A l'occasion de la fin de ce Temps consacré à l'Ascension, voici une belle méditation de Dom Guéranger sur la royauté angélique de Notre-Seigneur Jésus-Christ
La royauté sur les hommes n’est pas le seul diadème que reçoit notre divin triomphateur dans son Ascension. L’Apôtre nous enseigne formellement que Jésus est aussi « Chef de toutes les Principautés et de toutes les Puissances » [46]. Au-dessus de la race humaine s’élèvent les degrés éblouissants de la hiérarchie angélique, l’œuvre la plus magnifique de la création. Après l’épreuve suprême, ces nobles et saintes milices décimées par la chute et la réprobation des rebelles, sont entrées dans la jouissance surnaturelle du souverain bien, et elles ont commencé le cantique sans fin qui retentit autour du trône de Dieu, et dans lequel elles expriment leurs adorations, leurs transports d’amour et leurs actions de grâces. Mais une condition jusqu’à présenta manqué à leur entière félicité. Ces innombrables Esprits si beaux et si lumineux, tout comblés qu’ils sont des dons de la munificence divine, attendent un complément de gloire et de bonheur. Lorsqu’ils eurent été appelés du néant à la vie, Dieu leur révéla qu’il devait créer encore d’autres êtres, des êtres d’une nature inférieure à la leur, et que parmi ces êtres composés d’une âme et d’un corps, il en devait naître un que le Verbe éternel unirait à sa nature divine en une seule et même personne. Il leur fut manifesté que cette nature humaine dont la gloire, avec celle de Dieu même, a été le but de la création, serait appelée « le premier-né de toute créature », et que tout Ange, ainsi que tout homme, devrait fléchir le genou devant elle, qui, après avoir été humiliée sur la terre, serait glorifiée dans les cieux ; qu’enfin le moment viendrait où toutes les hiérarchies célestes, jusqu’aux Principautés et aux Puissances, jusqu’aux Chérubins et aux Séraphins, l’auraient pour Chef.
Jésus fut donc attendu par les Anges, comme il le fut par les hommes. Par les Anges, il fut attendu comme le perfectionnement suprême de leurs hiérarchies, dont la multiplicité arriverait par lui à l’unité, et qui seraient reliées plus étroitement à Dieu au moyen de cet ineffable intermédiaire qui réunirait en sa personne une nature divine et une nature créée ; par nous autres hommes, il fut attendu comme le réparateur rendu nécessaire par, le péché qui nous avait fermé le ciel, et aussi comme le médiateur éternellement prédestiné à venir prendre la race humaine aux confins du néant, pour la réunir à Dieu qui avait résolu de lui communiquer sa gloire. Ainsi, tandis que sur la terre les justes qui vécurent avant le jour où le Verbe éternel fut conçu au sein de la plus pure des vierges, se rendaient agréables à Dieu en s’unissant à ce réparateur, ace médiateur qui devait venir ; de même, au ciel, les hommages des Anges à la Majesté divine montaient jusqu’à elle par l’offrande anticipée que lui adressaient ces Esprits bienheureux, s’unissant à ce Chef dont la mission non réalisée encore était présente dans les décrets éternels de l’Ancien des jours.
Enfin la plénitude des temps étant venue, comme parle l’Apôtre, « Dieu introduit sur la « terre son premier-né », l’archétype de la création, et à cette heure sacrée ce ne sont pas les hommes qui adorent les premiers ce Chef de leur race ; le même Apôtre nous rappelle que ce sont les Anges qui lui rendent les premiers leur hommage. David l’avait prédit dans son sublime cantique sur la venue de l’Emmanuel : et il était juste qu’il en fût ainsi ; car l’attente des Anges avait duré plus longtemps, et d’ailleurs ce n’était pas en qualité de réparateur qu’il venait pour eux, mais uniquement comme le médiateur fermement espéré, qui devait les rattacher plus étroitement à l’infinie beauté, objet de leurs délices éternelles, et combler, pour ainsi dire, l’intervalle qui n’avait été rempli jusqu’alors que par leurs aspirations à le voir enfin occuper la place qui lui était destinée.
Alors s’accomplit cet acte d’adoration envers le Dieu-Homme, cet acte exigé des Esprits célestes au commencement de toutes choses comme l’épreuve suprême, et qui devait, selon qu’il obtiendrait acquiescement ou refus, décider du sort éternel de ces nobles créatures. Avec quel amour et quelle soumission ne l’avons-nous pas vu rempli, à Bethléhem, par les Anges fidèles, lorsqu’ils virent leur Chef et le nôtre, le Verbe fait chair, reposant entre les bras de sa chaste mère, et qu’ils allèrent bientôt annoncer avec transport aux hommes représentés par les bergers l’heureuse nouvelle de l’arrivée de ce commun médiateur !
Mais aujourd’hui ce n’est plus sur la terre que les Esprits célestes contemplent le fils de Marie ; ce n’est plus sur la voie des humiliations et des souffrances par lesquelles il lui a fallu passer pour lever d’abord l’obstacle du péché qui nous privait de l’honneur de devenir ses heureux membres : c’est sur le trône préparé à la droite du Père qu’ils l’ont vu s’élever, qu’ils le contemplent désormais, qu’ils s’unissent à lui étroitement, en le proclamant leur Chef et leur Prince. A cet instant sublime de l’Ascension, un frémissement de bonheur inconnu parcourt toute la succession des célestes hiérarchies, descendant et remontant des brûlants Séraphins aux Anges qui avoisinent la nature humaine. Une félicité nouvelle, celle qui consiste dans la jouissance réelle d’un bien dont l’attente est déjà remplie de délices pour le cœur d’une créature, opère un renouvellement de béatitude dans ces êtres privilégiés, que l’on eût pu croire parvenus à l’apogée des joies éternelles. Leurs regards se fixent sur la beauté incomparable de Jésus, et ces Esprits immatériels s’étonnent de voir la chair revêtue d’une splendeur qui dépasse leur éclat par la plénitude de grâce qui réside en cette nature humaine. Leur vue, pour plonger plus avant dans la lumière incréée, traverse cette nature inférieure à la leur, mais divinisée par son union avec le Verbe divin ; elle pénètre à des profondeurs qu’elle n’avait pas sondées encore. Leurs désirs sont plus ardents, leur élan plus rapide, leurs concerts plus mélodieux ; car, ainsi que le chante la sainte Église, Anges et Archanges, Puissances et Dominations, Chérubins et Séraphins, ils louent désormais la majesté du Père céleste par Jésus-Christ son Fils : per quem majestatem tuam laudant Angeli.
Mais qui pourrait décrire les transports des Esprits célestes à l’arrivée de cette multitude d’habitants de la terre, membres comme eux du même Chef, se pressant sur ses pas et se partageant selon les diverses hiérarchies, là où la chute des mauvais anges laissait des places désertes ? La résurrection générale n’a pas encore restitué à ces âmes les corps auxquels elles furent unies ; mais, en attendant, leur chair n’est-elle pas déjà glorifiée en celle de Jésus ? Plus tard, à l’heure marquée, la trompette de l’Archange ayant retenti [52], ces âmes bienheureuses reprendront leur vêtement terrestre, désormais voué à l’immortalité. C’est alors que les saints Anges reconnaîtront avec un enthousiasme fraternel dans les traits d’Adam, notre ancêtre, ceux de Jésus son fils, ainsi que nous l’enseignent les plus anciens Pères, et dans les traits d’Ève, notre première mère, ceux de sa fille Marie ; mais la ressemblance sera plus parfaite au ciel qu’elle ne l’était sous les ombrages du jardin des Délices. Vienne donc ce jour glorieux, où le splendide mystère de l’Ascension sera réalisé dans ses dernières conséquences ; où les deux créations, angélique et humaine, s’embrasseront pour l’éternité dans l’unité d’un même Chef !
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