Le jeûne n'a de sens que si nous prions plus pour aimer plus. N'est-ce pas cela être disciple de Jésus-Christ ? |
Du vénérable abbé Henri Marie Boudon, « Dieu inconnu »
La corruption du siècle est si extrême que, dans
le temps même qui est destiné entièrement à la pénitence comme celui du carême
et des autres jours de jeûnes, on en viole impatiemment les plus saintes règles.
Et l’aveuglement à ce sujet est si surprenant que l’on tombe dans ce
dérèglement sans y faire réflexion, ce qui arrive fréquemment dans les maisons
des riches où, très souvent, l’on excède les bornes dans les collations des
jours de jeûnes sous prétexte que l’on ne mange que des mets dont on use au
dessert.
Quel abus dans ces jours de mortification de voir
les tables pleines de toutes sortes de fruits et de confitures, et de tout ce
qui peut contenter plus délicieusement le goût. Mais si la pénitence est bien
rare, l’humilité que le Fils de Dieu demande pour entrer dans le ciel l’est
encore davantage, quoique notre Maître nous dise : « En vérité je
vous dis que si vous ne vous convertissez, et ne devenez comme des enfants,
vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. »
De Sa Sainteté le Pape Paul VI, audience générale
du Mercredi 8 février 1978
Les temps qui se succèdent durant le cycle chronologique annuel ont
toujours constitué pour l'Eglise une importante base normative: elle y distribue avec grande rigueur sa
pédagogie tant spirituelle qu'ascétique. Le Carême qui, cette année, commence
liturgiquement aujourd'hui est une période spéciale, un temps fort. II est
nécessaire que nous prenions conscience de cette discipline traditionnelle de
l'Eglise qui confère au calendrier une autorité particulière et attribue une
signification spirituelle au temps qui passe. Un fidèle ne saurait être indifférent. ~
Le Carême est
un temps de préparation sacramentelle. Au Sacrement du Baptême, d'abord, pour les
néophytes. Pour les chrétiens déjà baptisés, il ne sera pas seulement un simple souvenir du premier et grand
sacrement purificateur et régénérateur déjà reçu, mais il sera une rénovation
psychologique et morale opérée par le baptême même, lequel comporte, avec
l'acceptation de la foi, un style de vie
conforme à celle-ci, en vertu du principe logique et mystique que "le
juste vivra de la foi", selon la célèbre parole de Saint Paul (Rm 1, 17). C'est là une opération
toujours en voie d'accomplissement et d'exercice. Puis, le Carême est orienté vers la réconciliation des pénitents. Toute
la doctrine concernant le péché commis après le baptême a ici son école et tout
autant son ineffable conclusion qui se concentre dans la paix de l'âme, rendue
à l'amitié de Dieu grâce au sacrement de la pénitence. La préparation quadragésimale se couronne ainsi, prédisposant aux
pâques, lorsque le sacrifice eucharistique admettra le fidèle à la communion
avec le Christ lui-même "notre pâque immolée pour nous" (1 Co5, 7).
Basilique Saint-Apollinaire, Rome. Mosaïques de la Croix glorieuse et de la Sainte Face |
Et autour de ces Sacrements, la
vie des fidèles s'exerce et se transforme. Elle se caractérise par une accentuation de sentiment religieux,
d'ascèse, de charité. L'écoute de la Parole divine se fait plus attentive,
plus assidue; et si, aujourd'hui, les foules chrétiennes sont moins portées à
suivre les prédications régulières de Carême, tout chrétien réfléchi devrait trouver le moyen et le temps pour
participer au moins à une préparation pascale prêchée par quelque groupe
particulier, étant donné que cette forme de prédication s'est, par bonheur,
tellement diffusée et qu'elle est devenue d'accès très facile. Et ainsi la
lampe de la prière — devenue instinctivement, ou plutôt par une mystérieuse
rencontre avec l'Esprit, présente dans l'âme — se rallumera et conférera, sa
propre lumière à un climat quadragésimal où règnent en même temps la tristesse
et la joie.
Quant à l'obligation du jeûne et
de l'abstinence pendant le Carême, qu'en reste-t-il aujourd'hui ?
jadis si importante, si sévère et, pour ainsi dire, devenue si rituelle, n'en
subsisterait-il plus rien aujourd'hui ? A part les deux journées de jeûne qui
s'imposent encore aux vertueux (le
mercredi des cendres, aujourd'hui donc, et le Vendredi-Saint "la grande et
amère journée"), l'obligation formelle des temps passés a été abrogée
par l'Eglise, toujours sensible aux nouvelles conditions et exigences des mœurs
modernes, mais pour les esprits vigoureux et fidèles, ce qui en reste est
d'autant plus digne de notre vigilante mémoire. Cela se ramène au double devoir qui accompagnait déjà le
jeûne d'autrefois: austérité personnelle, dans la nourriture, dans les
distractions, dans le travail... et charité à l'égard du prochain, de celui qui
souffre, qui a besoin d'aide, de celui qui attend notre secours ou notre
pardon...
Tout ceci subsiste, comme subsiste aussi l'obligation de
l'abstinence chaque vendredi du Carême. Et même il s'impose que ce
programme changé, mais pas toujours facile, obtienne spontanément notre
adhésion et nos efforts d'austérité. C'est
l'austérité seule qui rend authentique et forte notre vie chrétienne.
Que l'austérité
soit, contre la mollesse aujourd'hui à la mode, l'exercice sans ostentation
(cf. Mt 6, 1 et ss), mais sincère et
fortifiant, de notre pénitence chrétienne !
Avec notre bénédiction apostolique.
Paul VI, pp.
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