A l’occasion de l’ostension
du Saint Suaire du 10 avril au 23 mai 2010, le Pape Benoît XVI s’est rendu à la
cathédrale de Turin pour y vénérer la relique le dimanche 2 mai.
Il a lu à
cette occasion une méditation intitulée « Le mystère du Samedi Saint ».
Chers amis,
C’est pour moi un moment
très attendu. En diverses autres occasions, je me suis trouvé face au
Saint-Suaire, mais cette fois, je vis ce pèlerinage et cette halte avec une intensité particulière:
sans doute parce que les années qui passent me rendent encore plus sensible au message de cet extraordinaire Icône;
sans doute, et je dirais surtout, parce que je suis ici en tant que Successeur
de Pierre, et que je porte dans mon cœur toute l’Eglise, et même toute
l’humanité. Je rends grâce à Dieu pour le don de ce pèlerinage et
également pour l’occasion de partager avec vous une brève méditation qui m’a
été suggérée par le sous-titre de cette Ostension solennelle: « Le mystère du Samedi Saint ».
On peut dire que le Saint-Suaire est l’Icône de ce mystère,
l’Icône du Samedi Saint. En effet, il
s’agit d’un linceul qui a enveloppé la dépouille d’un homme crucifié
correspondant en tout point à ce que les Evangiles nous rapportent de Jésus,
qui, crucifié vers midi, expira vers trois heures de l’après-midi. Le soir
venu, comme c’était la Parascève, c’est-à-dire la veille du sabbat solennel de
Pâques, Joseph d’Arimathie, un riche et influent membre du Sanhédrin, demanda
courageusement à Ponce Pilate de pouvoir enterrer
Jésus dans son tombeau neuf, qu’il avait fait creuser dans le roc à peu de
distance du Golgotha. Ayant obtenu l’autorisation, il acheta un linceul et,
ayant descendu le corps de Jésus de la
croix, l’enveloppa dans ce linceul et le déposa dans le tombeau (cf. Mc 15, 42-46). C’est ce que rapporte
l’Evangile de saint Marc, et les autres évangélistes
concordent avec lui. A partir de ce moment, Jésus demeura dans le sépulcre jusqu’à l’aube du jour après le sabbat,
et le Saint-Suaire de Turin nous offre l’image de ce qu’était son corps étendu
dans le tombeau au cours de cette période, qui fut chronologiquement brève
(environ un jour et demi), mais qui fut immense, infinie dans sa valeur et sa
signification.
Le Samedi Saint est le jour
où Dieu est caché, comme on le lit dans une ancienne Homélie: « Que se passe-t-il? Aujourd’hui, un grand silence
enveloppe la terre. Un grand silence et un grand calme. Un grand silence parce
que le Roi dort… Dieu s’est endormi dans la chair, et il réveille ceux qui
étaient dans les enfers » (Homélie pour le
Samedi Saint). Dans le Credo, nous professons
que Jésus Christ « a été crucifié sous Ponce Pilate, est mort
et a été enseveli, est descendu aux enfers. Le troisième jour est ressuscité
des morts ».
Chers frères et sœurs, à
notre époque, en particulier après avoir traversé le siècle dernier, l’humanité
est devenue particulièrement sensible au mystère du Samedi Saint. Dieu caché
fait partie de la spiritualité de l’homme contemporain, de façon existentielle,
presque inconsciente, comme un vide dans le cœur qui s’est élargi toujours
plus. Vers la fin du xix siècle, Nietzsche écrivait: « Dieu est mort ! Et c’est nous qui
l’avons tué ! ». Cette célèbre expression est, si nous regardons
bien, prise presque à la lettre par la tradition chrétienne, nous la répétons
souvent dans la Via Crucis, peut-être
sans nous rendre pleinement compte de ce que nous disons. Après les deux
guerres mondiales, les lager et les goulags, Hiroshima et Nagasaki, notre
époque est devenue dans une mesure toujours plus grande un Samedi Saint: l’obscurité de ce jour interpelle tous ceux
qui s’interrogent sur la vie, et de façon particulière nous interpelle, nous
croyants. Nous aussi nous avons affaire avec cette obscurité.
La sainte Couronne d'épines, à Notre-Dame de Paris |
Et toutefois, la mort du Fils de Dieu, de Jésus de
Nazareth a un aspect opposé, totalement positif, source de réconfort et d’espérance. Et cela me fait penser au fait que le
Saint-Suaire se présente comme un
document « photographique », doté d’un « positif » et d’un
« négatif ». Et en effet, c’est précisément le cas: le mystère le plus obscur de la foi est
dans le même temps le signe le plus lumineux d’une espérance qui
ne connaît pas de limite.
Le Samedi Saint est une
« terre qui n’appartient à personne » entre la mort et la résurrection, mais dans cette « terre qui n’appartient
à personne » est entré l’Un, l’Unique qui l’a traversée avec les signes de
sa Passion pour l’homme: « Passio
Christi. Passio hominis ». Et le Saint-Suaire nous parle exactement de
ce moment, il témoigne précisément de l’intervalle unique et qu’on ne peut
répéter dans l’histoire de l’humanité et de l’univers, dans lequel Dieu, dans Jésus Christ, a partagé non seulement notre
mort, mais également le fait que nous demeurions dans la mort. La solidarité la
plus radicale.
Tel est le mystère du
Samedi Saint! Précisément de là, de
l’obscurité de la mort du Fils de Dieu est apparue la lumière d’une espérance
nouvelle: la lumière de la Résurrection. Et bien, il me semble qu’en regardant ce saint linceul avec les yeux
de la foi, on perçoit quelque chose de cette lumière. En effet, le Saint-Suaire
a été immergé dans cette obscurité profonde, mais il est dans le même temps
lumineux; et je pense que si des milliers et des milliers de personnes viennent
le vénérer, sans compter celles qui le contemplent à travers les images – c’est
parce qu’en lui, elles ne voient pas
seulement l’obscurité, mais également la lumière; pas tant l’échec de la vie et
de l’amour, mais plutôt la victoire, la victoire de la vie sur la mort, de
l’amour sur la haine; elles voient bien la mort de Jésus, mais elles entrevoient
sa Résurrection; au sein de la mort bat à présent la vie, car l’amour y habite.
Tel est le pouvoir du Saint-Suaire: du visage de cet « Homme des douleurs », qui porte
sur lui la passion de l’homme de tout temps et de tout lieu, nos passions, nos
souffrances, nos difficultés, nos péchés également – « Passio Christi. Passio hominis » – de ce visage émane une majesté solennelle,
une grandeur paradoxale.
La sainte Tunique, à Argenteuil |
Ce visage, ces mains et ces
pieds, ce côté, tout ce corps parle, il est lui-même une parole que nous
pouvons écouter dans le silence. Que
nous dit le Saint-Suaire? Il parle avec le sang, et le sang est la vie! Le
Saint-Suaire est une Icône écrite avec le sang; le sang d’un homme flagellé,
couronné d’épines, crucifié et transpercé au côté droit. L’image imprimée sur
le Saint-Suaire est celle d’un mort, mais le sang parle de sa vie. Chaque trace
de sang parle d’amour et de vie. En particulier cette tâche abondante à
proximité du flanc, faite de sang et d’eau ayant coulé avec abondance par une
large blessure procurée par un coup de lance romaine, ce sang et cette eau
parlent de vie. C’est comme une source
qui murmure dans le silence, et nous, nous pouvons l’entendre, nous pouvons
l’écouter, dans le silence du Samedi Saint.
Chers amis, rendons
toujours gloire au Seigneur pour son amour fidèle et miséricordieux. En partant
de ce lieu saint, portons dans les yeux
l’image du Saint-Suaire, portons dans le cœur cette parole d’amour, et louons
Dieu avec une vie pleine de foi, d’espérance et de charité.
Merci.
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