La bénédiction du feu |
Premier Sermon
de Saint Augustin sur le cierge pascal
1. Pour
glorifier le Seigneur Dieu tout-puissant, créateur des choses visibles et des
choses invisibles, j'éprouve le besoin d'être soutenu par vos prières, en sorte
que je devrai bien moins à mes mérites, qu'au secours miséricordieux du
Seigneur même, d'exposer, comme je l'ai entrepris, la louange et la splendide
bonté du Créateur. Soyez donc attentifs,
mes frères bien-aimés, afin qu'après avoir secoué de vos cœurs toutes ces
pensées charnelles semblables aux ténèbres de la nuit, et allumé dans le secret
de vos consciences le flambeau du Christ, vous puissiez recueillir
non-seulement de l'oreille, mais aussi du cœur, tout ce qu'il plaira au
Seigneur de vous présenter par mon ministère.
2. Le cierge est une lumière pour la nuit, et
l'homme juste une lumière pour ce monde ténébreux. « Vous êtes la lumière du
monde », a dit le Seigneur à ceux que lui-même justifie.
Car on voit
dans le cierge trois substances la cire,
la mèche, et la flamme. De même l'homme juste nous offre aussi trois
substances: la chair, l'âme, la sagesse.
La flamme éclaire, la mèche brûle, la
cire se dissout. Les leçons de la sagesse occupent l'âme et triomphent de
la résistance de la chair. La flamme
brûle, la mèche se consume, la cire se répand goutte à goutte; la sagesse
enseigne, l'âme se repent, la chair verse des larmes. La flamme brûle en haut, la mèche se consume à l'intérieur, la cire
coule à l'extérieur. C'est d'en haut qu'on prêche la sagesse, invisiblement
que l'âme embrasse la pénitence, visiblement que la chair en accomplit les
œuvres. Le jour, on vante la beauté d'un cierge; la nuit, on en recherche la
clarté.
La préparation du cierge pascal |
C'est ainsi qu'il est pour nous l'image de
cette colonne qui marchait devant le peuple d'Israël, dans le désert, et
l'empêchait de s'égarer. Une colonne de nuée leur apparaissait, en effet,
pendant le jour, et une colonne de feu pendant la nuit. Or, le jour est la figure de la sécurité
en cette vie, comme la nuit est la figure des tribulations. Tel est le jour
dont le Prophète a dit dans ses cantiques : « C'est le jour que le Seigneur a signalé sa miséricorde, et la nuit
qu'il l'a chantée ». Ce n'est point en venant dans cette vie charnelle que
le Seigneur Jésus-Christ a manifesté sa gloire; mais cette chair lui a servi de
voile pour nous apparaître, comme au désert la colonne de nuée. Mais, quand
viendra la fin des siècles, qui mettra fin à toutes nos joies visibles, alors,
sans aucun voile mortel, le Seigneur lui-même nous apparaîtra dans sa gloire et
dans sa splendeur, comme la colonne de feu. C'est le propre d'une colonne de feu de brûler et de briller. Brûler,
c'est sa puissance; briller, c'est sa gloire. Brûler, c'est juger; briller,
c'est éclairer. Brûler; c'est la peine des impies; briller, c'est le bonheur
des justes.
3. Mais il nous
faut entrer dans les propriétés de ce cierge, dont la signification est si
glorieuse. Notre main le porte, nos yeux le voient, notre cœur le contemple, et
notre bouche le célèbre. La cire est
l'œuvre de l'abeille, dont l'Ecriture nous parle ainsi : « Va vers la
fourmi, ô paresseux », envois, comme elle travaille. Combien son œuvre est
sainte, puisque les rois et les sujets s'emparent de ses travaux pour
entretenir leur santé. Aux yeux de tous, elle a de la grâce et de la beauté, et
toute faible qu'elle soit, elle ne s'élève qu'avec sagesse. Que nous apprenez-vous,
ô Christ? Que devons-nous considérer
dans l'abeille? C'est un animal petit et pourvu d'ailes, parce que c'est
l'humilité qui s'élève. Elle vole au moyen de deux ailes brillantes. Or, quoi
de plus éclatant que la charité? Et la charité renferme deux préceptes, d'aimer
Dieu et d'aimer le prochain, qui sont comme deux ailes pour nous élever au ciel.
Le cierge pascal : la Lumière brille dans les ténèbres. |
La douceur est
l'œuvre de l'abeille, et la vérité est dans la bouche du juste; car le Seigneur
nous dit bien haut: « Je suis la voie, la vérité et la vie ». Et le
Prophète nous dit à son tour : « Goûtez, et a voyez combien le Seigneur
est doux ». Les abeilles aiment leur
reine, comme les justes aiment leur Christ. Les abeilles forment des rayons de
miel, et les justes des églises. C'est sur les fleurs que celles-ci vont
recueillir leur butin, de même que tous les justes s'enrichissent des beautés
des saintes Ecritures, qui font connaître et honorer Dieu, et sont pour eux des
prairies émaillées. Les abeilles engendrent sans souillure, de même que les
justes engendrent les chrétiens par la chaste prédication de l'Evangile.
C'est à ses
fils, en effet, que s'adressait Paul, quand il disait :
« Eussiez-vous dix mille maîtres en Jésus-Christ, que vous n'avez pas
néanmoins plusieurs pères; car c'est moi qui vous ai engendres en Jésus-Christ
par l'Evangile ». On distingue, dans le
rayon, la cire, le miel, et le couvin. De même, dans l'Eglise, nous avons
l'Ecriture, l'intelligence et l'audition. Et comme la cire renferme le miel,
ainsi l'Ecriture garde l'intelligence, et de même encore que le couvin a son
nid dans la cire, ainsi l'auditeur met son affection dans l'Ecriture; de
même encore que les cellules de rayons contiennent déjà du couvin, sans
contenir encore du miel, de même les mystères des Ecritures, avant d'arriver à
l'intelligence, exigent d'abord la foi des enfants. Comme la jeune abeille,
après avoir pris son essor, remplit de miel ces alvéoles de cire où elle fut nourrie,
ainsi les jeunes fidèles, après avoir grandi par la foi et commencé à se
diriger par les ailes de la charité, rendent plus solides ces remparts des
saintes Ecritures, dont le respect les a sauvegardés, et qu'à leur tour ils
environnent d'un respect plus saint.
Autel du tombeau de l'Anastasis prêt pour la Messe. Jérusalem |
Qu'on presse des rayons, il en découle du
miel que l'on recueille en des vases; ainsi la passion du Seigneur a pressuré
les livres de la loi et des Prophètes, et il en a découlé cette connaissance
qu'ont recueillie des cœurs spirituels. De même encore,
quand on a exprimé le miel, la cire, qui n'a plus de douceur, est plus apte à
recevoir l'impression des signes; de même les gouverneurs du peuple juif n'ont
retenu de la loi et des Prophètes que le sabbat, la circoncision, les
néoménies, les azymes , et autres cérémonies semblables, simples vestiges des
figures antiques, mais sans aucune douceur de la loi, comme une cire sans miel.
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