En 1892 Léon XIII est pape depuis quatorze ans, et malgré ses 82 ans il respecte à la lettre les rites de la semaine sainte. En voici le récit par Mr X... du Vatican paru dans Le Figaro. Article paru dans Le Figaro du 16 avril 1892.
Si le Pape, dans un esprit de tolérance, a relevé les
catholiques de l'obligation du jeûne quadragésimal, il n'a pas profité, malgré
ses quatre-vingt-deux ans, de la faveur accordée aux
fidèles.
Levé à quatre heures, a dit chaque matin de carême sa
messe à six heures. Avant de monter à l'autel, un capucin prédicateur du
Vatican a commenté en latin chaque verset de l'évangile de la Passion selon
saint Jean.
Le sermon finit régulièrement par ces mots: Et le Christ rendit l'esprit. Léon XIII, aidé de deux
prélats, vient alors s'agenouiller sur
la première marche de l'autel, qu'il embrasse trois fois en répétant la
parole du moine: Et reddidit spiritum.
Puis les deux prélats revêtent le Pape de la chasuble
violette; et la messe commence. Depuis un an, le Pape ne peut pas descendre
seul les degrés de l'autel et les deux assistants sont obligés de le soutenir
sous les bras.
Léon XIII prononce lentement les paroles sacrées,
aussi sa messe, est-elle fort longue. Elle
dure trois quarts d'heure.
Une seconde messe dite d'actions de grâce est ensuite
célébrée par un cardinal. Malgré sa
fatigue, le Saint-Père reste agenouillé sur un vaste prie-Dieu en velours
blanc, depuis l'offertoire jusques après la communion.
En temps ordinaire, il prend, avant de vaquer à ses
nombreuses occupations, une tasse de bouillon; en
carême, il prend du chocolat à l'eau avec une once de pain.
A midi, Léon XIII fait un repas assez copieux. A trois heures, il se rend à la chapelle où il fait son chemin de
croix, méditant un quart d'heure devant chaque station. Un prélat
porte un prie-Dieu qu'il place successivement en face de chaque tableau du
chemin de croix.
Arrivé au maître-autel, un cardinal avance un grand
Christ qui contient un morceau de la Vraie Croix.
Le cardinal dit à haute voix: Ecce lignum crucis. Voici le bois de la Croix. Et
le Pape répond en embrassant les pieds et les mains, sur lequel le Christ a été
cloué pour le salut du monde.
En carême Léon XIII fait une légère collation à cinq heures et demie. Elle se
compose d'une salade et d'un bol de lait dans lequel le Saint-Père trempe un
peu de pain sec.
A sept heures, Léon XIII va une dernière fois à la
chapelle pour réciter le rosaire et
entendre, le vendredi et le dimanche, le sermon dit le carême du Pape. Ce
sermon est toujours fait par un capucin.
Le Pape, avant de quitter la chapelle, s'approche du
tabernacle, fait la génuflexion et, prenant le ciboire qu'il ouvre, il sort une
hostie et trace sur son front le signe de la croix.
Le médecin de Léon XIII a tout fait pour l'empêcher de suivre avec tant d'austérité son carême.
«Mon bon ami, lui répondait-il, les catholiques ont
tous eu l'influenza, ils doivent se soigner, mais moi je n'ai pas eu
l'influenza.
—Mais, Très Saint-Père, vous avez quatre-vingt-deux
ans.
—Oh! c'est une influenza comme une autre; mais vous
êtes impuissant à me l'enlever.»
Jusqu'à ce jour le Pape n'a pas manqué de suivre ce
règlement. Sa santé n'en a nullement souffert.
Pendant la semaine sainte on craint cependant la
longueur des cérémonies.
Le Jeudi Saint la cérémonie du lavement des pieds de douze pauvres de Rome est
surtout fatigante.
Léon XIII s'agenouille,
en effet, devant ces douze mendiants et leur lave consciencieusement les pieds.
Puis il veut servir lui-même le repas qui leur est offert dans une salle
voisine de son cabinet de travail.
Chaque pauvre trouve sous sa serviette
un billet de cent francs.
Le Saint-Sacrement est exposé pendant toute la nuit.
Le Pape reste en prière de dix heures à minuit.
A minuit, un cardinal se présente et frappe douze coups sur la porte de la
chapelle.
Léon XIII prend alors le crucifix et l'approche de la
fenêtre. Il trace un grand signe de
croix sur la ville endormie en disant avec solennité: Et reddidit spiritum.
Le Vendredi Saint, Léon XIII dit seul la messe. L'évangile de la passion est chanté à trois voix. Un
cardinal imite la voix du peuple, l'autre celle des juges, et le Pape répond à
la place du Christ sur un ton plaintif.
Détail touchant: quand on arrive au récit de la
renonciation de saint Pierre, Léon XIII cache sa figure avec ses deux mains.
On peut dire que le Vendredi Saint la journée du Pape
se passe à l'église. Il ne fait qu'un seul repas, à midi. Aussi, l'année dernière, Léon XIII a eu à cinq heures une légère syncope.
Quant au jour de Pâques, c'est le grand
jour de fête du Vatican.
Tous ceux qui se rencontrent pour la première
fois sont tenus de se dire Alleluia et de s'embrasser.
L'année dernière, Léon XIII, voulant arriver à la réconciliation de deux cardinaux
brouillés depuis longtemps, ne trouva rien de mieux que de les convoquer à
la même heure. Ne se doutant pas du piège, ils arrivèrent à l'heure fixée par
le Pape. Quand ils se trouvèrent en face l'un de l'autre, ils devinèrent le
stratagème en voyant la figure de Léon XIII illuminée de son fin sourire. Les
deux cardinaux s'embrassèrent du bout des lèvres, mais, sentant sur leurs
épaules les deux mains du Pape qui les poussaient à s'étreindre plus
cordialement, ils cédèrent et sont devenus les meilleurs
amis du monde.
X... du Vatican.
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