Conte d'Emile
Gebhart, Au son des cloches, 1898
Melchior, Gaspard et Balthazar se
reposèrent tout un jour encore sur la terre de Palestine. Au crépuscule
suivant, l'étoile brilla d'un éclat si beau, qu'ils sentirent très proche le
terme de leur voyage. Ils gravirent
des collines arides : à leurs pieds se creusait une vallée ; des feux
étaient allumés de toutes parts, à la lueur desquels on reconnaissait des troupeaux et des bergers avec leurs
chiens. Au milieu de la vallée, près d'un bourg, une vaste masure appuyée à une grotte de rochers était comme illuminée
par trois rayons d'or qui tombaient de l'étoile mystérieuse.
L'or de Melchior |
Gaspard fit
taire sa musique barbare. Melchior imposa silence aux oraisons de ses ascètes.
On n'entendait plus que les cithares, qui rendaient une mélodie mourante, mêlée
de soupirs et de sanglots. Les troupeaux
regardaient sans effroi le défilé des éléphants. Les chiens vinrent flatter
les esclaves et les hommes d'armes. Quelques bergers chantaient d'une voix si
douce que Balthazar se mit à pleurer et à rire tout à la fois.
A minuit, les
trois Rois descendirent de leurs montures. Suivis
des esclaves portant les présents précieux, ils frappèrent à la porte. Melchior
tenait un encensoir d'or où fumait l'encens, Gaspard une cassolette d'or où
fumait la myrrhe, Balthazar n'avait entre les mains que son roseau.
La porte s'ouvrit. C'était une étable nue
et froide, où entrait le vent d'hiver. Sur la paille d'une crèche, un enfant
dormait. Un bœuf était à la droite, un âne à la gauche de la crèche, et leur
souffle réchauffait l'enfant. Une jeune femme vêtue de blanc se tenait assise à
la tête de l'humble berceau. Mais les trois Mages avaient reconnu le Dieu et
les trois races se prosternaient, le front dans la poussière, devant Jésus.
L'encens de Gaspard |
Les vapeurs
bleues de l'encens et de la myrrhe montèrent jusqu'au toit. Entre les poutres
mal jointes, on voyait le ciel et
l'étoile et des battements de grandes ailes blanches, et l'on entendait des
chuchotements angéliques.
Gaspard, le
premier, offrit ses présents, un monceau d'armes tout incrustées de diamants. «Seigneur, dit-il, me voici incliné devant
ta faiblesse, moi qui suis au comble de la grandeur humaine : je t'ai cherché
afin d'obtenir ton alliance dans la guerre et après la guerre. Fais que ces
armes se tournent contre quiconque élèverait son bras afin d'abaisser ma
puissance».
L'Enfant
dormait toujours. Et, dans les hauteurs, les voix célestes répondirent : «Je suis le Dieu des pacifiques et ne veux
d'autres armes que la douceur et la miséricorde. Les tiennes sont bonnes
seulement pour les rois qui, durant les siècles à venir, égorgeront mes peuples
comme des chevreaux sans défense!»
Melchior
joignit les mains ; tandis que ses esclaves déroulaient devant la crèche
des étoffes d'or et de soie et jetaient sur la paille de l'étable des poignées
de pierres précieuses : «Seigneur,
dit-il, j'ai longtemps écouté la parole des sages, et leur sagesse ne m'a paru
que vanité. J'ai vénéré les saints, et leur sainteté n'était que mensonge. J'ai
cherché un Dieu de vie à tâtons dans la nuit et n'ai rencontré que le deuil et
la mort. Prends, Seigneur, toutes mes richesses, tous mes trésors et fais que
la joie fleurisse sur les nécropoles de mon empire».
La myrrhe de Balthazar |
L'Enfant
dormait toujours. Et les anges répondaient : «Je suis le Dieu des pauvres. Je ne veux d'autres trésors que la pureté.
Laisse là ces présents : ils sont pour mes Pontifes et mes prêtres qui,
oublieux de mon dénuement, se vêtiront de soie et marcheront tout constellés
d'émeraudes et d'améthystes!»
Balthazar s'agenouilla
à son tour. Il prit entre ses mains les pieds de l'Enfant et les baisa en
pleurant.
«Petit Dieu, plus blanc et plus doux que la
lumière, je n'ai rien à t'offrir, rien que mon cœur et mes larmes. Aie pitié de
moi, Seigneur, aie pitié de mes frères, et pour notre grande tristesse,
donne-nous ton amour!»
Alors Jésus s'éveilla et se mit à sourire.
Il ouvrit ses petits bras et fit tomber sur la misère humaine une bénédiction
enfantine. Et, sur le toit de l'étable, dans le rayonnement de l'étoile, les
anges aux ailes blanches chantaient : «Gloire à Dieu au plus haut des
cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté!»
Le songe des Mages, Vézelay |
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