La fuite en Egypte accompagnée des saints Innocents, par William Holman Hunt |
La complainte de
l’embryon, Actuailes
n° 86 – 30 mai 2018
Le Christ pleurant ses petits martyrs |
Je ne vois pas encore le jour. Je suis au
creux de ma mère, lové tout au centre de celle qui me porte. Je suis minuscule,
en moi se concentre toute la puissance de ce qui deviendra un homme. Je suis un
embryon. L’homme et la femme qui m’ont conçu, mon père et ma mère, ont été
embryon avant moi. Un embryon est fait pour grandir, devenir homme ou femme.
Devenu grand, je pourrai à mon tour concevoir des embryons. Je suis un maillon
dans la chaîne de l’existence.
Ma vie ne tient qu’à un fil, ma vie ne
tient qu’à ce cordon qui me relie à ma mère. Par ce fil, je reçois tout. Comme
un poisson dans un aquarium, je vis et flotte dans un liquide qui me protège.
Je suis en sécurité, recroquevillé au creux de ma mère.
Tout concentré, les yeux fermés, les
poings serrés, je me déploie lentement, minute par minute. Peu à peu, je sens,
j’entends ce monde qui entoure le ventre de ma mère. Mystérieusement, je
grandis dans cette chambre secrète, silencieuse, où tous les sons me
parviennent assourdis comme si je vivais dans du coton. Je distingue déjà des
sons graves, des sons aigus. Il y a un monde au dehors et je me prépare à le
conquérir. Je grandis pour le découvrir.
Icône des saints Innocents |
Mais le fil de ma vie est trop ténu, mon
existence est trop secrète, ma présence est trop cachée. Je ne peux me défendre
avec mes yeux fermés et mes petits poings serrés. Je ne peux crier. Je suis
trop petit, je suis minuscule, je ne suis qu’un embryon.
Je suis là, mais on ne me voit pas. Je
suis là, mais on ne veut pas de moi. Je ne blesse personne, mais on en veut à
ma vie. Je ne fais rien et je suis déjà un danger. Je suis innocent, mais je
suis déjà condamné.
Le monde du dehors a décidé que moi
au-dedans je n’étais pas attendu, que je n’étais pas le bienvenu. Je suis là,
dedans, mais dehors personne ne veut s’occuper de moi. On ne veut pas de moi.
Je suis minuscule, mais je dérange. Je ne crie pas, je ne fais pas de bruit, je
ne bouge presque pas, mais je gêne déjà.
Ma vie va s’arrêter à l’intérieur.
L’extérieur m’est interdit. On va m’éliminer. On va me tuer. Je ne sais pas
pourquoi. Je n’ai pas demandé à venir à l’existence. Maintenant que j’existe,
on veut me faire retourner au néant. On veut briser la chaîne. Je ne comprends
pas. Je ne suis qu’un embryon, dont le monde ne veut pas. Je vais rester dans
la nuit. Je ne verrai pas le jour.
Aidez-moi !
Père Augustin-Marie
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