|
La fuite en Egypte |
Discours de Sainte Mère Teresa de Calcutta pour la réception du prix Nobel de la paix
Remercions
Dieu pour cette merveilleuse circonstance grâce à laquelle nous pouvons, tous
ensemble, proclamer la joie de répandre
la paix, la joie de nous aimer les uns les autres et la joie de savoir que les
plus pauvres des pauvres sont tous nos frères et sœurs.
Comme
nous sommes réunis ici pour remercier Dieu de ce don de paix, je vous ai fait
remettre la « Prière de la paix » que saint François d’Assise a dite il y a de
nombreuses années. Je me demande s’il n’a pas ressenti, alors, exactement ce
que nous ressentons aujourd’hui, ce pourquoi nous prions.
Je
pense que vous avez tous un texte. Nous allons dire ensemble :
« Seigneur,
faites de moi un instrument de votre paix.
Afin que là où il y a de la
haine, je puisse apporter l’amour ;
là où règne le mal, je puisse
apporter l’esprit de pardon ;
là où est la discorde, je
puisse apporter l’harmonie ;
là où est l’erreur, je puisse
apporter la vérité ;
là où il y a le doute, je
puisse apporter la foi ;
là où il y a le désespoir, je
puisse apporter l’espérance ;
là où il y a les ténèbres, je
puisse apporter la lumière ;
là où règne la tristesse, je
puisse apporter la joie ;
Seigneur, faites que je
cherche plutôt
à réconforter qu’à être
réconforté ;
à comprendre qu’à être
compris ;
à aimer qu’à être aimé ;
car c’est en s’oubliant
soi-même que l’on trouve ;
en pardonnant qu’on est
pardonné ;
en mourant qu’on s’éveille à
la vie éternelle. Amen ! »
|
Icône moderne. Le Christ bénissant un petit enfant dans le sein de sa mère. |
« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils ». Et il l’a
donné à une Vierge, la Sainte Vierge Marie. Et elle, dès l’instant où il vint
au monde, s’empressa de le donner aux autres. Et que fit-elle alors ? Elle
travailla pour les malheureux ; elle répandit simplement cette joie d’aimer en
prodiguant des bienfaits.
Et
Jésus-Christ vous a aimés et m’a aimée et il a donné sa vie pour nous. Et comme
si ce n’était pas encore assez, il n’a cessé de dire : « Aimez comme je vous ai
aimés, comme je vous aime maintenant. » Et il nous a dit comment nous devons
aimer en donnant. Car il a donné sa vie
pour nous et il continue de la donner. Et il continue de la donner ici même et
partout, dans nos propres vies et dans la vie des autres.
Ce ne fut pas assez, pour lui, de mourir
pour nous. Il a voulu que nous nous aimions les uns les autres, que nous le
reconnaissions dans tous nos prochains.
C’est la raison pour laquelle il a dit : « Heureux
les cœurs purs car ils verront Dieu. » Et pour être sûr que nous
comprenions sa pensée, il a dit que, à l’heure de notre mort, nous serons jugés
sur ce que nous aurons été pour les pauvres, les affamés, les nus, les
sans-logis. Et il se fait lui-même cet
affamé, ce nu, ce sans-logis. Pas seulement affamé de pain, mais affamé d’amour;
pas seulement dénué d’un morceau de tissu, mais dénué de dignité humaine ; pas
seulement sans-logis par manque d’un lieu où vivre, mais sans-logis pour avoir
été oublié, mal aimé, mal soigné, pour n’avoir été personne pour personne, pour
avoir oublié ce qu’est l’amour humain, le contact humain, ce que c’est que d’être
aimé par quelqu’un.
Et
il a dit encore : « Ce que vous avez fait
pour le plus petit de mes frères, vous l’avez fait pour moi. » C’est si merveilleux, pour nous, de devenir
saints par cet amour ! Car la sainteté n’est pas un luxe réservé à un petit
nombre, c’est simplement un devoir pour chacun de nous et, à travers cet amour,
nous pouvons devenir saints — par cet amour des uns pour les autres.
|
Icône moderne. Le Christ recueillant un petit enfant victime de l'avortement |
Et aujourd’hui, lorsque j’ai reçu ce prix —
dont, personnellement, je suis indigne —, et ayant approché la pauvreté d’assez
près pour être à même de comprendre les pauvres, je choisis la pauvreté de nos
pauvres gens. Mais je suis reconnaissante, je suis très heureuse de le recevoir
au nom des affamés, des nus, des sans-logis, des infirmes, des aveugles, des
lépreux, de tous ces gens qui ne se sentent pas voulus, pas aimés, pas soignés,
rejetés par ta société, ces gens qui
sont devenus un fardeau pour la société et qui sont humiliés par tout le monde.
C’est en leur nom que j’accepte ce prix. Et je suis sûre que ce prix va susciter
un amour compréhensif entre les riches et les pauvres. Et c’est là-dessus que
Jésus a tellement insisté. C’est la raison pour laquelle Jésus est venu sur la
terre pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Et par ce prix, et à travers
notre présence ici, nous voulons tous annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres : que Dieu les aime, que nous les aimons,
qu’ils sont quelqu’un pour nous, que, eux aussi, ont été créés par la même main
amoureuse de Dieu pour aimer et pour être aimés.
Nos
pauvres gens, nos splendides gens, sont des gens tout à fait dignes d’amour. Ils n’ont pas besoin de notre pitié ni de
notre sympathie. Ils ont besoin de notre amour compréhensif, ils ont besoin de
notre respect, ils ont besoin que nous les traitions avec dignité. Et je
pense que nous faisons là l’expérience de la plus grande pauvreté ; nous la
faisons devant eux, eux qui risquent de mourir pour un morceau de pain. Mais
ils meurent avec une telle dignité !
Je
n’oublierai jamais l’homme que j’ai ramassé un jour dans la rue. Il était
couvert de vermine, son visage était la seule chose propre. Et cependant cet
homme, lorsque nous l’avons amené à notre mouroir, a dit cette phrase : « J’ai
vécu comme une bête dans la rue, mais je vais mourir comme un ange, aimé et
soigné. » Et il mourut merveilleusement bien. Il s’en alla dans sa
maison, chez Dieu, car la mort n’est pas
autre chose que de rentrer chez soi, dans la maison de Dieu. C’est parce qu’il
avait éprouvé cet amour, parce qu’il
avait eu le sentiment d’être désiré, d’être aimé, d’être quelqu’un pour
quelqu’un, que, dans ses derniers instants, il a ressenti cette joie dans sa
vie.
Et je ressens quelque chose que je voudrais
partager avec vous. Le plus grand destructeur de la paix,
aujourd’hui, est le crime commis contre l’innocent enfant à naîtrE.
Si une mère peut
tuer son propre enfant, dans son propre sein, qu’est-ce qui nous empêche, à
vous et à moi, de nous entretuer les uns les autres ? L’Écriture déclare elle-même : « Même si une mère peut oublier son enfant,
moi, je ne vous oublierai pas. Je
vous ai gardés dans la paume de ma main. » Même si une mère pouvait
oublier... Mais aujourd’hui on tue des
millions d’enfants à naître. Et nous ne disons rien. On lit dans les
journaux le nombre de ceux-ci ou de ceux-là qui sont tués, de tout ce qui est
détruit, mais personne ne parle des
millions de petits êtres qui ont été conçus avec la même vie que vous et moi,
avec la vie de Dieu. Et nous ne disons rien. Nous l’admettons pour nous
conformer aux vues des pays qui ont légalisé l’avortement. Ces nations sont
les plus pauvres. Elles ont peur des
petits, elles ont peur de l’enfant à naître et cet enfant doit mourir ; parce
qu’elles ne veulent pas nourrir un enfant de plus, élever un enfant de plus,
l’enfant doit mourir.
Et
ici, je vous demande, au nom de ces petits... car ce fut un enfant à naître qui reconnut la présence de Jésus lorsque
Marie vint rendre visite à Elisabeth, sa cousine. Comme nous pouvons le
lire dans l’Evangile, à l’instant où Marie pénétra dans la maison, le petit qui
était alors dans le ventre de sa mère tressaillit de joie en reconnaissant le
Prince de la Paix.
C’est
pourquoi, aujourd’hui, je vous invite à prendre ici cette forte résolution : nous allons sauver tous les petits enfants,
tous les enfants à naître, nous allons leur donner une chance de naître. Et
que ferons-nous pour cela ? Nous
lutterons contre l’avortement par l’adoption. Le Bon Dieu a déjà si
merveilleusement béni le travail que nous avons fait, que nous avons pu sauver
des milliers d’enfants. Et des milliers
d’enfants ont trouvé un foyer où ils sont aimés. Nous avons apporté tant de
joie dans les maisons où il n’y avait pas d’enfant !
C’est pourquoi, aujourd’hui, en présence de
Sa Majesté et devant vous tous qui venez de pays différents, je vous le demande
: prions tous d’avoir le courage de défendre l’enfant à naître et de donner à
l’enfant la possibilité d’aimer et d’être aimé. Et je pense qu’ainsi —avec la grâce de
Dieu — nous pourrons apporter la paix
dans le monde. Nous en avons la possibilité. Ici, en Norvège, vous êtes —
avec la bénédiction de Dieu — vous êtes assez à l’aise. Mais je suis sûre que
dans les familles, dans beaucoup de nos maisons, peut-être que nous n’avons pas
faim pour un morceau de pain, mais peut-être qu’il y a quelqu’un dans la
famille qui n’est pas désiré, qui n’est pas aimé, qui n’est pas soigné, qui est
oublié. Il y a l’amour. L’amour commence
à la maison. Un amour, pour être vrai, doit faire mal.
|
Le massacre des Saints Innocents. Mais jusqu'où ira la barbarie humaine ? |
Je n’oublierai jamais le petit enfant qui m’a
donné une merveilleuse leçon. Les enfants avaient entendu dire, à Calcutta, que
la Mère Teresa n’avait pas de sucre pour les enfants. Or une petit garçon
hindou, de 4 ans, rentra à la maison et dit à ses parents : « Je ne veux pas manger de sucre pendant trois
jours. Je veux donner mon sucre à Mère Teresa. » Combien un petit enfant
peut-il manger ? Après trois jours, ses parents l’amenèrent chez moi et je vis
ce petit Il pouvait à peine prononcer mon nom. Il aimait d’un grand amour ; il aimait à en avoir mal.
Et voici ce que je vous propose : nous
aimer les uns les autres jusqu’à en avoir mal. Mais n’oubliez pas qu’il y a
beaucoup d’enfants, beaucoup d’enfants, beaucoup d’hommes et de femmes qui n’ont
pas ce que vous avez. Souvenez-vous de
les aimer jusqu’à en avoir mal.
Il
y a quelque temps — cela peut vous sembler très étrange — j’ai recueilli une
petite fille dans la rue. Je pus voir sur son visage que cette enfant avait
faim. Dieu sait depuis combien de jours elle n’avait pas mangé ? Je lui ai
donné un morceau de pain. Et la petite fille se mit à manger ce pain miette par
miette. Et comme je lui disais : « Mange
ce pain », elle me regarda et dit : «
J’ai peur de manger ce pain parce que
j’ai peur d’avoir de nouveau faim quand il sera fini. » Telle est la
réalité.
|
Les âmes des saints Innocents accompagnant la Sainte Famille fuyant en Egypte, par William Holman Hunt |
Et puis il y a encore cette grandeur des
pauvres. Un soir, un monsieur vint chez nous pour nous dire : « Il y a une famille hindoue de huit enfants
qui n’a pas eu à manger depuis longtemps. Faites quelque chose pour eux. »
J’ai pris du riz et je m’y suis rendue immédiatement. Et j’ai trouvé là cette
mère et ces visages de petits enfants, leurs yeux brillants de réelle faim.
Elle me prit le riz des mains, le divisa en deux parts et sortit. Lorsqu’elle
revint, je lui demandai : « Où
êtes-vous allée ? Qu’avez-vous fait ? » Et l’une des réponses qu’elle
me fit fut : « Ils ont aussi faim. »
Elle savait que ses voisins, une famille musulmane, étaient affamés. Qu’est-ce
qui m’a le plus surpris ? Non pas qu’elle ait donné le riz, mais ce
qui m’a le plus étonnée c’est que, dans sa souffrance, dans sa faim, elle
savait que quelqu’un d’autre avait faim. Et
elle avait le courage de partager ; et elle
avait l’amour de partager.
Et
c’est cela que je vous souhaite : aimer
les pauvres. Et ne jamais tourner le dos aux pauvres. Car, en tournant le dos
aux pauvres, vous vous détournez du Christ. Parce qu’il s’est fait lui-même
l’affamé, le misérable, le sans- logis, afin que vous, comme moi, ayez
l’occasion de l’aimer.
Car où est Dieu ? Comment pouvons-nous
aimer Dieu ? Il ne suffit
pas de dire : « Mon Dieu, je vous
aime. » Mais il faut dire : « Mon Dieu, je vous aime ici. Je puis jouir de
cela, mais j’y renonce. Je pourrais manger ce sucre, mais, ce sucre, je le
donne. »
Si
je restais ici toute la journée et toute la nuit, vous seriez étonnés par les merveilles que font les gens pour partager
la joie de donner. C’est pourquoi je prie Dieu pour vous, afin qu’il apporte la
prière dans vos foyers et que le fruit de cette prière soit, en vous, la
conviction que, dans les pauvres, se trouve le Christ. Et, alors, vous
croirez vraiment, vous commencerez d’aimer ; puis vous aimerez tout naturellement et vous essayerez de faire quelque
chose. Tout d’abord dans votre propre maison, puis chez votre voisin, dans le
pays où vous vivez et dans le monde entier.
Et
maintenant, unissons-nous tous dans cette prière : « Seigneur, donnez-nous le courage
de protéger l’enfant à naître ! »
Car l’enfant est le plus beau présent de
Dieu à une famille, à un pays et au monde entier. Dieu vous bénisse !