Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie
1. Très saint
et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et
l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je
vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un cœur viril,
pour reprendre hardiment les vices qui se commettent tous les jours,
surtout les vices qui sont contre votre sainte volonté tous les vices, sans
aucun doute, vous déplaisent, comme ils
doivent déplaire à l’âme qui craint Dieu et qui déplore l’outrage fait à son
Créateur. O très saint Père, ouvrez l’œil de l’intelligence, et contemplez la
douce Vérité. Vous y verrez combien vous êtes tenu et obligé d’avoir les yeux
fixés sur vos enfants, et de vous appliquer à choisir des auxiliaires pour
garder les brebis quand elles sont malades de cette grande maladie qui donne la
mort, c’est-à-dire du péché mortel. Lorsque vous les voyez, et que ceux qui
aiment Votre Sainteté vous les font voir, vous
ne devez pas les souffrir près de vous au sein de l’Eglise; ou bien
corrigez-les, et mettez-les dans l’impossibilité de commettre le mal, au moins
celui qui afflige tant votre cœur. Je sais que votre Sainteté me comprend, et
je n’ai pas besoin de m’expliquer davantage.
Sainte Catherine de Sienne adorant l'Enfant-Dieu entre les bras de Notre Dame |
2. Je vous dis
que la divine Bonté se plaint parce que son Epouse est appauvrie par les
anciennes plantes qui ont vieilli dans les
vices, l’orgueil, la débauche, l’avarice, en commettant de honteuses simonies;
et maintenant les plantes nouvelles, qui devraient confondre ces vices par la
vertu, commencent à s’égarer et à prendre les mêmes habitudes (Ces
nouveaux cardinaux avaient été nommés le 18 septembre, deux jours avant l’élection
de l’antipape Clément VII. Les reproches de sainte Catherine ne s’adressent pas
à tous. Parmi les plus vertueux, on cite le cardinal Philippe d’Alençon, de la
famille royale de France.).
Oui, le Christ béni se plaint de ce que l’Eglise n’est pas purifiée de ces vices, et de ce que Votre Sainteté n’y apporte pas tout le zèle qu’elle devrait avoir. Vous ne pouvez pas du premier coup déraciner les vices qui existent dans toute la chrétienté, et surtout dans le clergé, sur lequel vous devez veiller davantage; mais, afin de ne pas charger votre conscience, vous pouvez et vous devez faire au moins tous vos efforts pour purifier le cœur de la sainte Eglise; vous devez détruire la corruption de ceux qui sont près de vous, et vous entourer de ceux qui cherchent l’honneur de Dieu et le vôtre avec le bien de l’Eglise, sans se laisser souiller par les flatteries et par l’argent. Si vous réformez ainsi le cœur de votre Epouse, tout son corps sera facilement réformé pour la gloire de Dieu, pour votre honneur et votre utilité. L’hérésie sera éteinte par l’effet d’une réputation sainte et par l’odeur de la vertu. Tous s’empresseront d’accourir à Votre Sainteté, en voyant que vous détruisez les vices et que vous agissez selon vos désirs.
3. Je ne
voudrais pas que vous vous arrêtiez aux vêtements et à des considérations d’une
plus ou moins grande valeur, mais seulement que vous choisissiez des hommes qui marchent avec droiture, et non avec
fausseté. Savez-vous ce qui arrivera, si vous n’employez pas le remède autant
que vous pourrez le faire? Dieu veut absolument réformer son Epouse; il ne
veut plus qu’elle soit couverte de lèpre; et si vous ne faites pas ce que vous
pouvez faire et ce pourquoi vous avez été élevé à une si haute dignité, il le fera lui-même au moyen de grandes
tribulations; il enlèvera tout le bois tordu, et il le redressera à sa manière.
Hélas! très saint Père, n’attendons pas cette humiliation, mais travaillez avec courage, et faites vos
affaires secrètes avec ordre et mesure; en les faisant sans ordre et sans
mesure, vous les gâterez plus que vous ne les arrangerez. Ecoutez avec calme et bienveillance ceux qui craignent Dieu et qui vous
disent ce qu’il faut et ce que vous devez faire, vous montrant les désordres qu’ils
savent exister autour de Votre Sainteté.
Saint Thomas d'Aquin et Saint Bonaventure conseillant le Pape |
4. Mon doux Père, vous devez vous estimer très heureux d’avoir des personnes qui vous aident à voir et à empêcher des choses qui tourneraient à votre honte et à la ruine des âmes. Adoucissez un peu, pour l’amour de Jésus crucifié, les mouvements trop prompts que la nature fait naître en Vous. C’est par la sainte Vertu que vous résisterez à la nature. Puisque Dieu vous a donné un cœur naturellement grand, je vous prie et je vous demande de vous appliquer à l’avoir surnaturellement grand, c’est-à-dire, que, par le zèle et le désir de la Vertu et la réforme de la sainte Eglise, vous acquerriez un cœur courageux, affermi dans une humilité véritable. Vous aurez ainsi le naturel et le surnaturel car la nature sans la grâce nous servirait à peu de chose; elle ferait naître plutôt des mouvements de colère et d’orgueil ; et quand viendrait l’occasion de reprendre des personnes qui nous touchent de près, nous ralentirions le pas et nous deviendrions timides... Mais quand on ressent la faim de la vertu, et qu’on ne pense qu’à l’honneur de Dieu, sans songer à soi, on reçoit la lumière, la force, la constance, la persévérance surnaturelle, qui ne se ralentit jamais, et fait toujours son devoir avec courage. J’ai prié, et je prie continuellement le Père suprême et éternel de vous en revêtir, vous, le Père de tous les fidèles chrétiens, parce qu’il me semble que dans les circonstances où nous nous trouvons, nous en avons un extrême besoin.
5. Pour moi, votre misérable et ignorante petite fille, je ne cesserai jamais d’agir, tant que Dieu
m’en fera la grâce. Je veux terminer ma vie pour vous et pour la sainte Eglise,
dans les larmes et les veilles, dans une fidèle, humble et persévérante prière;
Dieu me le permettra, car de moi-même je ne puis rien. Je sais qu’elle n’est
jamais refusée, l’humble, persévérante et fidèle prière qui s’adresse à l’infinie
bonté de Dieu, pourvu que sa demande soit juste. Vos serviteurs et vos enfants qui craignent Dieu prient et prieront
ainsi pour vous, et d’autant mieux qu’ils seront meilleurs. Je le ferai de mon
côté, quoique remplie de défauts; et vous, du vôtre, faites ce que vous devez
et ce que vous pouvez. Nous apaiserons ainsi la colère de Dieu, et vous
consolerez vos serviteurs.
Les Cardinaux, électeurs et conseillers du Pape lors de la procession des Rameaux à Rome |
Vous le ferez, j’en suis persuadée, si vous avez un cœur viril, mais pas
autrement; aussi, je vous ai dit que je
désirais vous voir avec un cœur viril, et c’est le grand désir de mon âme.
Vous serez alors ma joie, mon allégresse, ma consolation, et
celle des serviteurs de Dieu qui obéissent à Votre Sainteté, qui vous aiment et
qui cherchent l’honneur de Dieu et le vôtre avec zèle et sans hypocrisie, n’ayant
pas une chose sur la langue et une autre dans le cœur. Je n’en dis pas
davantage. Demeurez dans la sainte et
douce dilection de Dieu Que Votre Sainteté veuille bien s’entourer de personnes
fidèles qui craignent Dieu, afin que ce qui se fait et se dit dans votre palais
ne soit pas rapporté aux démons incarnés qui ont le malheur d’être vos ennemis,
à l’antipape et à ses adhérents.
Pardonnez, très saint Père, à ma présomption si j’ose vous écrire avec
cette assurance, c’est que j’y suis forcée par la Bonté divine, par le besoin
que je vois et par l’amour que je vous porte. Je serais venue, et je ne vous
aurais pas écrit, si je n’avais pas craint de vous importuner si souvent.
Supportez-moi avec patience, et je ne
cesserai jamais, tant que je vivrai, de vous presser par mes prières, mes
paroles et mes lettres, jusqu’à ce que je voie en vous et dans la sainte Eglise
ce que je désire, et ce que je sais que vous désirez encore plus que moi, fallut-il
même sacrifier sa vie.
Il le faut, très saint Père, ne
dormons plus. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus,
Jésus amour.