Du Pape François Ier, extraits de la Messe
chrismale célébrée le matin du Jeudi Saint 2015
La fatigue des prêtres ! Savez-vous
combien de fois je pense à cela : à la fatigue de vous tous ? J’y pense beaucoup et je prie souvent,
surtout quand moi aussi je suis fatigué. Je prie pour vous qui travaillez au
milieu du peuple fidèle de Dieu qui vous a été confié, et, pour beaucoup, en
des lieux très abandonnés et dangereux. Notre
fatigue, chers prêtres, est comme l’encens qui monte silencieusement vers le
ciel (cf. Ps 140, 2 ; Ap 8,
3-4). Notre fatigue va droit au cœur du
Père.
L'agonie à Gethsémani. Un ange envoyé par le Père console et soutient le Fils de Dieu. Prions-nous notre Ange gardien et notre saint Patron ? |
Soyez sûrs que la Vierge Marie se rend
compte de cette fatigue, et la fait remarquer tout de suite au Seigneur. Comme Mère, elle sait comprendre quand
ses fils sont fatigués et elle ne pense à rien d’autre. Elle nous dira toujours,
lorsque nous venons à elle : « Bienvenue !
repose-toi, fils. Après nous parlerons… Ne suis-je pas là, moi qui suis ta
Mère ? » (cf. Evangelii
gaudium, n. 286). Et elle dira à son Fils, comme à Cana : « Ils n’ont
plus de vin » (Jn 2, 3).
Il arrive aussi
que, lorsque nous ressentons le poids du travail pastoral, nous ayons la tentation de nous reposer de n’importe
quelle manière, comme si le repos n’était pas une chose de Dieu. Ne tombons pas
dans cette tentation. Notre fatigue est précieuse aux yeux de Jésus, qui
nous accueille et nous fait relever : « Venez à moi vous tous qui peinez
sous le poids du fardeau, moi je vous procurerai le repos » (cf. Mt 11, 28). Quand quelqu’un sait
que, mort de fatigue, il peut se prosterner en adoration et dire : « Ça
suffit pour aujourd’hui, Seigneur », et se rendre devant le Père, il sait
aussi qu’il ne s’effondre pas, mais qu’il se renouvelle, parce que celui qui a
oint le peuple fidèle de Dieu de l’huile d’allégresse, le Seigneur l’oint
également : « Il met le diadème sur sa tête au lieu de la
cendre, l’huile d’allégresse au lieu des larmes, le chant au lieu d’un esprit
abattu » (cf. Is 61, 3).
Ayons bien présent
à l’esprit qu’une clé de la fécondité
sacerdotale se trouve dans la manière dont nous nous reposons, dont nous
sentons que le Seigneur s’occupe de notre fatigue. Comme il est difficile
d’apprendre à se reposer ! Là se joue notre confiance, et aussi le
souvenir que nous aussi nous sommes des brebis et nous avons besoin du pasteur,
qui nous aide. Quelques questions à ce sujet peuvent nous aider.
Est-ce que je sais
me reposer en recevant l’amour, la gratuité et toute l’affection que me donne
le peuple fidèle de Dieu ? Ou bien, après le travail pastoral est-ce que
je cherche des repos plus raffinés, non pas ceux des pauvres, mais ceux
qu’offrent la société de consommation ? L’Esprit Saint est-il vraiment pour moi « repos dans la fatigue », ou seulement celui qui me fait
travailler ? Est-ce que je sais demander l’aide de quelque prêtre
sage ? Est-ce que je sais me reposer de moi-même, de mon
auto-exigence, de mon autosatisfaction, de mon autoréférence ? Est-ce que je sais converser avec Jésus,
avec le Père, avec la Vierge et Saint Joseph, avec mes saints amis protecteurs
pour me reposer dans leurs exigences – qui sont douces et légères –, dans la
satisfaction d’être avec eux – eux, ils aiment rester en ma compagnie –, et
dans leurs intérêts et leurs références – seule les intéresse la plus grande
gloire de Dieu – … ? Est-ce que je sais me reposer de mes ennemis sous
la protection du Seigneur ? Est-ce que j’argumente et conspire en
moi-même, ressassant plusieurs fois ma défense, ou est-ce que je me confie à
l’Esprit Saint qui m’enseigne ce que je dois dire en toute occasion ?
Est-ce que je me préoccupe et me tourmente excessivement ou, comme Paul, est-ce
que je trouve le repos en disant : « Je sais en qui j’ai mis ma foi » (2 Tm 1, 12) ?
Le portement de la Croix et Simon de Cyrène. Ayons de bons amis au Ciel mais aussi sur la terre. |
Revoyons un moment,
brièvement, les engagements des prêtres,
qu’aujourd’hui la liturgie nous proclame : porter aux pauvres la Bonne Nouvelle, annoncer la libération aux
prisonniers et la guérison aux aveugles, donner la liberté aux opprimés et
proclamer l’année de grâce du Seigneur. Isaïe dit aussi soigner ceux qui ont le
cœur brisé et consoler les affligés.
Ce ne sont pas des
tâches faciles, ce ne sont pas des tâches extérieures, comme le sont par
exemple les activités manuelles – construire une nouvelle salle paroissiale, ou
tracer les lignes d’un terrain de football pour les jeunes du patronage… ;
les tâches mentionnées par Jésus engagent notre capacité de compassion, ce sont
des tâches dans lesquelles le cœur est « mû » et ému. Nous nous
réjouissons avec les fiancés qui se marient, nous rions avec l’enfant qu’ils
font baptiser ; nous accompagnons les jeunes qui se préparent au mariage
et à la famille ; nous nous affligeons avec celui qui reçoit l’onction sur
un lit d’hôpital ; nous pleurons avec ceux qui enterrent une personne
chère… Tant d’émotions… Si nous avons le
cœur ouvert, cette émotion et tant d’affection fatiguent le cœur du pasteur.
Pour nous, prêtres, les histoires de nos gens ne sont pas un bulletin
d’information : nous connaissons nos gens, nous pouvons deviner ce qui se
passe dans leur cœur ; et le nôtre, en souffrant avec eux, s’effiloche, se
défait en mille morceaux, il est bouleversé et semble même mangé par les
gens : prenez et mangez. C’est la parole que le prêtre de Jésus chuchote
constamment quand il prend soin de son peuple fidèle : prenez et mangez,
prenez et buvez… Et ainsi notre vie sacerdotale se donne dans le service, dans
la proximité du peuple de Dieu… qui toujours, toujours fatigue.
Je voudrais
maintenant partager avec vous quelques autres fatigues sur lesquelles j’ai
médité.
Il y a celle que
nous pouvons appeler « la fatigue
des gens, la fatigue des foules » : pour le Seigneur, comme pour
nous, elle était épuisante – l’Évangile le dit –, mais c’est une bonne fatigue,
une fatigue pleine de fruits et de joie. Les gens qui le suivaient, les
familles qui lui portaient leurs enfants pour qu’il les bénisse, ceux qui
avaient été guéris, qui venaient avec leurs amis, les jeunes qui
s’enthousiasmaient pour le Rabbi…, ne lui laissaient même pas le temps de
manger. Mais le Seigneur ne se fatiguait pas de rester avec les gens. Au
contraire : il semble que cela le remontait. (cf. Evangelii gaudium, n. 11). Cette fatigue au milieu de notre
activité est, en général, une grâce qui est à portée de main de nous tous,
prêtres (cf. ibid., n. 279). C’est vraiment une belle chose : les
gens aiment, désirent et ont besoin de leurs pasteurs ! Le peuple
fidèle ne nous laisse pas sans occupation directe, sauf si on se cache dans un
bureau ou si on part en ville avec des verres teintés. Et cette fatigue est
bonne, c’est une fatigue saine. C’est la fatigue du prêtre avec l’odeur de ses
brebis…, mais avec le sourire de papa qui contemple ses enfants et ses petits-enfants.
Rien à voir avec ceux qui sentent des parfums chers et qui te regardent de loin
et de haut (cf. ibid., n. 97). Nous sommes les amis de l’Époux, c’est là
notre joie. Si Jésus fait paître le troupeau au milieu de nous, nous ne
pouvons pas être des pasteurs au visage acide, qui se lamentent, ni, ce qui est
pire, des pasteurs qui s’ennuient. Odeur des brebis et sourire de pères… Oui,
très fatigués, mais avec la joie de celui qui écoute son Seigneur qui
dit : « Venez les bénis de mon
Père » (Mt 25, 34).
Dieu seul est le Consolateur, Celui qui connaît nos cœurs. Détail d'une Crucifixion. |
Il y a aussi la
fatigue que nous pouvons appeler « la fatigue des ennemis ». Le démon
et ses adeptes ne dorment pas ; et comme leurs oreilles ne supportent pas
la Parole de Dieu, ils travaillent inlassablement pour la faire taire ou la
troubler. Ici la fatigue de les affronter est plus dure. Non seulement il
s’agit de faire le bien, avec toute la peine que cela comporte, mais il faut
aussi défendre le troupeau et se défendre soi-même du mal (cf. Evangelii gaudium, n. 83). Le
malin est plus astucieux que nous, et il est capable de démolir en un moment ce
que nous avons construit avec patience durant beaucoup de temps. Il est
nécessaire ici de demander la grâce d’apprendre à neutraliser– c’est une
habitude importante : apprendre à neutraliser ‑ : neutraliser le mal,
ne pas arracher l’ivraie, ne pas prétendre défendre comme des surhommes ce que
seul le Seigneur doit défendre. Tout
cela aide à ne pas baisser les bras devant l’épaisseur de l’iniquité, devant la
dérision des méchants. La parole du Seigneur pour ces situations de fatigue
est : « Ayez courage, j’ai
vaincu le monde ! » (Jn 16, 33). Et cette parole nous donnera
de la force.
Et une dernière –
dernière pour que cette homélie ne vous fatigue pas trop – il y a aussi « la
fatigue de soi-même » (cf.
Evangelii gaudium, n. 277). C’est peut-être la plus dangereuse. Parce que les deux autres proviennent du fait
d’être exposé, de sortir de nous même pour oindre et nous donner quelque chose
à faire (nous sommes ceux qui prenons soin). En revanche, cette fatigue est
plus autoréférentielle : c’est la
déception de soi-même, mais pas regardée en face, avec la sérénité joyeuse de
celui qui se découvre pécheur et qui a besoin de pardon, d’aide : celui-là
demande de l’aide et va de l’avant. Il s’agit de la fatigue qui porte à
« vouloir et ne pas vouloir », le fait de tout risquer et ensuite de
regretter l’ail et les oignons d’Égypte, de jouer avec l’illusion d’être autre
chose. J’aime appeler cette fatigue « minauder
avec la mondanité spirituelle ». Et quand on reste seul, on s’aperçoit
que beaucoup de secteurs de la vie ont été imprégnés de cette mondanité, et on
a même l’impression qu’aucun bain ne peut la nettoyer. Il peut y avoir là pour
nous une mauvaise fatigue. La parole de l’Apocalypse nous indique la cause de
cette fatigue : « Tu ne manques pas de persévérance, et tu as
tant supporté pour mon nom, sans ménager ta peine. Mais j’ai contre toi que ton
premier amour, tu l’as abandonné » (2, 3-4). Seul l’amour donne du repos. Celui qui ne s’aime pas se fatigue mal, et
à la longue, se fatigue plus mal.
L’image la plus
profonde et mystérieuse de la manière dont le Seigneur s’occupe de notre
fatigue pastorale est celle de celui qui « ayant aimé les siens…, les aima
jusqu’à la fin » (Jn 13, 1) : la scène du lavement des pieds.
J’aime la contempler comme lavement de la sequela.
Le Seigneur purifie la sequela elle-même, il s’implique avec
nous (Evanglii gaudium, n. 24), il se charge le premier de nettoyer toute
tache, ce smog mondain et onctueux qui s’est collé durant le chemin que nous
avons fait en son Nom.
Jésus, Sauveur, doux et humbles de Cœur : "Venez à moi, vous qui peinez et ployez sous le poids du fardeau ..." |
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