Mgr Pascal N'Koué, archevêque de Parakou (Bénin) : "Prêtres
et consacrés, portez votre habit" (Editorial du bulletin du diocèse - mars
2015)
"On ressent
aujourd’hui particulièrement la nécessité que le prêtre homme de Dieu,
dispensateur de ses mystères, soit reconnaissable par la communauté, également
grâce à l’habit qu’il porte, signe sans équivoque de son dévouement et de son
identité de détenteur d’un ministère public"
(Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, n°66).
S.Exc.R. Mgr N'Koué, le jour de la prise de possession de sa cathèdre. |
Nous abordons un sujet délicat.
C’est que notre vocation est comme une épée à double tranchant. Nous sommes
dans le monde mais nous ne sommes plus du monde. Bien sûr que nous sommes créés
libres et Dieu qui nous donne cette liberté tient à nous respecter. Avant de
continuer, écoutons saint Paul : « Frères,
votre vocation, c’est la liberté. Non pas cette liberté qui sert à justifier
les appels de la chair, mais celle qui nous met au service les uns des autres
par amour…» (Ga 5, 13). La liberté n’est pas synonyme du laisser- aller.
Que de vocations sont nées
attirées par le vêtement d’un clerc ou d’un religieux. Que de servants de messe
ont voulu devenir prêtres à cause de la soutane de "mon Père" ! Certains en sourient peut-être. Et pourtant pour
se manifester, Dieu passe souvent par des impondérables, ce qui n’a pas de
poids aux yeux des grands, des savants, des rationalistes.
Sainte Catherine de Sienne,
25e enfant de sa mère, née un dimanche des rameaux de 1347 sera fascinée très
tôt par les Frères prêcheurs vêtus de noir et de blanc. Elle veut leur
ressembler, elle veut même se déguiser en homme pour pouvoir devenir aussi
"dominicain". Plus tard, elle sera appelée par les gens de Sienne
"mantellata" à cause du
manteau noir des tertiaires dominicaines qu’elle portait sur ses épaules comme
une vieille dame, alors qu’elle était encore une adolescente de quinze ans. Un
feu mystique l’habitait. Elle voulait tout donner au Christ et rien à l’Ennemi.
L’habit des dominicains n’a pas été neutre dans sa vocation. Je nous rappelle
que c’est elle qui a fait revenir à Rome le Pape d’Avignon.
Au Bénin, les séminaristes
prennent en général la soutane avec le rite du lectorat. Cela a lieu
publiquement au cours d’une grand-messe. A Parakou, l’Evêque bénit la soutane
en ces termes :
« Seigneur Jésus, Toi qui, revêtu de Ta tunique sans couture, parcourais
les rues de la Galilée en faisant le bien, Daigne bénir les soutanes + dont se
revêtiront N N., comme signe distinctif de leur appartenance au groupe des
candidats en marche vers ton Autel sacré, pour le salut des âmes. Qu’au milieu
des hommes où ils passeront, et soutenus par la force de ton Esprit, ils
puissent témoigner sans honte des valeurs du Royaume des cieux par la sainteté
de leur vie. Nous te le demandons à Toi, Pasteur éternel, Unique Sauveur et
Grand-Prêtre par excellence, qui règnes avec le Père et le Saint Esprit pour
les siècles des siècles. Amen ».
Séminariste de la Communauté Saint Martin |
La soutane n’est pas un
vêtement neutre. Cet habit exprime deux choses : la mort à soi-même et au péché
d’une part, la vie joyeuse soumise à Dieu, notre part d’héritage, d’autre part.
Ces deux réalités (mort et résurrection) sont les deux faces d’un unique
mystère auquel le prêtre est configuré dans le Christ. La mort et la
résurrection sont exprimées de façon inséparable dans cet habit-symbole. Aussi,
la soutane est comme un suaire qui tient le clerc enseveli dans le Christ. Elle
exprime son état de mort et de sépulture qui manifeste que nous sommes dans le
monde sans être du monde. En revêtant la soutane chaque matin, le clerc devrait
prononcer cette phrase du psalmiste : "Dominus
pars hereditatis meae", « Seigneur,
tu es ma part d’héritage. Je n’ai pas d’autre bonheur que Toi ». (Ps 15,
5).
Comme vous l’avez déjà
saisi, le vêtement ecclésiastique parle de lui-même. Le directoire pour le
ministère des prêtres le confirme : « Sauf
des situations totalement exceptionnelles, ne pas utiliser l’habit
ecclésiastique peut manifester chez le clerc un faible sens de son identité de
pasteur entièrement disponible au service de l’Eglise » (Directoire pour le ministère…
n°66).
On pourrait aller jusqu’à
dire qu’au commencement était la soutane. En effet, l’habit des divers ordres
religieux a souvent été imité à partir de la soutane des clercs. Les Carmes,
les Augustins, les Dominicains etc. ont partagé leur habit entre le noir et le
blanc pour exprimer la mortification de la chair et la vie dans l’Esprit dont
les fruits sont amour, joie, paix, ouverture d’esprit, générosité, bonté, foi
etc.
En cette année de la vie
consacrée, il convient de rappeler qu’en 1996, le Pape saint Jean-Paul II dans
"Vita Consecrata"
recommandait aux religieux de porter leur habit en ces termes :
"L'Eglise doit toujours avoir le souci de se
rendre visiblement présente dans la vie quotidienne, spécialement dans la
culture contemporaine, si souvent sécularisée et cependant sensible au langage
des signes. Pour cela, elle peut à bon droit attendre une contribution
particulière de la part des personnes consacrées, appelées à rendre un
témoignage concret de leur appartenance au Christ dans toutes les situations.
Parce que l'habit est un signe de consécration, de pauvreté et d'appartenance à
une famille religieuse déterminée. Avec les Pères du Synode, je recommande
vivement aux religieux et aux religieuses de porter leur habit, convenablement
adapté en fonction des circonstances des temps et des lieux" (Vita Consecrata 25).
Vêture monastique |
Ce langage est clair et ne
souffre d’aucune ambiguïté. En plus, c’est la suprême Autorité dans l’Eglise
qui s’exprime. Porter une petite croix au cou, c’est bien, mais tout bébé ou
tout baptisé peut le faire, depuis qu’il a reçu ce signe du Christ à la porte
de l’Eglise. D’ailleurs, on constate que les artistes non chrétiens la portent
souvent plus fièrement et plus visiblement que nous. Evidemment pour eux, la croix
n’est qu’une parure. Mais porter l’habit religieux ou ecclésiastique est un
signe sans équivoque, celui de la consécration ou de l’oblation au Seigneur. Et
ce signe est réservé à une certaine catégorie de personnes mises à part pour
Dieu.
Portons donc l’habit ! A
défaut de la soutane ou d’un vêtement religieux spécifique de l’Institut, que
les prêtres et consacrés portent correctement le clergyman ou tout au moins le
col romain.
Ne cédons pas au relativisme moral et spirituel qui pousse à la
confusion et au laisser-aller. Le pape François nous exhorte : « N’ayez pas peur d’aller à contre-courant
lorsqu’on vous propose des valeurs avariées» (Angelus du 23 juin 2013). Notre monde, nous le savons, est
l’enjeu d’une lutte entre le bien et le mal. Dieu merci, le Christ ressuscité,
Roi de l’univers, est au centre de l’histoire. L’humanité n’avance pas toute
seule. Dieu est présent au cœur du monde. Mais Satan désire nous tenir
constamment enchaînés dans des demi-vérités, dans des protestations et désobéissances
puériles contre l’Eglise et cela conduit à l’affadissement du sel de
l’évangile.
L’aphorisme populaire dit
que « l’habit ne fait pas le moine ».
D’accord, mais comment reconnaître le moine dans la foulée s’il ne porte pas
son habit distinctif ? Donc l’habit fait aussi le moine, même si la sainteté
n’est pas d’abord dans les apparences mais dans le comportement. « Le prêtre doit être reconnu avant tout par
son comportement mais aussi par sa façon de se vêtir, pour rendre immédiatement
perceptible à tout fidèle et même à tout homme son identité et son appartenance
à Dieu et à l’Eglise » (Directoire
pour le ministère… n°66). Cela signifie que, lorsque l’habit n’est pas
la soutane, il doit être différent de celui des laïcs, et conforme à la dignité
et à la sacralité du ministère.
Soeurs Annonciades, de Thiais |
Alors pourquoi continuer à
rejeter l’habit ? Pourquoi vouloir s’en tenir uniquement au témoignage?
Modestie oui, camouflage non! Nous sommes à la fois "sel de la terre" et "lumière
du monde". Sel de la terre égale discrétion, lumière du monde égale
visibilité. L’un n’exclut pas l’autre. La prière individuelle dans la chambre
n’exclut pas la prière communautaire à l’église. D’ailleurs, le but de l’habit
n’est pas de "canoniser" le moine, mais de signifier son appartenance
à la famille des moines ! Nous avons besoin de signes démonstratifs comme
l’incarnation de Dieu sur terre et les langues de feu le jour de la Pentecôte.
En cette matière comme en bien d’autres, évitons les idéologies ou les
querelles d’opinions qui consistent à lire à moitié l’évangile, et à
absolutiser ce qui ne doit pas l’être. Faisons très attention à l’esprit du
monde. Sous le prétexte fallacieux de cultiver la vertu de simplicité, on se
"mondanise" et on scandalise sans le savoir les petites gens. Il y a
eu, et il y a encore, ceux qui ne comprennent pas que le prêtre d’aujourd’hui
ne porte pas "semper et ubique" sa soutane ! Pour eux l’habit est un
signe qui rappelle la présence de Dieu. Et cela va au-delà de la personne qui
le porte. Ce signe est peut-être relatif, mais s’il disparaît, la réalité qu’il
signifie risque aussi de disparaître aux yeux des hommes. N’aidons pas Satan à
éliminer les signes de Dieu et de l’Eglise dans le monde.
Soyons fiers de notre état
clérical et de notre tenue ecclésiastique dans la milice du Christ. Un clerc en
habit offre, dans la rue, une prédication sans paroles, c’est un témoignage
galant, élégant et éloquent. Il annonce Jésus-Christ qui a fait la plus grande
révolution de tous les temps : mourir par amour pour le salut de l’humanité. Et
Jésus lui-même, semblable en tout aux hommes, excepté le péché, portait une
tunique spéciale, une tunique sans couture. Il ne s’habillait donc pas comme
tout le monde, encore moins n’importe comment. Les soldats n’ont pas déchiré
cette tunique, ils l’ont tirée au sort (Jn 19,24). Quel respect pour le
vêtement ! Ils ont continué à respecter la tunique alors que Jésus était tout
nu, humilié et méprisé ! Qui n’a pas fait l’expérience, même dans les sociétés
sécularisées de l’Occident, de constater combien l’habit religieux interpelle
encore le passant et lui permet de le mettre en contact avec Dieu et avec
l’Eglise ? C’est un instrument tout simple d’évangélisation à ne pas
banaliser.
Arrêtons de nous plaindre
des musulmanes en voiles et des musulmans barbus. Ils ont des convictions. Si
nous n’en avons pas, c’est notre faute. Qui a prescrit aux prêtres d’abandonner
la soutane et à certaines religieuses d’enlever leur voile et de se balader
tête nue, cheveux au vent ? Qui a interdit aux missionnaires de garder leur
belle barbe ? Qui a imposé aux religieux de se raser le menton tous les
matins ? Qui donc oblige les prêtres et les consacrés à se promener en
vêtements civils ? On me dira : "une
soutane blanche est plus difficile à entretenir et plus coûteux". Je
réponds : ce n’est pas si sûr que ça et puis, je ne suis pas obligé de porter
toujours le blanc. Enfin, quand je considère tout le bien spirituel que ma
"tenue correcte" produit, de grand cœur j’accepte ce sacrifice pour
le Christ et son Eglise.
Ornements prêts pour la Messe et célébrer la gloire de Dieu |
Tenez ce bel exemple de
Sœur Alice Munet, fondatrice des Sœurs Missionnaires Catéchistes du Sacré-Cœur.
Elle tombe malade. On lui donne le sacrement correspondant. Elle sent venir sa
dernière heure. Elle s’efforce de se lever une dernière fois. Elle s’habille en
costume de Petite Servante juste pour qu’on puisse la photographier en vêtement
de consacrée, non pas pour elle, mais pour la postérité, pour les autres.
Consentir un sacrifice pour les autres, quelle grandeur d’âme ! Pour les autres
! Même si nous n’avons plus de conviction pour le port de l’habit, il y a les
autres. Pour eux c’est important. Ne leur refusons pas cette charité. Et si
elle nous coûte, c’est tant mieux, c’est qu’elle a beaucoup de prix aux yeux du
Seigneur. Entrons dans la logique de l’Eglise : « Heureux ceux qui reposent en Dieu, ils ne fatiguent pas les autres »
(Jacques Gauthier).
Enfin, encourageons-nous
mutuellement à bien porter notre habit distinctif en voyage, dans la vie de
chaque jour, sur les lieux d’apostolat, les lieux de culte, lors des visites à
domicile, les lieux de rendez-vous, dans les écoles et autres lieux
d’enseignement, dans les endroits les plus divers. C’est une manière
silencieuse de donner Dieu au monde, de témoigner que sans la référence au
Créateur, ce que nous faisons n’a pas beaucoup de poids. C’est peut-être une
croix que l’Eglise nous demande d’assumer dans la joie. Accueillons-la de bon
cœur, pour la gloire de Dieu, pour notre salut et celui de l’humanité.
+Pascal N’KOUE
Omnium servus
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