jeudi 17 avril 2014

Jeudi Saint

Le lavement des pieds et l'institution de l'Eucharistie,
au soir du Jeudi Saint
Saint Alphonse-Marie de Liguori

Considérations sur la Passion de Jésus-Christ

Chap. 5, III, Femme, voici votre fils... Voici votre Mère (Jn 19, 26-27) 

On lit dans l'Évangile de saint Marc qu'il y avait sur le Calvaire plusieurs sainte femmes qui regardaient Jésus crucifié, mais de loin (Mc 15, 40); on doit donc croire que la Mère du Sauveur se trouvait avec elles. Cependant d'après saint Jean, la Sainte Vierge était, non pas loin, mais près de la croix avec Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine (Jn 19, 25). Euthymius cherche à lever la difficulté en disant que la Sainte Vierge, voyant que son divin Fils allait bientôt expirer, s'approcha de la croix. Pour arriver plus près de son Fils bien-aimé, elle surmonta la crainte qu'inspiraient les soldats, et supporta patiemment toutes les insultes qu'elle eut à souffrir de la part des hommes qui gardaient les condamnés et qui la repoussaient brutalement

Le savant auteur d'une Vie de Jésus-Christ dit la même chose: "Il y avait là des amis qui l'observaient de loin; mais la Sainte Vierge, sainte Marie-Madeleine et une autre Marie se tenaient auprès de la croix avec saint Jean. Jésus, voyant auprès de lui sa Mère et son cher disciple, leur adressa ces paroles..." La mort douloureuse de son Fils ne peut ébranler cette Mère incomparable, suivant la réflexion de l'abbé Gueric: "Telle est cette Mère qui même dans la terreur de la mort ne déserte pas son Fils." Les mères fuient à la mort de leurs enfants; les voir expirer dans pouvoir les secourir, c'est un spectacle auquel leur tendresse ne leur permet pas d'assister; Marie, au contraire, plus la mort de son Fils approchait, plus elle approchait de la croix.
 
Chemin de Croix, Lourdes. 13e station :
Marie reçoit son Fils Jésus, mort.
Cette Mère affligée était donc debout près de la croix et, de même Jésus offrait le sacrifice de sa vie, elle offrait le sacrifice de sa douleur pour le salut des hommes, participant avec la plus parfaite résignation à toutes les peines et à tous les opprobres que son divin Fils souffrait en mourant. Un auteur observe qu'on ne fait pas honneur à la constance de Marie lorsqu'on la représente évanouie au pied de la croix; elle fut la femme forte, qui ne faiblit pas et ne pleure pas, comme le remarque saint Ambroise.

La douleur qu'éprouva la Sainte vierge dans la Passion de son Fils surpassa tout ce que peut souffrir un cœur humain; et ce ne fut pas une douleur stérile, comme celles des mères ordinaires à la vue d'un enfant qui souffre, mais ce fut une douleur qui produisit de grands fruits; car, par les mérites de ses douleurs et par sa charité, suivant la pensée de saint Augustin, de même que Marie est la Mère naturelle de Jésus-Christ, notre Chef, elle devint alors la Mère spirituelle des fidèles, qui sont les membres de Jésus-Christ, en coopérant pas sa charité à les faire naître et à les rendre enfants de l'Église.

Saint Bernard dit que, sur le Calvaire, ces deux grands Martyrs, Jésus et Marie souffraient en silence : l'excès de la douleur qui les oppressait leur ôtait la faculté de parler. La Mère regardait son Fils agonisant sur la croix, le Fils regardait sa Mère agonisant au pied de la croix et mourant de compassion pour les peines qu'il endurait.

Jésus et saint Jean,
la sainte Cène, vitrail.
Marie et Jean étaient donc plus près de la croix que les saintes femmes qui les accompagnaient, de sorte que, au milieu du tumulte, ils pouvaient plus facilement entendre la voix et distinguer les regards du Sauveur. On lit dans l'Évangile que Jésus aperçut sa Mère et son Disciple bien-aimé (Jn 19, 26). Mais si Marie et Jean étaient accompagnés d'autres personnes, pourquoi est-il dit que Jésus aperçut sa Mère et son Disciple, comme s'il n'avait pas vu les femmes qui les suivaient ? C'est là, répond saint Pierre Chrysologue, un effet de l'amour; on voit toujours plus clairement les être qu'on aime le plus. Saint Ambroise exprime la même pensée. La Bienheureuse Vierge a révélé elle-même à sainte Brigitte que Jésus, pour voir sa Mère, qui était auprès de la croix, dut presser ses paupières avec effort, afin de dégager ses yeux du sang qui les couvrait et lui ôtait la vue.

Jésus dit à sa Mère, en lui désignant des yeux saint Jean qui était à côté d'elle: "Femme, voilà votre fils." Mais pourquoi l'appela-t-il Femme plutôt que Mère? Ce fut, peut-on répondre, parce que se trouvant près de mourir, il lui parla en prenant congé d'elle, comme s'il eût dit: "Femme, dans peu je serai mort; vous n'aurez plus de fils sur la terre; c'est pourquoi je vous laisse Jean qui vous servira et vous aimera comme un fils." Le Seigneur nous donne à entendre par là que saint Joseph n'était plus; car, s'il eût été encore en vie, il ne l'aurait jamais séparé de sa sainte Épouse.

Toute l'antiquité atteste que saint Jean resta toujours vierge, et que c'est principalement à cause de ce mérite qu'il eut l'honneur d'être donné pour fils à Marie et de remplacer Jésus-Christ auprès de sa Mère; aussi, la Sainte Église a consacré dans ses chants cet éloge du Disciple bien-aimé. L'Évangile constate qu'après la mort de Notre-Seigneur, saint Jean reçut Marie dans sa maison, et qu'il l'assista et la servit comme sa propre mère tout le temps qu'elle vécut encore. Jésus-Christ a voulu que ce Disciple privilégié fût témoin oculaire de sa mort, afin qu'il pût ensuite l'attester plus fermement, ainsi qu'il l'a fait dans ses écrits (Jn 19, 35; 1 Jn 1, 1). C'est pour cela que la Sauveur, quand ses autres disciples l'abandonnèrent, donna à saint Jean la force de le suivre jusqu'à sa mort au milieu de tant d'ennemis.

Mais revenons à la Sainte Vierge, et tâchons de découvrir la raison plus intrinsèque pour laquelle Jésus l'appela Femme, et non Mère. Il a voulu nous faire entendre par là que Marie est la Femme par excellence, annoncé dans la Genèse comme devant écraser la tête du Serpent (Gn 3, 15).

L'ensevelissement et la désolation de Notre Dame,
Lorenzo Lotto
Personne ne doute que cette Femme ne soit la Bienheureuse Vierge Marie qui, par le moyen de son divin Fils, si ce n'est ce Fils lui-même par le moyen de celle qui l'a mis au monde, devait écraser la tête de Lucifer. Marie a certainement dû être ennemie du Serpent, puisque Lucifer fut orgueilleux, ingrat et rebelle, tandis qu'elle fut toujours humble, reconnaissante et soumise. Il a été prédit qu'elle lui écraserait la tête; car Marie en donnant le jour au Sauveur du monde, abattit l'orgueil de Lucifer. Le Serpent s'efforça de mordre Jésus-Christ au talon, par lequel il faut entendre sa sainte humanité, partie la plus voisine de la terre; mais le Sauveur, par sa mort, eut la gloire de le vaincre et de le priver de l'empire que le péché lui avait donné sur le genre humain.

Dieu dit en outre au Serpent qu'il établirait une inimité sans fin entre sa race et celle de la Femme. Cela signifie qu'après la chute de l'homme causée par le péché, nonobstant la rédemption opérée par Jésus-Christ, il devait y avoir dans le monde deux familles et deux postérités: par la race de Satan est désignée la famille des pécheurs, qui sont ses enfants, étant imbus de son venin; par le race de Marie est désignée la famille sainte, qui comprend tous les justes avec Jésus-Christ, leur Chef. Marie fut donc destinée à être la Mère tant du Chef que de ses membres, qui sont les fidèles; car, l'Apôtre le dit expressément: "Vous n'êtes qu'un dans le Christ Jésus" (Ga 3, 28). Les fidèles ne forment qu'un seul corps avec Jésus-Christ, le chef n'étant point séparé de ses membres; et ces membres sont tous enfants spirituels de Marie, puisqu'ils ont le même esprit que son propre Fils, qui est Jésus-Christ. Ainsi, sur le Calvaire, saint Jean n'est pas désigné par son nom, il s'appelle le Disciple aimé du Seigneur, afin que nous comprenions que Marie est la Mère de tout chrétien fidèle, qui est aimé de Jésus-Christ, et en qui Jésus-Christ vit par son esprit. Cela est conforme à la pensée d'Origène: "Jésus dit à Marie: "Voici ton fils", comme s'il lui avait dit: "Voici Jésus que tu as enfanté"; car celui qui est parfait, ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ qui vit en lui.

Coeur immaculé et douloureux
de Marie, Notre Dame des 7 douleurs.
Denis le Chartreux dit que, dans la passion, le sein de Marie se remplit du sang qui coulait des plaies de notre Sauveur, afin qu'elle pût en nourrir ses enfants. Il ajoute que cette divine Mère, par ses prières et par les mérites qu'elle acquit principalement en assistant à la mort de Jésus-Christ, nous obtint la grâce de participer aux mérites de sa passion du Rédempteur.

Ô Mère de douleurs! vous savez que j'ai mérité l'enfer; je n'ai d'autre espérance de salut que dans la participation aux mérites de Jésus-Christ; c'est la grâce que j'attends de votre intercession, et je vous en prie de me l'obtenir, pour l'amour de ce divin Fils que, sur le Calvaire, vous avez vu de vos propres yeux baisser la tête et expirer! Ô Reine des Martyrs ! ô Avocate des pécheurs ! secourez-moi toujours, et spécialement à l'heure de ma mort! Il me semble déjà voir les démons se presser autour de moi durant mon agonie, et faire tous leurs efforts pour me jeter dans le désespoir à la vue de mes péchés; ah! quand vous verrez mon âme ainsi assiégée, ne m'abandonnez pas, aidez-moi de vos prières, pour que j'obtienne la confiance et la sainte persévérance. Comme alors, perdant peut-même la parole et même l'usage des sens, je ne pourrai plus prononcer votre saint nom ni celui de votre divin Fils, je vous invoque dès ce moment et je vous dis : " Jésus et Marie, je vous recommande mon âme !


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