Détail, Dieu le Père entouré des Esprits bienheureux, Pérugin |
Homélie du Dimanche de Pentecôte, Pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté, le
11 mai 2008, par le R.P. Hervé Tabourin, de Sainte-Croix de Riaumont
Au nom du Père,
et du Fils, et du St Esprit... et du St Esprit ! du St Esprit...
Mes biens chers frères, n'avons-nous pas trop souvent prononcé cette
formule capitale -celle de la foi de notre baptême- sans bien y penser ?
Le Saint-Esprit... en cette solennité du Dimanche de Pentecôte, la
liturgie nous invite à prendre conscience de ce don extraordinaire qui nous est
fait. Don reçu par la grâce baptismale. Don qui nous a fortifiés à la
Confirmation. Don divin qui peut être perdu, mais aussi retrouvé avec la grâce
sanctifiante par le sacrement de pénitence.
Sept semaines après Pâques -une semaine de semaines- la Pentecôte
était déjà fêtée dans l'ancienne Alliance. Le peuple de Dieu commémorait
alors les tables de la Loi reçues par Moïse. Aujourd'hui, avec les apôtres au
Cénacle, c'est la loi de l'Alliance nouvelle et éternelle qui est reçue dans
l'Église naissante. Voici les dons du Saint-Esprit promis par le Christ,
nous révélant la plénitude de la vie intime de Dieu, un et trine.
On oublie trop
cette 3ème personne de la Sainte-Trinité agissant dans nos âmes. Il ne s'agit pas de tomber
dans une sensiblerie charismatique, mais de vivre en présence de celui qui nous
fait prier, qui nous fait oser dire à Dieu "Pater noster".
Avec cette messe, nous nous retrouvons au pied de la sainte Croix,
derrière Notre Dame et le disciple bien-aimé. C'est encore une fois l'unique
sacrifice Rédempteur qui est rendu présent pour nous, ici et maintenant. Et
comme l'évoquent les mots choisis par St Jean, le Seigneur en rendant son
dernier souffle, en expirant, nous "remit
l'esprit". Le verbe ici employé signifie donner, remettre, livrer,
transmettre. Le Seigneur répandit son Esprit... Comme le Christ qui est
la tête -le chef- de ce grand corps dont nous sommes les membres, on peut dire
du Saint-Esprit qu'il est l'âme de l'Église. Il l'anime de son souffle
vivant et divin, depuis la Pentecôte.
Car le St Esprit n'a pas plus commencé à souffler dans l'Église à la fin
du XXème siècle... qu'il n'a -depuis lors- abandonné sa barque ! Toute
l'histoire de l'Église est animée du mystère de cette présence qui l'inspire.
C'est l'âme de sa tradition, bien vivante, qui traverse les siècles. Tradition,
transmission... dont ce magnifique pèlerinage à son tour témoigne depuis déjà
plus d'un quart de siècle.
Permettez-moi un témoignage plus personnel, celui d'un jeune homme du
service d'ordre en 1983 -quand les portes de la cathédrale nous étaient fermées
à cause du rite de la messe-, devenu le prêtre qui vous parle en ce jour. Grâce
à Dieu j'ai pu accomplir à pied chacun de ces pèlerinages depuis plus de 25
ans... et bien pourtant à chaque fois, c'est toujours nouveau !
Nulle habitude
ne résiste à ce souffle de Pentecôte. « Ad Deum qui laetificat juventutem meam ». La Chrétienté nous
rajeunit. Il n'y a que le péché qui marque la vieillesse de l'âme. Frères
pèlerins, secouons- nous, à nouveau, en reprenant cette route, enivrés de
l'esprit de Pentecôte...
« Ô Esprit
saint ; Esprit invisible, impalpable, Esprit qui n’êtes qu’esprit »
Nous avons naturellement bien du mal visiblement à nous représenter
l'extraordinaire don qui nous est fait. Comment voir le St Esprit ? Comment
imaginer corporellement ce souffle d'un Dieu qui n'est qu'Esprit ?
Peut-être les images de l'ombre de la nuée ou de la gentille colombe
nous abusent elles un peu... A la Pentecôte c'est le souffle d'un
ouragan avec l'intensité de langues de feu qui enflamment les premiers
chrétiens. On les croit même ivres ! Ivres de l'amour de Dieu... Sommes-nous
aussi pleins de ce vin nouveau, qui fait craquer les vieilles outres ?
Laissons gonfler nos âmes à ce souffle de l'Esprit de Pentecôte.
Avançant bannières au vent dans la plaine de Beauce, nos chapitres sont plus
qu'une image, une parabole vivante, une petite Chrétienté où souffle pour nous
l'Esprit.
Vous avez sûrement admiré ce matin le long déroulement de la colonne du
pèlerinage, naviguant sur l'océan des blés en herbe, caressés par la houle du
vent...
En tête de chaque chapitre, comme les voiles gonflées de ces vaisseaux de
chrétienté, les bannières de nos saints protecteurs Ils se sont laissés saisir
eux aussi par le souffle de l'Esprit de Dieu. Ils nous précèdent et nous
guident maintenant.
Mais il faut de la docilité pour s'en remettre à Dieu, pour se laisser
guider par l'Esprit-Saint. Ouvrons nos cœurs à ses sept dons ! A la
base de tout édifice spirituel il y a l'esprit de Crainte de Dieu, puis
viennent la Science et la Piété, la Force et le Conseil pour agir sous
influence divine. Il nous faut aussi recevoir -pour couronner le tout- les dons
d'Intelligence et de Sagesse qui touchent à la contemplation.
Nous l'avons entendu tout à l'heure, avec le chant sublime -si simple et
si beau- de la séquence : Veni Sancte
Spiritus « Ô lumière bienheureuse,
venez remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous vos fidèles... » :
Lava quod est
sórdidum, Lavez ce qui
est souillé, et qui pollue notre cœur.
Riga quod est áridum, baignez ce qui est aride, notre sécheresse trop habituelle.
Sana quod est sáucium, guérissez ce qui est blessé, ces plaies intimes que nous portons.
Riga quod est áridum, baignez ce qui est aride, notre sécheresse trop habituelle.
Sana quod est sáucium, guérissez ce qui est blessé, ces plaies intimes que nous portons.
Flecte quod est
rígidum, assouplissez
ce qui est raide, ces vérités assenées sans charité.
Fove quod est
frígidum, réchauffez ce
qui est froid, la tiédeur de notre médiocre amour de Dieu, par dessus tout.
Rege quod est
dévium, rendez droit
ce qui est faussé, dans nos complaisances avec l'erreur, si confortables.
Le thème du pèlerinage cette année nous invite à méditer sur les quatre
vertus cardinales. Depuis ce matin nous nous examinons sur la charité exercée,
par la vertu de Justice, celle qui fait "le juste" par excellence,
celui qui - au sens biblique du terme- pratique la sainteté.
« La justice est la vertu morale qui consiste dans la constante et
ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû. La justice
envers Dieu est appelée "vertu de religion"» nous rappelle le
Catéchisme Église Catholique. Elle est associée au don de Piété.
"Rendez à Dieu ce qui est à
Dieu". La justice nous fait "rendre
à autrui ce qui lui est dû". Rendre grâce à notre créateur relève donc
bien de cette vertu de Justice ! Nous lui devons ces exercices de la vertu de
religion.
Non pas qu'Il en ait besoin -rien ne lui manque, bien-sûr- mais il a
établi ce culte pour nous, qui avons besoin qu'on nous le rappelle...
C'est encore le St Esprit qui attise notre désir de Dieu par la prière,
prière qui est en même temps comme le cri d'impuissance d'un petit enfant
tourné vers son Père.
Rappelons-nous les trois premiers commandements de Dieu : ils concernent
son culte ! De même nos trois premières demandes dans le Pater : "Dieu premier servi"... tout le reste nous sera donné par
surcroît !
Et non seulement nous lui devons ces actes de religion "en esprit et en vérité"
personnellement, mais nos sociétés elles-mêmes ont cette dette à l'égard de
celui de qui provient toute autorité. C'est la Royauté sociale du Christ,
que nos contemporains ont tendance à repousser comme "dépassée",
empoisonnés que nous sommes par le relativisme dans l'air ambiant
néo-moderniste.
Les attaques actuelles de Mamon (le dieu de l'Argent) contre le caractère
sacré du Dimanche l'illustrent bien encore. Attention, ce jour unique de la
semaine ne signifie pas seulement "temps libre", vide de son centre
de gravité intérieur...
Mais le dimanche est un temps où nous rendons à Dieu toute sa place, qui
est centrale ! Un temps de "rencontre
avec celui qui est notre origine et notre destination", l'Alpha et
l'Oméga...
Par leur vie même les moines sont aux yeux du monde les témoins
silencieux de cette primauté des droits de Dieu. Cela étonne souvent ceux qui
visitent leurs abbayes comme des touristes.
Notre-Dame du Saint Sacrement. La Vierge Marie intercède pour que l'Esprit Saint vienne en nos cœurs. |
A l'entrée du monastère de Fontgombault, un petit écriteau le rappelle
d'une simple phrase : « Merci de respecter ce lieu où, sept fois par jour, les
moines viennent rendre à Dieu le culte qui lui est dû »... "le culte qui
lui est dû" ! Voilà qui sonne étrangement à nos oreilles modernes, trop
habituées à entendre revendiquer des droits de l'homme, mais jamais ceux de
Dieu. Dieu a droit à notre reconnaissance. On l'oublie trop. Par exemple,
en toute justice, nous devrions remercier Dieu après un examen... au moins
autant qu'on l'a prié pour obtenir son succès (même ne s'il s'agit pas tant de
quantité que de la qualité de nos actes de religion) !
Qui pourrait
mesurer tout ce que nous devons à l'Église, ce que nous avons reçu de Dieu par
elle ? Là encore
examinons loyalement ce que nous lui devons, en toute justice. Afin de rendre à
notre mère un tant soit peu, dans le trésor de la communion des saints.
Justice envers
Dieu, justice aussi envers le prochain. "On mesure le degré d’une civilisation au soin et à la protection
qu’elle accorde aux plus faibles". Que le St Esprit, reçu au jour du
baptême et de notre confirmation nous donne ce don de force pour nous élever
face au retour de la barbarie qui menace toute civilisation.
Il est une
image familière aux nombreux scouts ici présents, mais qui parle aussi à tout
âme droite et généreuse : c'est celle de la chevalerie. La Pentecôte était
souvent un jour d'adoubement, comme c'était en France la grande solennité pour
l'Ordre royal du St- Esprit. Mais il ne s'agit pas de se payer de mots. Qu'est-ce que cela pour
nous, aujourd'hui ? A toute époque le chevalier est celui qui a mis sa force au
service du droit des plus faibles ("le pauvre, la veuve, et
l'orphelin"). En toute justice. Cette vertu étant celle -par excellence-
qu'on attendait du roi.
Les temps changent, mais quel est -à côté de nous- ce "plus
faible" écrasé par l'égoïsme du monde moderne aujourd'hui ? La voix
prophétique du pape Jean-Paul II s'est élevée dans l'encyclique Evangelium
Vitæ pour nous le rappeler :
« De même qu'il y a un siècle, c'était la
classe ouvrière qui était opprimée dans ses droits fondamentaux, et que
l'Église prit sa défense avec un grand courage, en proclamant les droits
sacrosaints de la personne du travailleur, de même, à présent, alors qu'une
autre catégorie de personnes est opprimée dans son droit fondamental à la vie,
l'Église sent qu'elle doit, avec un égal courage, donner une voix à celui qui
n'a pas de voix. Elle reprend toujours le cri évangélique de la défense des
pauvres du monde, de ceux qui sont menacés, méprisés et à qui l'on dénie les
droits humains. »
Le Souverain Pontife élève sa voix au nom des enfants sans défense. Il
nous a annoncé ce grand combat du XXIème siècle : "mors et vita duello". Le devoir de justice élémentaire
commence pour tout homme par le respect du droit à la vie de l'innocent.
« Il y a aujourd'hui une multitude d'êtres
humains faibles et sans défense qui sont bafoués dans leur droit fondamental à
la vie, comme le sont, en particulier, les enfants encore à naître. Si
l'Église, à la fin du siècle dernier, n'avait pas le droit de se taire face aux
injustices qui existaient alors, elle peut encore moins se taire aujourd'hui... »
Quelle responsabilité que de se taire par lâcheté ! Le péché par omission... Ouvrons les yeux sur nos participations silencieuses à ce crime contre l'humanité. Que faisons-nous pour défendre la vie des faibles qu'on écrase, sous couvert de notre confort et de jouissance égoïste ? Que faisons-nous pour aider l'enfant à naître, les personnes handicapées, les malades oubliés, ou les personnes âgées ?
L'Esprit Saint, comme des langues de feu, fait reposer sur les Apôtres tous Ses dons divins, fresque. |
Le Pape nous a déjà mis en garde, vingt ans après la législation française
de ce qu'on a osé appeler l'IVG :
« On atteint ensuite le sommet de l'arbitraire
et de l'injustice lorsque certaines personnes, médecins ou législateurs,
s'arrogent le pouvoir de décider qui doit vivre et qui doit mourir. Cela reproduit la tentation de l'Eden :
devenir comme Dieu. (...) La vie du plus faible est alors mise entre les mains
du plus fort ; dans la société, on perd le sens de la justice et l'on mine à sa
racine la confiance mutuelle, fondement de tout rapport vrai entre les
personnes. »
Il faut avoir le courage de le reconnaître loyalement aujourd'hui. Nous
ne pourrons jamais donner notre assentiment à ces actes contre la vie humaine
innocente.
« Cette coopération ne peut jamais être
justifiée en invoquant le respect de la liberté d'autrui, ni en prenant appui
sur le fait que la loi civile la prévoit et la requiert : pour les actes que
chacun accomplit personnellement, il existe, en effet, une responsabilité
morale à laquelle personne ne peut jamais se soustraire et sur laquelle chacun
sera jugé par Dieu lui-même. Refuser de participer à la perpétration d'une
injustice est non seulement un devoir moral, mais aussi un droit humain
élémentaire ».
Chers frères pèlerins, que l'Esprit-Saint saisisse nos âmes au feu de
cet évangile de vie. Soyons généreux, sans souci des blessures, au service du
Seigneur, des pauvres et des plus faibles.
Notre Dame nous précède sur cette route. "Miroir de Justice" Speculum Justitiae, ora pro nobis...
Notre Dame de Guadalupe, qui imprima son image sur le vêtement du Bienheureux
Juan Diégo reflète le ciel à nos yeux ici-bas.
Elle est comme la pleine lune tout enveloppée du soleil de Justice, toute
éclairée de la lumière divine. Qu'elle nous guide tout au long de ce pèlerinage
terrestre, maintenant et à l'heure de notre mort. Ainsi-soit-il.
L'Esprit Saint, détail d'une chasuble |
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