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Frans Purbus le jeune, Annonciation, Nancy |
Extraits du vénérable abbé Henri Marie
Boudon, « La dévotion aux neufs
chœurs des saints Anges », 12e motif, Dieu seul
Quand on a
dit "Dieu", tout est dit, et il ne reste plus rien à dire, au moins au pur amour,
dont tout le plaisir est de le dire mais de le dire seul. Comment pourrait-il
dire autre chose, puisqu'il ne sait autre chose ?
Pour nous, disait autrefois l'un des plus grands saints
de ce pur amour, le divin Paul, nous ne connaissons plus personne (II
Cor. V, 16) ; car c'est le propre de cet amour, d'ôter la vue de tout
ce qui n'est pas Dieu : ou s'il laisse la connaissance de quelque autre
chose, ce n'est que pour la voir en son néant, en la présence de cet être
suradorable. De là vient qu'il s'écrie : Qu'ai-je au ciel ou en la
terre, sinon vous, ô mon Dieu ! (Psal. LXXII, 25) Il n'a rien en la terre, il n'a rien au
ciel ; parce qu'il n'a rien que Dieu seul.
En vérité, il ne pense plus
ni à plaisir, ni à réputation, ni à honneurs, ou à richesses. Il s'oublie des
biens naturels, des biens temporels, des biens moraux, des biens spirituels,
n'étant rempli que du souverain bien. Je dirai plus : il perd même la mémoire
de soi-même, car il se voit dans le rien, comme le reste des choses : dans
l'affaire de son salut, dans son âme, dans le paradis, dans l'éternité, il n'y
voit que le Dieu de son âme, le Dieu du paradis, le Dieu de l'éternité. On a
beau lui faire voir et lui parler d'autre chose, son cœur est toujours tourné
vers Dieu seul. Son cœur et sa chair sont dans une sainte défaillance à l'égard
de tout être créé ; Dieu seul, le
Dieu de son cœur, et sa part éternelle, fait son unique tout.
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La Vierge au chardonneret |
C'est dans cet état qu'était cet homme apostolique, qui assurait
qu'il ne vivait plus, qu'il n'y avait que Jésus qui vivait en lui. La divine
Catherine de Gènes, que l'on peut appeler la sainte de la divinité de
Jésus-Christ, ne pouvait pas même supporter ce mot, de "moi" ; c'est-à-dire,
qu'elle ne pouvait en aucune manière regarder le propre intérêt.
Ô mon
Dieu, et mon tout ! disait et redisait l'humble saint François ;
et il passait les nuits et les jours à dire ces paroles du pur amour. Ô douces et agréables paroles, est-il
écrit dans le dévot livre de l'Imitation
de Jésus-Christ, et c'est un plaisir de les répéter ; car
enfin, il est très vrai, et l'âme qui aime purement, ne doutera pas de cette
vérité : le pur amour en sa netteté ne peut voir, ne peut s'arrêter, ne
peut dire que Dieu seul. Il ne peut se réjouir, et il ne peut prendre plaisir
qu'en Dieu seul.
(...) Mais la plupart des cœurs sont attachés à
leurs intérêts, et ceux qui se sont faits quittes de l'intérêt temporel, ne
sont pas sans intérêt spirituel. Un contemplatif eut un jour une vue du petit
nombre des parfaits amants du Fils de Dieu. Il lui était montré qu'entre mille,
il n'y en avait pas cent qui aimassent Dieu, et entre ces cents presque pas un
qui l'aimât pour l'amour de lui-même. Cette vue lui coûta bien des larmes.
« Ah ! disait-il, est-il possible qu'il y ait si peu de cœurs
qui aiment de la belle manière ; mais combien dans ce très petit nombre de
personnes qui aiment Dieu pour Dieu, s'en trouve-t-il qui, aimant Dieu pour
Dieu, n'aiment que lui seul, et avec fidélité ? »
(...) C'est ce qui nous a obligé de donner
d'autres motifs en ce petit Traité, afin qu'au moins les hommes aiment en
quelque manière que ce soit : mais tous ces motifs ne sont considérables
que parce qu'ils se terminent à Dieu. C'est Dieu qui donne la valeur à toutes
choses, et sans lui toutes choses ne
sont rien.
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Chapelle de l'Annonciation, Basilique de l'Annonciation, à Nazareth.
ICI le Verbe s'est fait chair. |
(…) L'épouse, dans le Cantique des Cantiques (III,
2-4), cherche ce Dieu seul au milieu des nuits sombres, et des obscurités de
cette vie ; et dans l'ardeur de l'amour qui la presse, elle va de tous
côtés : elle cherche ce bien-aimé dans les rues et les places publiques,
elle en demande des nouvelles à tous ceux qu'elle rencontre ; mais tous
ses efforts demeurent inutiles et sans effet. Enfin, elle est rencontrée par
les gardes de la ville ; et les ayant un peu passés, elle trouve avec joie
le bien-aimé de son cœur.
Or cette
amante sacrée est l'âme, divinement éprise du pur amour ; c'est pourquoi
elle est épouse à raison de son union avec Dieu seul. Comme ses affections ne
sont pas partagées, elle mérite le lit nuptial du divin époux ; aussi
dit-elle qu'elle le cherche en son lit. Cet époux lui déclare qu'il a été
blessé d'amour par l'un de ses yeux, et par un seul de ses cheveux (Cant.
IV, 9) : il veut marquer par-là l'unité de ses affections ; il ne
parle que de l'un de ses cheveux, parce qu'elle n'a qu'une seule liaison ;
que de l'un de ses yeux, parce qu'elle ne regarde qu'une seule chose, et c'est
ce qui lui a ravi son cœur : ainsi elle ne pense qu'à lui, et ne veut que
lui seul. Elle va donc dans les rues et les places publiques, le cherchant
uniquement ; elle ne se met pas en peine s'il fait nuit ; elle ne
songe pas qu'elle marche dans les ténèbres, son amour lui sert de flambeau et
de guide : de même l'âme qui a le
pur amour, s'appuyant uniquement sur la foi, cherche Dieu seul sans cesse au
travers de tous les voiles des choses créées, et dans les rues et les places
publiques, c'est-à-dire, de tous côtés ; et comme l'épouse demande son
bien-aimé, sans même le nommer, l'amour qui l'a transportée lui faisant croire
que tout le monde sait le sujet de ses affections ; aussi cette âme crie
partout, Dieu seul, sans prendre garde à ceux qui entendent ce langage ou
non : elle méprise avec facilité l'aveuglement de ces gens, à qui ce
discours est comme une langue étrangère.
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Entrée de la maison d'Anne et Joachim, dite "grotte de l'Annonciation". On imagine aisément l'Enfant Jésus jouant dans la cour, ses saints parents et ses saints grand-parents assis, bavardant, devant l'Enfant Dieu. |
Le langage
de l'amour, dit saint Bernard, est un
langage barbare à ceux qui n'aiment pas. Si je parle, dit l'amoureux saint
Augustin, à une personne qui aime, elle ressent assez ce que je dis : si
je parle à un cœur glacé et dépourvu de l'amour, il ne l'entend pas. L'épouse ne trouve pas son bien-aimé ;
c'est que son bien-aimé est Dieu seul : et dans tous les hommes il y a
autre chose que Dieu seul ; si on excepte celle qui ne peut souffrir de
comparaison, la toujours incomparable Vierge Mère de Dieu. Le péché se
rencontre dans tous, ou le péché mortel, ou véniel, ou au moins originel ;
s'il est vrai que quelques saints aient été préservés du péché véniel, comme
quelques-uns le pensent de saint Jean-Baptiste : mais enfin, ce bien-aimé
se trouve après la rencontre de ceux qui veillent sur la garde de la
cité ; c'est que ces gardes posés sur les murs de Jérusalem, qui veillent
continuellement, sont les saints anges ; et on trouve le bien-aimé en les
rencontrant, parce qu'il n'y a et n'y a jamais eu en eux que Dieu seul.
Il est vrai que l'épouse
déclare qu'elle a trouvé son bien-aimé, après avoir un peu passé ces gardes
parce que le pur amour ne s'arrête pas même aux beautés, ni à toutes les autres
perfections des anges, pour aimables et pour charmantes qu'elles puissent
être : il passe tout cela, et s'en va uniquement à Dieu seul, l'auteur de
toutes ces grâces et de tous ces dons, le principe et la fin de toutes choses.