Les archanges des royaumes et des provinces doivent encore faire le sujet de vos dévotions ; comme aussi ceux des villes et villages où vous demeurez, et par où vous passez. C'était la dévotion du saint homme, le P. Le Fèvre, premier compagnon de saint Ignace ; et saint François de Sales en fait une honorable mention, en son livre de l'Introduction à la vie dévote. Saint François Xavier, allant aux Indes, fit ses dévotions au saint archange de ces pays ; et étant encore à Rome, il fut visité et exhorté puissamment de passer en ces terres étrangères par un ange habillé en Indien. Ce Macédonien, qui parut à saint Paul, et qui le pressait d'aller en Macédoine, pour y prêcher l'Évangile était sans doute l'archange de ce pays-là !
Nous avons dit ci-devant, qu'il y avait des anges qui prennent soin des cieux, du soleil, du feu, de l'air, des eaux, de la terre, et même des autres créatures qui sont dans le monde. Et l'angélique Docteur tient que Dieu se sert du ministère des esprits du ciel, pour tout ce qu'il fait ordinairement ici-bas en terre. C'est par eux que les fléaux de sa divine justice sont détournés, que les embrasements et les incendies s'éteignent, que les inondations cessent, que la peste s'apaise, que l'air se purifie, que les terres deviennent fertiles, et enfin que toutes sortes de biens nous arrivent, et que nous sommes préservés d'une infinité de maux ; et souvent tout cela sans que nous nous en apercevions, sans que nous sachions les obligations que nous en avons aux saints anges.
Prenons donc aujourd'hui une bonne résolution de les en remercier quelquefois, et de les invoquer et faire invoquer par des prières publiques et particulières, en temps de famine, de guerre, ou de peste, dans les autres maladies et besoins, pour la sécheresse et la pluie, pour les grains de la terre, et en toutes sortes de nécessités. Nous avons aussi dit que c'étaient les protecteurs à qui nous devons avoir recours en toutes choses, et les plus puissants que le ciel nous ait donnés pour détruire toute la puissance de nos adversaires.
Nos églises ont des anges qui les gardent, et les autels mêmes ; et ils se rendent à grandes troupes auprès des tabernacles, où repose le très-saint Sacrement de l'autel, pour y faire la cour à leur souverain. Plusieurs saints les ont vus rendre leurs adorations à leur grand Roi et au nôtre. Un saint ermite apprit de la bouche même d'un ange, qu'il gardait un autel, et qu'il n'en était point parti depuis sa consécration. C'est à ces anges que nous devons souvent avoir recours, afin qu'ils suppléent à nos négligences, à nos tiédeurs, et à notre peu de respect devant le Dieu d'infinie majesté, au très saint sacrement, afin qu'ils apaisent sa colère justement irritée, pour tant d'irrévérences qui se commettent en nos églises, afin qu'ils ouvrent les yeux à la plupart des Chrétiens qui font si peu d'attention à la vénération qui est due à nos temples. Il est bon de s'unir à ces esprits célestes, à leurs respects, à leurs amours ; et, à l'imitation du Psalmiste, chanter les louanges de Dieu en leur présence.
Ô mon Seigneur et mon Dieu, souffrez ici que mon cœur se répande et soupire devant votre majesté, sur le déplorable aveuglement que l'on remarque parmi votre peuple, qui est le peuple de lumière. Est-ce donc vous, ô Dieu infiniment adorable ! qui êtes caché avec toutes vos grandeurs sous le voile des espèces de la divine Eucharistie ? Est-ce votre corps, votre sang, votre âme, votre divinité, qui est réellement et véritablement au très-saint sacrement de l'autel ? Reste-t-il encore quelque peu de foi pour ces vérités si indubitables ?
Mais est-ce une illusion ce que nous voyons, ce que nous touchons, ce que nous apercevons si souvent dans le traitement que vous recevez des hommes en cet auguste mystère ? Les cheveux dressent, et il n'y a partie dans tout le corps qui ne tremble de frayeur, quand l'on considère les abominables profanations que font les sorciers, de ce sacrement d'amour, et les impiétés horribles des hérétiques, à l'égard de ce mystère adorable. Mais qui pourra jamais concevoir les irrévérences des fidèles, des personnes qui croient et qui craignent, et qui se disent prêts de mourir pour cette vérité ; que vous êtes, ô mon Dieu, ô adorable Jésus, très présent en la divine Eucharistie. Anges du firmament, quel spectacle est-ce pour vous que la vue d’un tel aveuglement ? Ah ! Qu’il faut bien dire que votre patience prend ces mesures de celle de ce débonnaire Sauveur, pour souffrir de telles irrévérences ! Non, il le faut dire à la face du ciel et de la terre, on ne peut en revenir ; il n'est pas possible, il faut se perdre d'étonnement lorsque l'on considère des ténèbres si effroyables. Ô mon Dieu ! Ô mon Dieu ! Vivons-nous dans un pays catholique ? Nos églises et nos autels sont-ils entre les mains des fidèles ? Ces peuples qui s'y rendent en foule, ont-ils quelque reste de foi ? Sommes-nous enchantés dans la découverte que nous faisons de ce qui se passe ; et si ce sont des vérités, pouvons-nous vivre ? Est-il possible que nous puissions rester dans un lieu où notre Maître est si étrangement traité ?
Écoutez, Chrétiens, mais écoutez-le bien : C'est une chose hors de doute, que sous la moindre petite parcelle du très saint sacrement de l'autel, le grand Dieu des éternités y est très véritablement ; tous les catholiques en demeurent d'accord. Mais quels soins apporte-t-on pour empêcher les profanations qui en peuvent arriver ? Oh ! Combien de prêtres, peu instruits des saintes rubriques, ou peu appliqués aux soins du corps adorable d'un Dieu, ne font presque point d'attention pour recueillir soigneusement les parcelles qui peuvent rester sur la patène ou sur le corporal ! La plupart des autels portatifs sont si petits, que l'on ne peut pas retirer le saint calice un peu à côté ou en arrière pour avancer la patène sur le corporal, et pouvoir lever ledit corporal, et en faire tomber les parcelles qui y restent sur la patène, en sorte que très souvent le corps du Fils de Dieu y demeure, et tombe par terre, ou bien est porté à l'eau, quand il les faut blanchir. Combien trouve-t-on de corporaux troués, ou dans une saleté qui fait bondir le cœur ? L'expérience fait voir dans les maisons religieuses, où l'on se sert à la grille d'une patène quand l'on communie, ou de quelque taffetas rouge ou vert, parce que la couleur du linge ne permet pas de voir les parcelles de la sainte hostie, qui sont de la même couleur ; l'expérience, dis-je, fait connaître que souvent plusieurs parcelles se détachent insensiblement du très saint sacrement, et que par suite, dans les lieux où il n'y a qu'une nappe ordinaire, elles tombent, ou sur cette nappe, ou par terre, à moins que le prêtre ne veille extraordinairement à porter le ciboire de telle manière, qu'il soit toujours au-dessous de la sainte hostie, ce qui n'est pas presque possible en plusieurs occasions. Si elles tombent sur la nappe, elles tombent aussi par terre ; car à chaque fois que l'on communie, on laisse aller la nappe, et l'on n'y fait pas davantage de réflexion ; ensuite on la plie, on ne la regarde pas, et quand on le ferait, les petites parcelles qui sont presque imperceptibles, ne se pourraient pas voir, à raison de la couleur blanche du linge. Voilà donc le corps d'un Dieu foulé aux pieds, et quelquefois sous les souliers d'une chétive créature.
Combien de tabernacles pleins d'araignées ou de
poussière, et si peu fermés, que l'on ne voudrait pas en sa maison avoir des
armoires si peu sûres et si sales pour y renfermer les moindres choses !
Combien de prêtres en laissent-ils la clef dans
l'église, sans être enfermée sous quelque autre clef, que l'on doit emporter,
si l'on n'emporte pas celle du tabernacle ?
Et combien de profanations arrive-t-il de ce peu de soin ? Nous parlons des choses que nous savons.
Combien de ciboires, honteusement couverts de méchants haillons, pour y mettre la divinité, le corps et le sang de l'adorable Jésus ? Cependant les Chrétiens savent et voient ces choses, et presque personne ne pense à y apporter remède. L'on entend, hé mon Dieu ! Combien de fois l'ai-je entendu ? combien de fois me l'a-t-on dit ? Il n'y a point d'argent pour avoir même un peu de linge pour faire des corporaux ou purificatoires ! Les plus pauvres paysans en trouveront pour leur avoir des chemises et des collets ; mais pour vous, mon Dieu, vous n'avez pas ce crédit.
Ô Messieurs et Mesdames, qui avez tant de beau linge, tant de beaux meubles, tant de vaisselle d'argent, et qui en avez quelquefois pour les plus bas usages, que direz-vous au jour du jugement ? Pasteurs qui avez le soin de ce corps adorable, que lui direz-vous ? Sera-ce une excuse pour vous, de dire en ce jour redoutable, que l'Église n'avait pas d'argent pour avoir des corporaux, pour avoir quelque petit ciboire ou calice ? L'épargne d'un festin, de quelque repas, ou quelque autre dépense, y serait plus que suffisante ; je dis pour des calices et des ciboires ; car deux écus, ou moins, vous suffiraient pour avoir des corporaux, qui quelquefois sont si étroits, que le prêtre, après la consécration, à peine peut-il y tenir les mains. On verra dans la chapelle d'un gentilhomme un calice d'étain ; dans celle de plusieurs ecclésiastiques, qui en ont de bons revenus, la même chose, et presque point de corporaux ou d'ornements pour le saint autel. Mais est-il bien possible que ces choses que nous avançons soient véritables ? Y a-t-il encore quelque foi du très saint sacrement parmi les Chrétiens ? Nos cœurs peuvent-ils bien subsister après cela, sans se feindre de douleur ? Qui me donnera une voix de tonnerre, pour crier par toute la terre aux enfants des hommes, et leur reprocher leur dureté et leur insensibilité ?