumer et réduire en cendres ni les entrailles ni
le cœur. Il en était très perplexe, comme d’un miracle évident.
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