Le lavement des pieds et l'institution de l'Eucharistie, au soir du Jeudi Saint |
Saint Alphonse-Marie de Liguori
Considérations sur la Passion de Jésus-Christ
Chap. 5,
III, Femme, voici votre fils... Voici
votre Mère (Jn 19, 26-27)
On lit dans
l'Évangile de saint Marc qu'il y avait sur le Calvaire plusieurs sainte
femmes qui regardaient Jésus crucifié, mais de loin (Mc 15, 40); on doit
donc croire que la Mère du Sauveur se trouvait avec elles.
Cependant d'après saint Jean, la Sainte Vierge était, non pas loin, mais
près de la croix avec Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine (Jn 19,
25). Euthymius cherche à lever la difficulté en disant que la Sainte
Vierge, voyant que son divin Fils allait bientôt expirer, s'approcha de la
croix. Pour arriver plus près de son Fils bien-aimé, elle surmonta la
crainte qu'inspiraient les soldats, et supporta patiemment toutes les
insultes qu'elle eut à souffrir de la part des hommes qui gardaient les
condamnés et qui la repoussaient brutalement.
Le savant auteur d'une Vie
de Jésus-Christ dit la même chose: "Il y avait là des amis qui
l'observaient de loin; mais la Sainte Vierge, sainte Marie-Madeleine et
une autre Marie se tenaient auprès de la croix avec saint Jean. Jésus,
voyant auprès de lui sa Mère et son cher disciple, leur adressa ces
paroles..." La mort douloureuse de son Fils ne peut ébranler cette
Mère incomparable, suivant la réflexion de l'abbé Gueric: "Telle est
cette Mère qui même dans la terreur de la mort ne déserte pas son
Fils." Les mères fuient à la mort de leurs enfants; les voir expirer
dans pouvoir les secourir, c'est un spectacle auquel leur tendresse ne
leur permet pas d'assister; Marie, au contraire, plus la mort de son Fils
approchait, plus elle approchait de la croix.
Cette Mère
affligée était donc debout près de la croix et, de même Jésus offrait le
sacrifice de sa vie, elle offrait le sacrifice de sa douleur pour le
salut des hommes, participant avec la plus parfaite résignation à toutes
les peines et à tous les opprobres que son divin Fils souffrait en
mourant. Un auteur observe qu'on ne fait pas honneur à la constance de
Marie lorsqu'on la représente évanouie au pied de la croix; elle fut la
femme forte, qui ne faiblit pas et ne pleure pas, comme le remarque saint
Ambroise.
La douleur
qu'éprouva la Sainte vierge dans la Passion de son Fils surpassa tout ce
que peut souffrir un cœur humain; et ce ne fut pas une douleur stérile,
comme celles des mères ordinaires à la vue d'un enfant qui souffre, mais
ce fut une douleur qui produisit de grands fruits; car, par les mérites
de ses douleurs et par sa charité, suivant la pensée de saint Augustin, de
même que Marie est la Mère naturelle de Jésus-Christ, notre Chef, elle
devint alors la Mère spirituelle des fidèles, qui sont les membres de
Jésus-Christ, en coopérant pas sa charité à les faire naître et à les
rendre enfants de l'Église.
Saint
Bernard dit que, sur le Calvaire, ces deux grands Martyrs, Jésus et Marie
souffraient en silence : l'excès de la douleur qui les oppressait
leur ôtait la faculté de parler. La Mère regardait son Fils agonisant sur
la croix, le Fils regardait sa Mère agonisant au pied de la croix et
mourant de compassion pour les peines qu'il endurait.
Jésus et saint Jean, la sainte Cène, vitrail. |
Marie et
Jean étaient donc plus près de la croix que les saintes femmes qui les
accompagnaient, de sorte que, au milieu du tumulte, ils pouvaient
plus facilement entendre la voix et distinguer les regards du Sauveur. On
lit dans l'Évangile que Jésus aperçut sa Mère et son Disciple bien-aimé
(Jn 19, 26). Mais si Marie et Jean étaient accompagnés d'autres personnes,
pourquoi est-il dit que Jésus aperçut sa Mère et son Disciple, comme s'il
n'avait pas vu les femmes qui les suivaient ? C'est là, répond saint
Pierre Chrysologue, un effet de l'amour; on voit toujours plus clairement
les être qu'on aime le plus. Saint Ambroise exprime la même pensée. La
Bienheureuse Vierge a révélé elle-même à sainte Brigitte que Jésus, pour
voir sa Mère, qui était auprès de la croix, dut presser ses paupières avec
effort, afin de dégager ses yeux du sang qui les couvrait et lui ôtait la
vue.
Jésus dit à
sa Mère, en lui désignant des yeux saint Jean qui était à côté d'elle:
"Femme, voilà votre fils." Mais pourquoi l'appela-t-il Femme
plutôt que Mère? Ce fut, peut-on répondre, parce que se trouvant près de
mourir, il lui parla en prenant congé d'elle, comme s'il eût dit:
"Femme, dans peu je serai mort; vous n'aurez plus de fils sur la
terre; c'est pourquoi je vous laisse Jean qui vous servira et vous aimera
comme un fils." Le Seigneur nous donne à entendre par là que saint
Joseph n'était plus; car, s'il eût été encore en vie, il ne l'aurait
jamais séparé de sa sainte Épouse.
Toute
l'antiquité atteste que saint Jean resta toujours vierge, et que
c'est principalement à cause de ce mérite qu'il eut l'honneur d'être donné
pour fils à Marie et de remplacer Jésus-Christ auprès de sa Mère; aussi,
la Sainte Église a consacré dans ses chants cet éloge du Disciple
bien-aimé. L'Évangile constate qu'après la mort de Notre-Seigneur, saint
Jean reçut Marie dans sa maison, et qu'il l'assista et la servit comme sa
propre mère tout le temps qu'elle vécut encore. Jésus-Christ a voulu que
ce Disciple privilégié fût témoin oculaire de sa mort, afin qu'il pût
ensuite l'attester plus fermement, ainsi qu'il l'a fait dans ses écrits
(Jn 19, 35; 1 Jn 1, 1). C'est pour cela que la Sauveur, quand ses autres
disciples l'abandonnèrent, donna à saint Jean la force de le suivre
jusqu'à sa mort au milieu de tant d'ennemis.
Mais
revenons à la Sainte Vierge, et tâchons de découvrir la raison
plus intrinsèque pour laquelle Jésus l'appela Femme, et non Mère. Il a
voulu nous faire entendre par là que Marie est la Femme par excellence,
annoncé dans la Genèse comme devant écraser la tête du Serpent (Gn 3,
15).
L'ensevelissement et la désolation de Notre Dame, Lorenzo Lotto |
Personne ne
doute que cette Femme ne soit la Bienheureuse Vierge Marie qui, par le
moyen de son divin Fils, si ce n'est ce Fils lui-même par le moyen de
celle qui l'a mis au monde, devait écraser la tête de Lucifer. Marie
a certainement dû être ennemie du Serpent, puisque Lucifer fut orgueilleux, ingrat
et rebelle, tandis qu'elle fut toujours humble, reconnaissante et soumise.
Il a été prédit qu'elle lui écraserait la tête; car Marie en donnant
le jour au Sauveur du monde, abattit l'orgueil de Lucifer. Le Serpent
s'efforça de mordre Jésus-Christ au talon, par lequel il faut entendre sa
sainte humanité, partie la plus voisine de la terre; mais le Sauveur, par
sa mort, eut la gloire de le vaincre et de le priver de l'empire que le
péché lui avait donné sur le genre humain.
Dieu dit en
outre au Serpent qu'il établirait une inimité sans fin entre sa race et
celle de la Femme. Cela signifie qu'après la chute de l'homme causée
par le péché, nonobstant la rédemption opérée par Jésus-Christ, il devait
y avoir dans le monde deux familles et deux postérités: par la race de
Satan est désignée la famille des pécheurs, qui sont ses enfants, étant
imbus de son venin; par le race de Marie est désignée la famille sainte,
qui comprend tous les justes avec Jésus-Christ, leur Chef. Marie fut donc
destinée à être la Mère tant du Chef que de ses membres, qui sont les fidèles;
car, l'Apôtre le dit expressément: "Vous n'êtes qu'un dans le Christ
Jésus" (Ga 3, 28). Les fidèles ne forment qu'un seul corps avec
Jésus-Christ, le chef n'étant point séparé de ses membres; et ces membres
sont tous enfants spirituels de Marie, puisqu'ils ont le même esprit que
son propre Fils, qui est Jésus-Christ. Ainsi, sur le Calvaire, saint Jean
n'est pas désigné par son nom, il s'appelle le Disciple aimé du Seigneur,
afin que nous comprenions que Marie est la Mère de tout chrétien fidèle,
qui est aimé de Jésus-Christ, et en qui Jésus-Christ vit par son esprit.
Cela est conforme à la pensée d'Origène: "Jésus dit à Marie:
"Voici ton fils", comme s'il lui avait dit: "Voici Jésus que
tu as enfanté"; car celui qui est parfait, ce n'est plus lui qui
vit, c'est le Christ qui vit en lui.
Coeur immaculé et douloureux de Marie, Notre Dame des 7 douleurs. |
Denis le
Chartreux dit que, dans la passion, le sein de Marie se remplit du sang
qui coulait des plaies de notre Sauveur, afin qu'elle pût en nourrir ses enfants.
Il ajoute que cette divine Mère, par ses prières et par les
mérites qu'elle acquit principalement en assistant à la mort de
Jésus-Christ, nous obtint la grâce de participer aux mérites de sa passion
du Rédempteur.
Ô Mère
de douleurs! vous savez que j'ai mérité l'enfer; je n'ai d'autre
espérance de salut que dans la participation aux mérites de Jésus-Christ;
c'est la grâce que j'attends de votre intercession, et je vous en prie de
me l'obtenir, pour l'amour de ce divin Fils que, sur le Calvaire, vous
avez vu de vos propres yeux baisser la tête et expirer! Ô Reine des
Martyrs ! ô Avocate des pécheurs ! secourez-moi toujours, et spécialement
à l'heure de ma mort! Il me semble déjà voir les démons se presser autour
de moi durant mon agonie, et faire tous leurs efforts pour me jeter dans
le désespoir à la vue de mes péchés; ah! quand vous verrez mon âme ainsi
assiégée, ne m'abandonnez pas, aidez-moi de vos prières, pour que
j'obtienne la confiance et la sainte persévérance. Comme alors, perdant
peut-même la parole et même l'usage des sens, je ne pourrai plus prononcer
votre saint nom ni celui de votre divin Fils, je vous invoque dès ce
moment et je vous dis : " Jésus et Marie, je vous recommande mon âme
!"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire