Puy-du-fou, l'anneau de Sainte Jeanne d'Arc |
Extraits de l’éloge de Jeanne d’Arc par l’abbé Pie,
fut Evêque et Cardinal de Poitiers, prononcé dans l’Eglise Cathédrale d’Orléans
le 8 mai 1844, jour anniversaire de la délivrance de cette ville (2/2)
2nde PARTIE
Sainte Jeanne d'Arc, statue à Reims |
Un instant effrayée, elle pleure ; ses saintes, qui l’avaient
avertie, la consolent ; elle arrache de sa propre main la flèche qui l’a
percée, et se met en prière. Et comme Dunois, désespéré, sonnait la
retraite : « En nom Dieu,
s’écrie-t-elle en se précipitant vers la Bastille, tout est vôtre, et y entrez ».
Tout à l’heure elle gisait dans son sang, et la voilà rayonnante de gloire. Sa
blessure a été le signal de son triomphe ; c’est la force dans
l’infirmité, la puissance par la faiblesse ~.
« Je ne durerai qu’un an, et guère au-delà, disait-elle souvent au
roi ; il faut tâcher de me bien employer cette année ».
Hélas ! ce beau mois de mai, qui l’avait vue victorieuse et entourée
d’hommages dans Orléans, ne reparut que pour la voir captive à Compiègne. O
Jeanne ! je vous aimais heureuse et triomphante, je ne vous aime pas
moins, et je vous vénère davantage dans vos malheurs !
~ Désormais les anges et les saintes martyres parlent à Jeanne de son
âme, de ses malheurs ; ils ne lui parlent plus de ses exploits. Ce
n’est pas seulement le glaive miraculeux qui s’est brisé dans sa main ;
son étendard, son saint étendard, qu’elle aimait quarante fois plus que son
épée, a roulé près d’elle dans la poussière. Paris entend sa voix et la
méprise impunément ; pour la première fois la victoire ne lui obéit pas. Blessée
sous les murs de la grande cité, elle voudrait y mourir, et la mort est
indocile comme la victoire. O journée fatale ! épreuve terrible !
L’envie de ses rivaux triomphe et s’exaspère ; ses amis hésitent et
n’osent plus se prononcer en sa faveur. Tels sont les hommes ; sitôt que
le succès manque, leur foi chancelle. ~
Mais ce n’est là que le prélude des douleurs. ~ Pour toute réponse, il
lui est dit : « qu’elle prenne
tout en gré, et que Dieu lui aidera ». Mon cœur se serre, Messieurs.
La vierge qui avait délivré votre ville, qui avait rendu le courage aux
guerriers et la couronne à son roi, est tombée entre des mains profanes. Jeanne,
abandonnée des siens, et peut-être trahie, comme son divin Maître, est vendue à
l’ennemi, vendue, elle, non ce qu’on vend un esclave, mais une tête couronnée.
Une prison s’ouvre, prison affreuse, où l’attendent des supplices et des
perfidies qu’on ne saurait redire ; prison dont les murailles ont des yeux
pour la lubricité, des oreilles pour la trahison.
Un tribunal est érigé par la haine ; un autre Caïphe sollicite le
privilège de s’y asseoir. C’est un évêque, un Français, je le sais ;
n’en rougissons pas, Messieurs ; depuis longtemps il a renié sa patrie et
s’est vendu à l’étranger ; on l’appelle Anglais, Bourguignon, on ne
l’appelle plus Français. Les interrogatoires commencent. Là, quel
contraste ! D’une part, l’hypocrisie, la bassesse de sentiments et de
langage, la servilité, la cruauté ; de l’autre, la franchise, l’élévation,
la noblesse ; l’indépendance, la douceur. Cependant, combien Jeanne
souffre, elle si pieuse, si délicate, si respectueuse ! Sans doute ses
saintes viennent la consoler : « Je
serais morte, dit-elle, sans la
révélation qui me conforte chaque jour ». Mais à ces voix du ciel
qui la rassurent, on oppose la voix de l’Église : comme si quelques âmes
vénales, c’était l’Église.
L’Église ! elle parlera un jour, et l’on saura ce qu’elle pensait
dans cette grande affaire. L’accusée invoque le pape, le concile :
« Le pape est trop loin, lui
dit-on, c’est à votre pontife que vous
devez obéir ». Elle est, comme Jésus, interrogée, jugée, condamnée
avec tout l’appareil des formes légales et le cérémonial imposant de
l’orthodoxie. Mais Jésus était un Dieu ; elle n’est qu’une faible femme.
Et si l’Homme-Dieu a frémi, si l’Homme-Dieu a sué une sueur de sang, s’Il a eu
besoin qu’un ange vînt Le soutenir dans Son agonie, s’Il a demandé que le
calice de la douleur passât loin de Lui, comment s’étonner du trouble de
Jeanne, de ses craintes, de ses larmes, de ses hésitations passagères ? ~
Mais bientôt les illusions s’envolent ; un bûcher s’allume, et la
victime s’avance en pleurant. ~ Un instant encore la nature affaiblie
succombe ~ Elle tient entre ses mains, elle couvre de ses baisers une
croix, une pauvre croix de bois.
~ Au milieu des flammes, ses derniers soins sont des attentions de
charité et de modestie. Les yeux toujours fixés sur le signe sacré, on
l’entend invoquer avec larmes les benoîts anges, et les saints et les saintes
du Paradis. Elle incline la tête, pousse un grand cri : Jésus !
Jésus ! Et du sein du bûcher, son âme, comme une blanche colombe, s’envole
vers les cieux... Eh quoi ! vous tremblez, vous pleurez, ennemis de la
France ! Peuple de braves, vous avez brûlé une vierge de vingt ans ;
n’êtes-vous pas fiers de cet exploit chevaleresque ! Oui, tremblez et
pleurez, ennemis de la France. Vous avez vaincu : mais votre victoire,
comme celle de Satan sur Jésus, est une défaite (I Cor., II, 8). Vous avez cru n’être que des
bourreaux, et vous étiez des sacrificateurs. Parmi ces tempêtes et ces orages,
il fallait du sang pour apaiser le ciel et purifier la terre.
La France est rachetée,
puisque Dieu a accepté d’elle une vierge pour hostie ~ Il est désormais
permis d’espérer d’heureux retours de fortune. Il a raison, ce secrétaire du
roi des Anglais qui s’écrie : « Nous sommes perdus, car nous avons fait mourir une sainte ! »
Les cendres de Jeanne crient vengeance contre vous, pardon pour la
France ; sa mort vous sera plus fatale que sa vie (Judic., XVI, 30). Dans un même supplice, je vois
trois triomphes : le triomphe de la France, le triomphe de la Foi, le
triomphe de Jeanne. ~
Jeanne n’aura point de
sépulcre ; son noble cœur, la seule partie que le feu n’ait pu détruire, a
été jeté dans les flots. ~ « Je sais bien,
disait-elle, que les Anglais me feront
mourir, parce qu’ils croient pouvoir s’emparer de la France après ma
mort ; mais seraient-ils cent mille de plus (Jeanne appelait les
Anglais d’un surnom joyeux et militaire : Jeanne était Française, et
jusque dans les fers elle avait la gaîté française), seraient-ils cent mille de plus, ils n’auront pas le royaume… Avant
qu’il soit sept ans, les Anglais abandonneront un plus grand gage qu’ils n’ont fait
devant Orléans ». Six ans ne s’étaient pas écoulés, et Paris, « ce grand gage », se rendait presque
sans coup férir à l’intrépide Dunois. Bientôt Charles le Victorieux régnait
sur tout le pays de ses ancêtres ; et un siècle plus tard, la blanche
bannière de France, flottant sur Calais, laissait lire dans ses plis
l’accomplissement de la parole prophétique de Jeanne : Les Anglais seront
boutés hors de France. Une femme, une reine voluptueuse avait perdu le
royaume ; une bergère héroïque, une vierge martyre l’a sauvé.
Triomphe de la Foi. ~ La France possède un trésor plus précieux encore
que son indépendance, qui nous est si chère à tous pourtant, c’est sa foi
catholique, son orthodoxie intacte et virginale ; c’est ce trésor qui
allait périr. Circonstance mémorable, Messieurs ! Devant le tribunal du
Juge suprême des nations, l’Angleterre, en prononçant la sentence de Jeanne
d’Arc, a signé, cent ans à l’avance, sa propre condamnation.
« Hérétique, apostate,
schismatique, malcréante de la foi de Jhésu-Christ », tels sont
les griefs inscrits, de par l’Angleterre, sur la tête de Jeanne. Ne déchirons
pas cette inscription précieuse ; livrons-la à l’histoire ; elle
pourra lui servir bientôt pour marquer au front une autre coupable, une grande
coupable. Édouard n’a-t il pas déjà parlé de faire des prêtres anglais qui
chanteront la messe malgré le pape ? Et, à la licence qui règne, ne
sentez-vous pas qu’Henri VIII approche ?
C’est à ce point de vue, Messieurs, que la mission de Jeanne s’élargit et prend
des proportions immenses. Que la France devînt anglaise, un siècle plus tard
elle cessait d’être catholique ; ou bien, si elle résistait à ses
dominateurs, elle se précipitait, comme l’Irlande, dans des luttes et des
calamités sans fin. La cause de la France, au quinzième siècle, était la cause
de Dieu, la cause de la vérité : et l’on a dit que la vérité a besoin
de la France.
Ste Jeanne d'Arc, Basilique Notre-Dame de Bonsecours |
~ Ne vous étonnez pas si l’archange de la France est envoyé vers une
vierge, et si cette vierge est choisie au pied des autels de Remy, l’apôtre des
Français, de Remy « qui a sacré et
béni, dans la descendance de Clovis, les perpétuels défenseurs de l’Église et
des pauvres » (Bossuet, Polit. sacr., l. VII, art. 6). Ne vous étonnez pas enfin
si la mission de la libératrice de la France se termine par un grand et
mémorable sacrifice. Au mal qui nous menaçait, il fallait un remède
surnaturel ; quand la religion du divin Crucifié est en cause, les
prodiges de valeur ne suffisent pas, il faut des prodiges de douleur. Ce
sont encore nos ennemis qui l’ont proclamé, alors qu’ils se frappaient la
poitrine en descendant de cet autre calvaire : « Elle est martyre pour son droict Seigneur ». Et si vous me
demandez quel est son Seigneur, elle m’a appris à vous répondre que c’est
Jésus-Christ.
~ O Dieu ! soyez béni ! Les juges qui prononcent la sentence de
Jeanne ont écrit son absolution devant la postérité, comme les bourreaux qui la
livrent aux flammes ont mis la palme céleste entre ses mains, et la couronne
éternelle sur sa tête.
~ O vous qui écrivez les fastes de la France et de l’Église, aux noms
de Clovis et de Tolbiac, de Charles Martel et des plaines de Poitiers, joignez
les noms de JEANNE et d’ORLÉANS,
noms désormais inséparables ; car Orléans n’a pas été seulement le
théâtre des exploits de Jeanne, il en a été l’auxiliaire ; Jeanne a
sauvé son pays et sa foi, et c’est à Orléans ; elle tenait le glaive
divin, et Orléans, Orléans tout entier combattait avec elle.
Chrétiens qui m’avez entendu, femmes, vierges, enfants de la cité, vos
pères ont partagé la gloire de Jeanne, et ils vous l’ont transmise. Mais Jeanne
vous a laissé un autre héritage non moins précieux : c’est celui de sa
foi, de sa piété, de ses douces et aimables vertus. La religion n’a pas de plus
séduisant modèle à vous offrir que votre libératrice. Ah ! qu’Orléans soit
toujours la digne cité de Jeanne ! que Jeanne se retrouve, qu’elle vive,
qu’elle respire toujours dans Orléans ! Que sa gracieuse et sainte
figure resplendisse dans vos mœurs, qu’elle brille dans vos œuvres. Marcher sur
ses pas, c’est marcher dans le sentier de l’honneur ; oui ; mais
c’est marcher aussi dans le sentier du ciel. Et les rigueurs dont Jeanne a été
victime ici-bas proclament assez éloquemment qu’il n’y a rien de solide,
rien de vrai, que ce qui conduit au Ciel.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire