Du
vénérable abbé Henri Marie Boudon, « Dieu
seul ou le saint esclavage de
l’admirable Mère de Dieu », Chap. 2,
Avoir une dévotion particulière à l'immaculée
Conception de la très pure Vierge
Si
sainte Brigitte, au livre VIe de ses Révélations, déclare que la
bienheureuse Vierge lui a manifesté que Dieu avait permis que plusieurs
personnes pieuses avaient douté de la vérité de son Immaculée Conception, afin
de donner plus de lieu à ses dévots de faire paraître leur zèle en un sujet qui
lui était si glorieux, quoique la vérité en fût cachée à quelques-uns qui le
révoquaient en doute ; il n’y a point à délibérer pour ses esclaves en
cette rencontre, qui doivent faire une haute profession de soutenir tout ce qui
regarde la gloire de leur bonne maîtresse. Et c'est une maxime enseignée par
les plus saints et plus braves théologiens que nous devons accorder à la Mère
de Dieu tous les privilèges qui lui peuvent être donnés sans préjudice de la
foi. Nous avons dit que le véritable esclave est autant que l'on peut être
selon Dieu à la divine Marie : il faut donc qu'il soit pour sa Conception
Immaculée, il doit en soutenir hautement la vérité en toutes sortes
d'occasions, il doit se déclarer ouvertement et en public et dans le
particulier pour ce mystère, qui doit être le sujet de sa dévotion
particulière, en faisant la fête avec toute la solennité possible, en s'y
préparant par des pratiques spéciales d'une vertu solide, et en l'honorant
souvent le long de l'année par les dévotions que l'amour de sa chère mère lui
inspirera. Ce n'est pas de merveille, si lorsque l'on considère une personne,
on demeure d'accord touchant ses intérêts de toutes les choses où tout le monde
ne trouve aucune difficulté ; mais c'est lui rendre des témoignages d'une
amitié sincère, de prendre son parti dans une cause fâcheuse, où elle est
puissamment combattue. Disons de même, qu'il ne faut pas s'étonner si des
catholiques honorent la très sainte Vierge en des mystères qu'ils sont obligés
de croire par la foi, s'ils célèbrent des fêtes qui sont reçues des
schismatiques même, comme celles de l'Annonciation que les Moscovites
solennisent avec des respects tout extraordinaires, quoiqu'ils ne reçoivent pas
les autres fêtes des mystères de Notre-Seigneur. Les marques d'un zèle
véritable que l'on peut donner, doivent paraître en une matière qui est
contestée : et nous devons nous réjouir de la liberté qui nous est
accordée, pour avoir lieu de témoigner à notre divine princesse notre bonne
volonté. Comme c'est elle qui a détruit toutes les hérésies, selon que le
chante l'Église ; c'est le propre des hérétiques de s'opposer aux honneurs
qui lui sont rendus par les fidèles. Dans le dernier siècle, le misérable
Luther osait bien dire que les fêtes de la très sainte Vierge lui déplaisaient beaucoup ;
mais surtout la fête de sa très pure Conception. C'est ce qui doit animer le
zèle de ses dévots, dont l'ardeur se doit redoubler par les contradictions de
l'enfer et de ses suppôts : aussi voyons-nous que le Saint-Esprit inspire
plus que jamais la dévotion de l'Immaculée Conception dans le cœur des fidèles.
Le
roi catholique Philippe III obtint de Paul V par ses ambassadeurs, qu'il avait
envoyés tout exprès, une bulle par laquelle il était défendu de soutenir dans
les sermons, leçons, ou autres actes publics, l'opinion contraire à l'Immaculée
Conception : mais il n'est pas possible d'exprimer la joie de tout le
royaume d'Espagne à la nouvelle de la bulle : il fit une grande fête
depuis le 6 d'octobre jusqu'au 8 de décembre, partout l'on faisait des processions
solennelles en actions de grâces, ce n'était que feux de joie de tous côtés,
c'était une réjouissance publique de toute sorte d'états et de conditions, qui
tâchaient de faire paraître à l'envi l'un de l'autre leur amour pour les
intérêts de la souveraine du ciel et de la terre. Grand nombre de princes,
plusieurs universités, quantité de chapitres, de collèges et de confréries
s'obligèrent par vœu de ne dire jamais rien de contraire à la vérité de ce
privilège de la Mère de Dieu ; mais de le croire inviolablement jusqu'au
dernier soupir de leur vie, autant que l'Église le permettait. L'on en institua
la confrérie, que Charles-Quint avait déjà fait établir en d'autres lieux, où
le roi, les princes et princesses, les ducs, marquis, comtes, et enfin les plus
grands du royaume, plusieurs universités, collèges, cent quatre-vingt
monastères, et plus de vingt mille hommes ayant donné leur nom, ils firent tous
vœu de soutenir l'Immaculée Conception ; le roi catholique embrassant
cette dévotion avec une telle ferveur qu'il serait allé volontiers à pied à
Rome, s'il avait cru pouvoir obtenir quelque chose de plus du Saint-Siège en
faveur de ce mystère. Philippe IV, digne héritier du zèle d'un roi si pieux,
aussi bien que de ses États, impétra de Grégoire XV, l'an 1622, une bulle par
laquelle il était défendu non-seulement, comme en la précédente, de soutenir
l'opinion contraire dans les actes publics, mais encore dans les entretiens
particuliers : et à présent cette dévotion s'est tellement augmentée en ce
royaume catholique que la plupart des prédicateurs commencent leurs sermons par
ces saintes paroles : Loué soit à jamais le très saint Sacrement de
l'autel et l'Immaculée Conception de la Mère de Dieu.
Il
y a déjà longtemps que notre France s'est déclarée pour le glorieux privilège
de celle qu'elle reconnaît pour sa puissante protectrice, étant plus que jamais
en sa dépendance, à raison du vœu et de la donation que lui en a faite le feu
roi Louis le Juste (XIII), de glorieuse mémoire, renouvelée et confirmée par le roi Louis
Dieu-Donné (XIV), à présent régnant, et ratifiée et acceptée par tous ses sujets
catholiques. Sa plus florissante université n'accorde la qualité de docteur
qu'à condition de défendre un privilège si avantageux à la mère de toute la
science des saints : et ces années dernières l'on a vu dans la capitale du
royaume une maison de saintes religieuses établies par la piété de notre grande
reine, qui sont toutes dédiées en l'honneur de la très pure Conception, après
la solennité d'une grande fête, suivie d'octave, dans laquelle pendant tous les
jours de ladite octave plusieurs princes de l'Église et autres fameux
prédicateurs publiaient les grandeurs, aussi bien que la vérité du mystère.
Il
est bien difficile d'en douter à celui qui considérera que la très sainte Vierge,
si elle n'avait été exempte de péché originel, aurait été sujette du
démon : car quelle apparence que celle qui devait briser la tête du
serpent infernal en fût l'esclave ? Quelle apparence que celle qui devait
triompher avec tant de gloire de enfer, y fût assujettie ? Non, dit un
ancien Père, la justice ne permettait pas que ce vaisseau d'élite fût déshonoré
par des misères qui sont communes au reste des hommes. Mais peut-on croire, que
si dans la terre où il y a si peu d'ordre, les maitres cependant y sont
préférés aux valets, les rois à leurs sujets ; que dans le ciel l'on
considère davantage les serviteurs, que celle qui en est l'auguste reine ?
Si Marie a été sujette au péché originel, il faut dire qu'en cela Adam a eu
plus de privilège, et que les anges ont été plus heureux, leur pureté n'ayant
jamais été souillée de la moindre tache d'aucun péché. Disons de plus, qu'il y
allait de l'honneur de son Fils qu'elle en fût préservée ; parce que comme
la gloire des pères descend jusqu'à leurs enfants, de même leur ignominie
retourne en quelque manière sur eux. Saint Thomas se sert de cette raison pour
prouver que la très sainte Vierge n'a jamais commis aucun péché véniel. Mais si
cette preuve est forte à l'égard du péché véniel, elle l'est bien plus à l'égard
du péché originel, puisque l'âme par le péché véniel ne sort pas de la grâce et
de l'amitié de Dieu, et n'est pas sous la domination du démon : ce qui
arrive par le péché originel. Si donc, l'Angélique docteur ne peut souffrir la
pensée du plus petit péché véniel en l'âme de la très sainte Vierge, s'il
estime que son Fils en aurait été déshonoré, qu'il y allait de ses divins
intérêts de ne le pas permettre ; comment pourra-t-on se persuader que
cette âme toute sainte ait tombé dans le péché d'origine, qui est un péché
mortel, qui prive du paradis et de la grâce ? En vérité la seule idée en
donne l'horreur : car serait-il bien possible que Marie, la plus aimée,
aussi bien que la pus aimante des créatures, eût été le sujet de la haine de
son Fils, eût été le sujet de l'aversion d'un Dieu qui l'avait destiné pour sa
Mère ? Serait-il bien possible que le diable pût se vanter de l'avoir eue
sous son empire, et de l'avoir détenue captive sous ses fers, et garrottée en
ses chaînes ?
Il
est vrai qu'il y a eu quelques saints dans des sentiments contraires ;
mais c'était dans des temps où ce mystère n'était pas encore assez connu. Ils
disaient que la fête qui en était célébrée, n'était pas approuvée des
Souverains Pontifes ; ils disaient qu'il n'y avait que des églises
particulières qui en faisaient la solennité. Mais ces raisons pourraient-elles
aujourd'hui avoir quelque force, puisque la fête est reçue par le Saint-Siège,
et de toute l'Église universelle ? De plus, il y a de graves auteurs, et
des chroniques d'un grand ordre, qui rapportent que ces saints paraissant
visiblement après leur mort, se sont rétractés de leurs opinions, et ont avoué
la vérité de la Conception Immaculée. L'on
peut encore remarquer que les oppositions de ces saints n'ont servi qu'à faire
paraître avec plus d'éclat la pureté sans tache de la bienheureuse Vierge en sa
conception toute sainte : car si l'on objecte que leur autorité est
grande, c'est ce qui doit persuader davantage la vérité qu'ils ont impugnée,
quoi qu'avec respect, puisque toutes les écoles de théologie ayant tant de
déférence pour leur doctrine, si elles ne la suivent pas en quelque matière,
c'est une des marques les plus fortes que l'on puisse avoir qu'elle n'est pas
vraie.
Mais
y a-t-il rien de plus puissant, pour nous convaincre les esprits, que
l'inclination générale de l'Église universelle ? Si elle parle du péché
originel dans le dernier concile œcuménique, elle déclare qu'elle n'y comprend
pas l’Immaculée Mère de Dieu. Dès les premiers siècles, le grand saint Augustin
a enseigné que lorsqu’il s'agit du péché il ne voulait en aucune façon parler
de la bienheureuse Vierge. Et, de vrai, le Saint-Esprit ne lui dit-il pas, dans
les Cantiques, qu'elle est toute belle et sans aucune tache ? Et ne
pouvons-nous pas assurer avec justice que c'est ce même Esprit qui unit les
esprits de presque tous les fidèles, pour conspirer unanimement à la pieuse
croyance de cette vérité ? En sorte que, si l'on demande à tous les
peuples qui viennent en foule louer le Seigneur en sa sainte Mère par toute la
terre habitable, en autant de lieux qu'il y a des églises, le jour de la fête
de sa Conception, ce qu'ils viennent honorer en la solennité de ce mystère,
sans doute qu'ils répondront qu'ils ont dessein d'honorer la Conception
Immaculée de la Mère de Dieu. Et en cette rencontre, toutes les chaires de nos
temples retentissant de cette vérité, toute la terre fait comme un écho à
toutes les voix qui s'y font entendre, répétant cette vérité, qui s'y publie
par autant de bouches qu'il y a de personnes qui les écoutent. Ajoutons à ceci
que les souverains pontifes ont approuvé l'office de l'immaculée Conception,
qui se fait dans tout l'ordre de Saint François, non-seulement le jour de la
fête, mais tous les samedis de l'année, hors le temps de carême, quand ils ne
sont pas empêchés par quelque fête ; qu'il y a des ordres institués en
l'honneur de ce mystère, de grandes indulgences accordées à ceux qui y ont une
dévotion spéciale.
Davantage
le ciel conspire avec la terre pour l'établissement d'une si sainte
dévotion, qu'il ne peut autoriser plus efficacement que par le grand nombre de
miracles qu'il fait en sa faveur. Le fameux Avila, prédicateur apostolique
d'Espagne, qui vivait dans une extrême pauvreté, n'ayant rien et ne possédant
rien, quoiqu'il ne fût pas religieux, mais prêtre dans le siècle, annonçant
d'une force merveilleuse les vérités de l'Évangile, exhortait tous les fidèles
à la dévotion de la toute sainte Conception, et assurait que c'était un
singulier moyen pour être délivré de l'impureté, rapportant de grands miracles
que Dieu, tout bon, faisait pour soutenir une dévotion si avantageuse à sa
très-sainte Mère. Ces miracles continuent tous les jours, et il y a peu
d'années qu'il s'en est fait d'admirables. La séraphique Thérèse avait une dévotion
très spéciale à ce privilège de la glorieuse Vierge ; et c'est une des
plus anciennes dévotions de l'ordre du mont Carmel, qui tient par tradition que
la connaissance en avait été donnée par révélation au saint patriarche Elie.
Elle le faisait honorer particulièrement tous les samedis par sa
communauté ; et elle rapporte qu'un religieux ayant été délivré d'une
attache déshonnête qu'il avait pour une malheureuse, qui s'était servie d'un
petit portrait qu'elle lui avait donné, où était attaché un maléfice pour le
gagner, s'étant défait de ce portrait, elle estime que cette grâce lui a été
donnée à raison de la dévotion qu'il portait à l'Immaculée Conception. L'on
doit ici remarquer que les maléfices, et tous les démons qui en sont les
auteurs, ne peuvent pas forcer la volonté, et que la seule cause du
consentement que les hommes donnent au péché par ces maléfices est le mauvais
usage de la grâce de Dieu, qui est donnée pour y résister ; le peu de soin
que nous avons de nous servir des moyens propres pour ne nous pas laisser
vaincre, comme des sacrements, de l'oraison, des veilles, des jeûnes, du
recours à la protection de la sainte Vierge et des saints anges ; et enfin
notre faiblesse à nous laisser aller à nos inclinations et à ne pas éviter les
occasions, et autres choses qui contribuent à notre perte. Le vénérable P. Jean
de la Croix, premier Carme déchaussé, et singulièrement dévot à la très pure
Conception, après avoir mené une vie toute cachée avec Jésus en Dieu, par
l'amour des humiliations et mépris, et s'étant rendu une belle image vivante de
l'adorable crucifié en sa vie et en sa mort, a participé à la gloire de sa
résurrection, Dieu l'avant honoré de plusieurs miracles ; et il semble que
le ciel ait pris plaisir à le faire paraître aux yeux des hommes, après sa
mort, à proportion qu'il s'y était voulu caché pendant sa vie, faisant voir des
images miraculeuses de différents mystères et de divers saints dans les
moindres parcelles de sa chair très pure, pour marquer qu'il avait l'esprit de
ces mystères et les grâces de ces saints. Mais ce qui est bien considérable,
c'est que le mystère de l'Immaculée Conception y paraissait d'une manière tout
extraordinaire, comme si cet homme, tout de croix en son nom et en ses actions,
cet homme de vertus et de prodiges, n'eût pas été content de n'avoir qu'une
bouche et qu'une langue, durant sa vie, pour en persuader la dévotion, et qu'il
eût obtenu de Dieu, après sa mort, que les moindres parties de son corps
fussent changées comme en autant de langues admirables, pour l'enseigner d'une
manière toute-puissante aux âmes les moins zélées.
Disons
donc que la raison nous porte à honorer ce mystère, et que l'autorité nous en
persuade le respect. Disons que l'inclination de l'Église universelle, les
approbations, indulgences et autres grâces du Saint-Siège, n'en doivent laisser
aucun doute dans nos esprits, qui doivent être tout convaincus par les
miracles. Mais disons encore que le ciel ayant parlé clairement sur ce sujet,
il n'y a plus d'apparence de ne se pas rendre. Les Révélations de sainte
Brigitte ont été approuvées de l'Église, et cette grande sainte assure qu'il
lui a été révélé que la très pure Vierge a été conçue sans péché originel. Je
sais que le cardinal Cajetan, répondant à cette objection, cite sainte Catherine
de Sienne, qui a été dans un sentiment contraire. Mais ce n'est pas répondre à
la difficulté de l'objection, dont la force n'est pas dans l'autorité seulement
d'une sainte, mais dans la révélation qu'elle en a eue de Dieu. Sainte Brigitte
dit nettement qu'elle en a eu révélation du ciel ; et sainte Catherine de
Sienne ne parle que selon ses pensées, dont il ne faut pas s'étonner, puisqu'en
cela elle suit l'opinion de la plupart des docteurs de son ordre. Davantage,
plusieurs ont estimé que ce qui se lit de cette matière dans les écrits de
cette grande sainte y a été ajouté, et n'est nullement d'elle. Mais supposons
qu'il en soit ainsi, les prophètes ne parlent pas toujours en prophètes ;
ils ont leurs lumières propres, dans lesquelles ils se peuvent tromper.
Enfin,
l'on me dira que la foi ne nous oblige pas de croire ce privilège de la Mère de
Dieu, et il est vrai : c'est pourquoi, comme nous l'avons déjà dit, étant
en liberté de le croire, ou de ne nous y pas arrêter, c'est en cela que nous
pouvons donner des marques de notre zèle. Un célèbre théologien, dans un gros volume
qu'il a intitulé Theologia Mariana, qui est l'un des plus savants et des
plus dévots ouvrages que l'on ait composés en l'honneur de notre incomparable
maîtresse, dit que si l'on disputait la noblesse à une personne considérable en
la présence d'un grand roi, et le roi ne décidant pas absolument la chose,
déclarât cependant qu'on lui ferait plaisir de tenir cette personne pour noble,
sans doute qu'elle aurait juste sujet de se plaindre de ceux qui combattrait sa
noblesse, et elle pourrait dire qu'ils seraient ses ennemis : car pourquoi
attaquer de gaieté de cœur une qualité qui lui est avantageuse ? Le roi
même aurait lieu de s'en offenser, pour la résistance que l'on ferait à ses
inclinations. Or de même, dit ce savant homme, ne semble-t-il pas que c'est se
déclarer contre la sainte Vierge, que de lui disputer un de ses plus grands
privilèges ? Pourquoi ne pas lui donner une faveur, et ne demeurer pas
d'accord d'une grâce qui lui est si glorieuse, le pouvant faire en bonne
conscience ? N'a-t-elle pas lieu de demander pourquoi on lui envie sa
gloire ? Mais l'Église n'y oblige pas. Faut-il pour prendre des sentiments
avantageux de la Mère de Dieu, y être obligé ? Quelle preuve serait-ce de
l'amitié que nous aurions vouée à une personne que nous considérerions
beaucoup, d'attendre à la servir quand nous y serions contraints ? Quelle
apparence donc d'être au service de la reine du ciel à de telles
conditions ? Pour peu de zèle que l'on puisse avoir pour ses intérêts, y
a-t-il occasion que l'on n'embrasse quand il s'agit de les soutenir ? Mais
disons plus, que si l'Église ne nous oblige pas à croire l'Immaculée
Conception, elle nous le permet, et même elle nous y invite, et propose des
faveurs, et n'a que des grâces pour ceux qui se rangent de cette pieuse
croyance. Après cela, qui nous empêche d'entrer dans le parti de ses fidèles
dévots ? Nous le pouvons, c'est ce qui est incontestable : pourquoi
donc ne le pas faire ! L'Église nous y invite, pourquoi résister à ses
mouvements ? Elle nous accorde de grandes grâces pour ce sujet :
pourquoi nous priver de ces bénédictions ? Reprenons ces pensées, et nous
mettant en présence de la divine Marie, considérons-les un peu avec attention.
Ô très sainte Vierge, je puis vous obliger en prenant des sentiments très
glorieux touchant vos privilèges : mais je n'en veux rien faire, n'y étant
pas obligé par la foi : cependant il est entièrement en ma liberté de vous
marquer en cette rencontre mon zèle : mais je n'en ferai rien : ce
n'est pas que je ne connaisse assez que les inclinations de l'Église en vont
là ; mais j'aime mieux suivre les mouvements de quelques particuliers et
les lumières de mon esprit. Je vois, de plus, qu'il y a de grandes bénédictions
et des faveurs et grâces non pareilles, mais je choisis plutôt de perdre toutes
ces grâces, et de me priver de toutes ces bénédictions, que de vous accorder
une faveur que soutiennent toutes les plus fameuses écoles de théologie, et qui
fait le sentiment presque universel de tout le monde : je veux
faire bande à part, et m'attacher à une opinion que l'on n'oserait enseigner
publiquement, que l'on ne peut plus prêcher, et dont même il n'est pas permis
de disputer dans les entretiens particuliers. Voilà ce que font ceux qui
tiennent l'opinion contraire de la toute sainte Conception, et en vérité c'est
ce que je ne comprends pas : nous ne les condamnons pas, mais nous nous
étonnons comme ils peuvent agir de la sorte envers la très sainte Mère de Dieu.
Il
faut ici ajouter que les Turcs reconnaissent qu'entre les enfants d'Adam, Marie
a été conçue sans péché. Après cela serait-il bien possible que nous
voulussions lui dénier un privilège que les mahométans, ses plus cruels ennemis
lui accordent ? Quoi ! Il serait vrai de dire qu'un malheureux Turc,
qu'un misérable infidèle aurait des sentiments plus avantageux de la Conception
de la toute aimable Marie ! C'est ce qu'un bon cœur aura toujours bien de
la peine à supporter.
Le
dévot Jean Berchmans, de la Compagnie de Jésus, avait signé de son sang qu'il
défendrait toujours l'Immaculée Conception, et c'était un ange de la terre,
aussi n'y est-il pas longtemps demeuré ; ces âmes innocentes sont plus
propres pour l'empirée que pour le monde qui n'en est pas digne, étant tout
rempli de corruption : et comme l'on rapportait au grand cardinal
Bellarmin la dévotion de cette âme angélique, il s'écria fortement :
« Ô sainte Vierge ! Vous l'avez voulu avoir de votre parti. » Il
ne faut pas en être surpris, puisque le dévot Alphonse Rodriguez a eu
révélation qu'une des raisons pour lesquelles Dieu a suscité la Compagnie de
Jésus dans son Eglise, est de soutenir l'opinion de la Conception
Immaculée ; et de vrai, l'effet qui en est suivi, en a bien fait voir la vérité,
tant de savantes plumes de cette société s'étant employées pour la défendre,
tant d'éloquents prédicateurs en ayant prêché avec des persuasions si vives la
vérité, tant de célèbres docteurs l'ayant enseignée dans les écoles avec une
force nonpareille , tant de congrégations de cette Compagnie en ayant établi la
dévotion en toutes les contrées du monde.