Armoiries de S.Em.R. le Cardinal Marc Ouellet |
Son Eminence le
Cardinal Ouellet : la communion spirituelle et la communion sacramentelle - 1ère
partie
Le Cardinal
Marc Ouellet, Préfet de la Congrégation pour les Evêques, a publié un article
en deux parties le 11 juillet 2015 sur le site de la Conférence des
évêques d'Italie.
Ce texte est
une réponse à la question posée au n. 53 du Rapport final du Synode
extraordinaire des Evêques qui s’est tenu l’année dernière sur le thème
« Les défis pastoraux sur la Famille dans le contexte de l’Évangélisation » :
« Si la
communion spirituelle est possible pour les divorcés remariés alors pourquoi
pas la communion sacramentelle ? »
I – communion
spirituelle et communion sacramentelle : unité et distinction
« Certains Pères ont soutenu que les personnes
divorcées et remariées ou vivant en concubinage peuvent recourir de manière
fructueuse à la communion spirituelle. D’autres Pères se sont demandé pourquoi,
alors, elles ne pouvaient accéder à la communion sacramentelle. Un
approfondissement de cette thématique est donc requis afin de permettre de
faire ressortir la spécificité de ces deux formes et leur lien avec la
théologie du mariage. »[1]
La proposition
53 du Synode extraordinaire sur la famille demande un approfondissement de la thématique de la communion spirituelle et
sacramentelle et son rapport à la théologie du mariage. L’invitation est
donc lancée aux théologiens afin qu’ils apportent aux pasteurs l’éclairage
indispensable pour une orientation pastorale cohérente et fructueuse.
Avant d’aborder
l’application de cette distinction au cas qui nous occupe, rappelons tout d’abord
la tradition de l’Église catholique à ce sujet qui semble être sombrée dans
l’oubli. De nos jours, la facilité avec
laquelle tout le monde communie a fait s’estomper chez beaucoup le sens
spirituel profond de la communion eucharistique. Un certain désir de
participation active au plan social a supplanté l’exigence fortement ressentie
auparavant de l’état de grâce pour s’approcher de la communion. C’est pourquoi il faut rappeler
l’enseignement de la tradition catholique sur la distinction et l’unité entre
la communion sacramentelle et la communion spirituelle tel qu’il a été compris
et transmis au long des siècles.
Dès les origines saint Paul est intervenu en toute
clarté sur les dispositions requises pour
manger et boire dignement le corps et le sang du Seigneur : « Que
chacun s’éprouve soi-même, avant de manger ce pain et de boire cette coupe; car
celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur mange et boit sa
propre condamnation » (1Co 11, 28-29). Parmi ces dispositions
ressortent au premier plan la charité et l’unité qui faisaient défaut chez les
Corinthiens auxquels il adresse cet avertissement. L’Apôtre indique au chapitre
précédent le fondement de ces dispositions : « Le pain que nous rompons n’est-il pas une communion au corps du Christ?
Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps; car tous nous
participons à cet unique pain » (1Co 10, 16-17). L’Apôtre unit ainsi inséparablement le corps eucharistique du Christ et
son corps ecclésial.
Saint Augustin
prolonge cette doctrine paulinienne de l’union spirituelle au corps sacramentel
et ecclésial du Christ. « Mais si
vous êtes le corps et les membres du Christ, n’est-ce pas votre emblème qui est
placé sur la table sacrée, votre emblème que vous recevez, à votre emblème que
vous répondez ‘‘Amen’’, réponse
qui témoigne de votre adhésion? On te
dit : Voici le corps du Christ. Amen, réponds-tu. Pour rendre vraie ta réponse, sois membre de
ce corps. »[2]
Autant il
décrit la vertu unitive de ce sacrement, autant il insiste sur les dispositions
pour une authentique communion spirituelle : « Prendre cette nourriture et boire ce breuvage n’est donc autre chose
que demeurer dans le Christ et le posséder en soi-même à titre permanent. Par
là même, et sans aucun doute, quand on
ne demeure pas dans le Christ, et qu’on ne lui sert point d’habitation, on ne
mange point (spirituellement) sa chair, et on ne boit pas non plus son sang,
quoiqu’on tienne d’une manière matérielle et visible sous sa dent le sacrement
du corps et du sang du Sauveur. »[3]
Origène,
commentant le Lévitique, parle dans le même sens en décrivant la communion spirituelle
de l’âme sainte comme une manducation du Verbe : « Le
lieu saint c’est l’âme pure, et
c’est en ce lieu qu’il nous est commandé de manger le Verbe de Dieu. Car il ne convient pas qu’une âme non sainte
mange ce qui est saint : mais quand
elle se sera purifiée de toute souillure de la chair et des mœurs, alors
devenue “lieu saint”, qu’elle prenne la
nourriture de ce pain qui est descendu du ciel! »[4]
Saint Thomas
d’Aquin recueille la Tradition apostolique et patristique et l’enrichit au
moyen de ses distinctions caractéristiques dont celles que nous cherchons à
mieux comprendre. Il les élabore en détails en traitant de la manducation du
sacrement dans la question 80 de la IIIa pars,
articles 1 à 12. Voici un extrait du onzième article : « Il y a deux modes de recevoir ce sacrement,
le mode spirituel et le mode sacramentel. Or il est évident que tous sont tenus
de le manger au moins spirituellement, car ce n’est pas autre chose que
s’incorporer au Christ, comme nous l’avons dit. Mais la manducation spirituelle
inclut le vœu ou le désir de recevoir ce sacrement, nous l’avons déjà dit. Et
par conséquent, sans le vœu de recevoir ce sacrement, l’homme ne peut obtenir
le salut. » [5]
Le Docteur
Angélique s’efforce ensuite de préciser, sans nécessairement opposer, la
communion sacramentelle et la communion spirituelle car elles sont ordonnées
l’une à l’autre.
« La manière parfaite de manger ce sacrement
est celle où on le reçoit de telle façon qu’on perçoit son effet. Mais il arrive parfois, nous l’avons dit, qu’on
soit empêché de percevoir l’effet de ce sacrement; et cette manière de manger
est imparfaite. Puisque la différence entre le parfait et l’imparfait est
un principe de division, la manducation sacramentelle, par laquelle on consomme
le sacrement sans obtenir son effet, est distinguée, par opposition, de la
manducation spirituelle par laquelle on perçoit l’effet de ce sacrement, lequel
unit spirituellement au Christ par la foi et la charité. »[6]
Communion célébrée par l'abbé Joseph Ratzinger, futur Pape Benoît XVI |
La différence dont il parle ici concerne celui qui
communie sacramentellement avec les justes dispositions spirituelles et perçoit
par conséquent l’effet spirituel du sacrement, et celui qui ne communie que
sacramentellement sans en percevoir le fruit parce qu’il lui manque les
dispositions de foi et de charité. Sa réponse
aux objections précise encore la même chose : « La manducation sacramentelle qui produit la manducation
spirituelle ne se distingue pas de celle-ci par opposition, mais elle y est
incluse. »[7]
Bref, il y a un mode parfait et un mode imparfait de
communier, le mode parfait identifiant communion sacramentelle et spirituelle,
la première nourrissant la seconde; le mode
imparfait étant soit celui de la communion sacramentelle sans l’effet spirituel
faute de dispositions, ou encore la communion spirituelle de désir (in voto)
sans la communion sacramentelle à cause d’un quelconque empêchement. Thérèse de
Jésus exhortait ses filles à cette pratique fructueuse : « Quand
vous ne communierez pas, mes filles, et que vous entendrez la messe, vous
pouvez communier spirituellement, c’est extrêmement profitable, et ensuite vous
recueillir en vous-mêmes; cela
grave profondément en nous l’amour de ce Seigneur; lorsque nous nous disposons
à recevoir, jamais il ne manque de trouver une façon de donner, même à notre
insu. »[8]
La tradition
catholique s’appuie surtout sur la doctrine du Concile de Trente à propos de la
communion eucharistique, en réponse aux positions protestantes. Elle distingue
clairement trois cas: la communion sacramentelle des pécheurs qui n’est pas
spirituelle parce qu’indigne; la communion spirituelle sans la manducation du
sacrement; et la communion parfaite, sacramentelle et spirituelle :
« Pour ce qui est de l’usage, nos pères ont
justement et sagement distingué trois manières de recevoir ce saint sacrement.
Ils ont enseigné que certains ne le
reçoivent que sacramentellement en tant que pécheurs.
D’autres ne le
reçoivent que spirituellement: ce sont ceux qui, mangeant par le désir le pain
céleste qui leur est offert avec cette « foi » vive « qui opère
par la charité » (Ga 5,6), en ressentent le fruit et l’utilité.
D’autres,
enfin, le reçoivent à la fois sacramentellement et spirituellement: ce sont ceux
qui s’éprouvent et se préparent de telle sorte qu’ils s’approchent de cette
table divine après avoir revêtu la robe nuptiale (Mt 22,11-14). » [9]
Le miracle de Bolsena, détail. Avant de communier sacramentellement nous devons communier spirituellement en adorant et en scrutant notre cœur pour qu'il soit une demeure digne de notre Dieu. |
L’unité et la
distinction des deux formes de communion n’est pas toujours clairement perçue
de nos jours à cause d’une certaine
banalisation de la communion que nous avons évoquée au début, qui est à l’opposé de la pratique
déficiente de la communion sacramentelle pendant des siècles, que le
jansénisme a aggravée dans les temps modernes par excès de moralisme, mais que
saint Pie X a efficacement combattue par la promotion de la communion fréquente[10].
Influencés par
ces épisodes, certains estiment que la
communion spirituelle est une alternative insuffisante (ersatz) à proposer aux
personnes divorcées et remariées. Nous y répondrons dans un prochain article à
la lumière de l’enseignement que nous avons rappelé, qui laisse entrevoir de
réelles perspectives de miséricorde encore à découvrir.
+ Marc Cardinal
Ouellet
[1] Synode
des évêques, IIIe Assemblée générale extraordinaire, Les
défis pastoraux sur la famille dans le contexte de l’évangélisation. Relatio
synodi, 18 octobre 2014, n. 53.
[2] Saint
Augustin, Sermon 272, dans : Œuvres complètes,
vol. V., Bar-Le-Duc, 1866, 379.
[3] Saint
Augustin, Vingt-sixième traité sur saint Jean, dans : Œuvres
complètes, vol. X., Bar-Le-Duc, 1864, n. 18, 532.
[4] Origène, Homélies
sur le Lévitique, (Sources chrétiennes 287), 13, 5, 220.
[5] Somme
théologique, IIIa pars, Paris, Tournai et Rome,
Desclée et Cie, 1967, q. 80, a. 11, 129.
[6] Ibid.,
a. 1, 53-54.
[7] Ibid., ad 2,
55.
[8] Thérèse
d’Avila, « Le chemin de la perfection » dans : Œuvres
complètes, Bruges, Desclée de Brouwer, 1964, 35, 1, 489.
[9] Denzinger-Hünermann, Symboles
et définitions de la foi catholique, Paris, Cerf, 1996, n. 1648, 442 (Désormais DH).
Cf. aussi le huitième canon sur le saint sacrement de
l’eucharistie : « Si quelqu’un dit que le Christ présenté dans
l’eucharistie est mangé seulement spirituellement et non pas aussi
sacramentellement et réellement: A.S. » (DH 1658)
[10] Cf.
Giancarlo Pani S.I., « La communione spirituale », La Civiltà
Cattolica 3957 (2 mai 2015) 224-237.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire