Le culte du Sacré-Cœur est, de toute évidence, en relation directe
et intime avec l’Incarnation, avec l’apparition en notre monde d’un Homme-Dieu:
il en est une conséquence logique. De ce fait on peut déjà augurer
une certaine complexité de la dévotion au Sacré-Cœur.
L’objet de cette dévotion se présente en effet comme assez complexe:
il apparaît cependant que l’élément premier en est le cœur matériel et organique du Christ. Ce Cœur, partie de son humanité, a droit à nos
adorations en raison de l’union substantielle de l’humanité du Christ au Verbe
divin.
Mais le culte rendu au Cœur ne s’arrête pas à lui: il va jusqu’à la
personne même du Christ: en adorant le Cœur de Jésus, c’est sa personne que
nous adorons, comme en baisant la main de quelqu’un, c’est à ce quelqu’un que
nous rendons hommage. De cette
première façon le culte dépasse déjà le cœur de chair lui-même. Il le dépasse encore en ce que, adorant le cœur
du Christ, nous adorons ce qu’il symbolise pour nous: l’amour de Jésus.
Deux éléments constituent donc la dévotion: l’un sensible, matériel:
le cœur de chair; l’autre spirituel : l’amour qu’il symbolise.
Si le culte ne doit pas s’arrêter au premier élément comme tel, il
n’est cependant pas autorisé à l’oublier pour ne retenir que le second. En un
mot, le cœur de chair est bien l’objet du culte, non pas en lui-même,
ni pour lui-même.
« En lui-même et pour lui-même, le cœur de chair du Christ, comme aussi bien
toutes les perfections créées du Christ, aurait droit à un culte de dulie, ou
plutôt, si l’on veut, d’hyperdulie. C’est le culte que nous rendons au Cœur
très pur de la sainte Vierge. Mais l’Eglise, pour éviter les erreurs possibles,
n’a pas consacré l’usage ou la pratique officielle de ce culte, qui demeure
seulement implicite en son esprit. Le danger serait, en effet, de s’en tenir à
cette vénération et à ce culte inférieurs du Christ, et de ne plus considérer
en lui que l’homme et d’oublier le Dieu. En réalité,
envers le Christ, Dieu Incarné, le culte premier et essentiel est latreutique,
c’est-à-dire d’adoration, et le culte de dulie n’est qu’accessoire et
complémentaire. » (P. Bainvel, sj.)
Mais en tant que symbole, emblème de l’amour de Jésus, de ses
excellences intimes, de ce qu’il a fait et souffert pour nous. Nos hommages ne s’adressent ni
à l’amour en lui-même, ni au cœur en lui-même, mais au cœur aimant, ou bien encore à l’amour
de Jésus sous la figure de son cœur de chair, comme s’exprimait sainte Marguerite
Marie.
Si le culte ne s’arrête pas au cœur de chair, il ne s’arrête pas non
plus à l’amour, entendu au sens étroit du mot. Toute notre vie, en effet,
affective, intellectuelle et morale, a son retentissement dans notre cœur. Impossible
dès lors d’honorer le cœur vivant du Christ sans honorer du même coup la vie
intime de Jésus, qui nous conduira encore comme naturellement à la personne
même de Jésus.
De sorte que la dévotion au Sacré-Cœur se présente comme la dévotion
à Jésus se montrant à nous, en nous montrant son cœur dans sa vie intime et ses
sentiments les plus personnels. Ainsi se justifient ces modalités du culte du Sacré-Cœur
: Cœur méconnu et outragé, Cœur agonisant, Cœur eucharistique, insistant sur
certains aspects de la vie et de la personne du Christ qui mettent en un plus
saisissant relief son amour et son amabilité. En définitive, l’objet principal
et unificateur, en lequel se résument tous les autres, du culte du Sacré-Cœur
est l’amour, l’amour de Jésus, son amour créé, humain.
Mais est-ce son amour pour les hommes ou son amour pour Dieu?
Premièrement et sans aucun doute, c’est son amour pour les hommes, puis son amour pour Dieu,
source du premier, et envisagé comme l’un des sentiments les plus parfaits qui
animent son Cœur.
La dévotion au Sacré-Cœur peut-elle aller plus loin et , s’appuyant
sur ce fait que le Christ est un Homme-Dieu, que son humanité est
substantiellement unie à sa divinité, s’étendre à l’Amour incréé, donc
proprement divin du Christ ?
Oui, dans la mesure où le cœur de chair symbolise l’Amour incréé,
considéré dans la personne du Verbe incarné comme cause de l’Incarnation et de
la Rédemption.
C’est donc en tant que l’amour créé dépend de l’Amour incréé, et le
suppose, qu’il peut le symboliser et le signifier, bien qu’indirectement. Or,
d’une part, l’Amour divin est la source et fait la perfection de l’amour humain
du Christ; et d’autre part, toute l’humanité du Christ, son corps, son âme, et
donc son amour, sont instruments de la grâce et de notre sanctification entre
les mains de Dieu, de l’Amour incréé.
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Cœur de Jésus, blessé par notre péché, ayez pitié de nous. |
La dévotion au Sacré-Cœur a donc bien le droit de remonter jusqu’à
l’amour divin par la vertu duquel nous sommes reliés physiquement dans notre
sanctification au Cœur de chair et à l’amour humain et divin, de Jésus.
Or l’amour
incréé de Jésus, qu’est-ce sinon l’amour du Père, du Fils et du Saint-Esprit ?
Ainsi le culte du
Sacré-Cœur, dévotion sensible s’il en fut, nous achemine et nous
introduit jusqu’au sein même de l’ineffable Trinité d’Amour. Réalisation magnifique des paroles du
Christ : « Je suis la
voie ; ... Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui
le Fils veut bien le révéler. »