lundi 30 mai 2016

Saint Michel Archange et Sainte Jeanne d'Arc, priez pour la France

Les Anges de France protégeant les lys royaux

Dom MEUNIER, « Sous la garde des Anges », Téqui, 1929


Nous avons en sainte Jeanne d’Arc le plus bel exemple qui soit de l’assistance donnée aux saints et aux saintes par le ministère des Anges. Elle fut si visiblement inspirée, guidée, soutenue par saint Michel que l’on a pu dire – dans la chaire et dans les livres – qu’elle en était la « personnification ».
Sa naissance – et sa mission – paraissent avoir été obtenues par l’intercession de ce glorieux Archange. On l’avait tant prié ! Son culte était alors si répandu, si populaire ! On l’invoquait, nous pouvons le dire, avec une ferveur et une confiance que la piété chrétienne ne connaît malheureusement plus aujourd’hui. Dans le royaume de France – envahi, dévasté, durement opprimé par les Anglais –, tous les esprits, tournés vers lui, attendaient et espéraient de lui un sauveur. Afin d’obtenir plus sûrement son intervention, Charles VII l’avait fait figurer sur ses étendards et s’était rendu, en grande pompe, à l’un de ses sanctuaires les plus vénérés, celui du Puy-en-Velay.
Les pèlerinages au Mont Saint-Michel, si en honneur depuis le IXesiècle, s’étaient succédé, renouvelés, multipliés plus que jamais : gens d’église et gens de guerre, nobles et roturiers, riches et pauvres, jeunes et vieux, corporations et confréries de tout genre avaient tenu à aller implorer l’Archange dans ce sanctuaire fameux – privilégié entre tous, puisque c’est lui-même qui l’a choisi pour y être prié. On s’y était rendu, isolément ou par bandes, au prix de mille fatigues, sans souci des dangers de la route, ni du « péril de la mer ». Sur cette sainte montagne, on avait vu, à maintes reprises, de grandes foules venues des provinces les plus lointaines aussi bien que de celles qui en sont plus près. Comment saint Michel eût-il pu demeurer indifférent – rester sourd à tant d’appels – ne pas venir enfin au secours d’un pays où on l’honorait si bien ?

Ce fut sur l’un des territoires tout spécialement confiés à sa garde – en Lorraine, au duché de Bar – que vint au monde « l’Envoyée de Dieu », la libératrice attendue.
Saint Michel envoyant Sainte Jeanne
d'Arc en mission : sauver la France
À peine était-elle âgée de treize ans qu’il lui parlait de sa mission. Jeanne a dit elle-même en quelles circonstances : « Cette voix vint à peu près vers midi, en été, dans le jardin de mon père », raconte-t-elle à ses juges ; « je l’entendis à ma droite, du côté de l’église. Elle était accompagnée d’une clarté : car rarement je l’entends sans une lumière qui paraît du même côté. Elle est même généralement très vive. – Elle me paraissait une bien noble voix et je crois qu’elle me venait de Dieu ; et après l’avoir entendue trois fois, je reconnus que c’était la voix d’un Ange »... « Je le vis devant mes yeux ; il n’était pas seul, mais bien entouré d’Anges du Paradis. Je les ai vus des yeux de mon corps, aussi bien que je vous vois ; et quand ils s’éloignaient de moi, je pleurais et j’aurais bien voulu qu’ils m’emportassent avec eux. » – Interrogée de nouveau, en secret, dans sa prison, elle ajoute : « La première fois, j’eus grand doute que ce fût saint Michel qui venait à moi et j’eus grand-peur. Je le vis même très souvent avant de savoir que c’était lui. » – Puis, comme l’assesseur insiste pour qu’elle dise sous quel aspect l’Archange lui apparaissait : « Il était, répond-elle, en la forme d’un prud’homme. Quant à son vêtement et au reste, je n’en dirai plus autre chose. Et les Anges, je les ai vus de mes yeux, mais c’est tout ce que vous aurez de moi à ce sujet. – Je crois aussi fermement aux paroles et aux actes de saint Michel, qui m’est apparu, que je crois que Notre-Seigneur a souffert mort et passion pour nous, continue-t-elle ; ce qui me pousse à croire cela, ce sont le bon conseil, le bon secours et la bonne doctrine qu’il m’a apportés et donnés. »

L'anneau de Sainte Jeanne d'Arc
Pendant quatre ans, en effet, l’Archange se chargea lui-même de préparer Jeanne à sa mission. – « Sur toutes choses, il me disait : sois bonne enfant et Dieu t’aidera », aimait-elle à répéter plus tard. À son instigation, elle fit « vœu de garder sa virginité autant qu’il plairait à Dieu » ; puis, elle commença cette pratique de la modestie, de la pureté, de la chasteté qui devait la faire paraître à tous les yeux « plus ange que femme » et à laquelle rendirent hommage les gentilshommes de son escorte.
Saint Michel lui enseigna aussi « l’horreur du mensonge », et la charité pour tous. Mais ce qu’il lui fit surtout acquérir, ce sont les deux vertus dont il donna le premier l’exemple, à l’origine des temps : une humilité profonde et une obéissance parfaite aux volontés divines. Jeanne a dit elle-même comment elle le recevait quand il venait les lui déclarer – comment elle avait coutume de « lui faire révérence, ainsi qu’aux Anges qui l’accompagnaient et, après leur départ, de baiser la terre où ils avaient posé ».
L’Archange l’instruisit encore de « la grande pitié qui était au royaume de France » ; il la mit au courant des malheurs de la royauté qui lui étaient inconnus ; et il lui confia « des secrets qu’elle ne devait révéler à personne, sinon au Roi ».
Ainsi préparée, Jeanne pouvait partir. – « N’ayez aucune crainte, dit-elle à quelqu’un qui s’inquiète : ce que je fais, j’ai ordre de le faire. Mes frères du Paradis me l’ont dit et Dieu lui-même me dit qu’il faut que j’aille à la guerre. »



Les étapes de cette glorieuse voie d’obéissance étaient marquées d’avance par les Esprits célestes. Ce fut d’abord Vaucouleurs ; puis Sainte-Catherine de Fierbois : tout s’y passa comme l’Ange l’avait annoncé. Ainsi devait-il en être de la première entrevue avec le Dauphin, si importante et décisive. Laissons la Pucelle raconter comment elle parvint jusqu’à lui. – « Vers midi (de ce jour-là) je fus moi-même à Chinon, où je logeai dans une hôtellerie. Après dîner je me rendis vers le roi, qui était dans le château. La Voix m’avait promis que je serais reçue par le roi après mon arrivée. – Elle me dit : « Va hardiment, quand tu seras près du roi, il aura bon signe de te recevoir et de te croire. »
– Quand j’entrai dans la chambre, je le reconnus au milieu des autres, d’après l’avertissement de ma Voix qui me le révéla. – Avant qu’il me mît en œuvre, il eut de nombreuses apparitions et de belles révélations. – Ceux de mon parti ont bien su que la Voix m’était envoyée de Dieu ; ils ont vu et reconnu cette voix, j’en suis sûre. » Comme les juges de Rouen insistaient pour savoir quel était le signe donné au roi, Jeanne répond : « Ce signe est beau, bon, honorable, bien croyable et le plus riche qui soit au monde. Je ne vous le dirai pas. Ce fut un Ange, venu de la part de Dieu et non de la part d’un autre, qui le remit au roi ; bien des fois j’en rendis grâces à Dieu, parce que les clercs cessèrent d’arguer quand ils eurent le signe. »

Dans un autre interrogatoire, pressée davantage, elle fait ces aveux : « J’étais presque toujours en prières afin que Dieu envoyât le signe du roi ; je me trouvais à mon logis, en la demeure d’une très bonne femme, près du château de Chinon, quand l’Ange vint ; et ensuite, lui et moi, nous allâmes ensemble par l’escalier à la chambre du roi. Il entra le premier, moi ensuite. Il avait après lui une bonne compagnie d’autres Anges que chacun ne voyait pas. Si ce n’eût été par amour pour moi et pour me soustraire à la peine que me causaient les gens qui m’attaquaient, je crois bien que plusieurs de ceux qui virent l’Ange ne l’auraient pas vu. Quand il vint au roi, il lui fit une révérence, en s’inclinant, et lui donna certitude, en lui apportant la couronne, et en lui disant qu’il aurait le royaume de France dans son intégrité, moyennant le secours de Dieu, et moyennant mon labeur ; il lui dit de me mettre en besogne, c’est-à-dire de me donner des hommes d’armes, car autrement il ne serait pas de sitôt couronné et sacré.
« En même temps il rappelait au roi la belle patience qu’il avait dans ses grandes tribulations. Tous ceux qui étaient avec le roi ne virent pas l’Ange, mais je crois que l’Archevêque de Reims, les sires d’Alençon et de la Trémouille et Charles de Bourbon le virent. Quant à la couronne, plusieurs gens d’église et autres la virent, qui ne virent pas l’Ange. Celui-ci me quitta dans une petite chapelle ; je fus bien fâchée de son départ ; même je pleurais : je serais volontiers allée avec lui. Il ne me quitta pas en proie à la peur ou à l’effroi, mais j’étais bien fâchée de son départ. Ce n’est pas par un effet de mon mérite que Dieu m’envoya son Ange ; ce fut dans l’espérance que le roi croirait ce signe et qu’on cesserait de m’attaquer pour porter, enfin, secours aux bonnes gens d’Orléans ; ce fut aussi en faveur des mérites du roi et du bon duc d’Orléans. Le roi crut que c’était un Ange, par l’enseignement des gens d’église qui étaient là et par le signe de la couronne. »
Sainte Jeanne d'Arc sur le bûcher, à Rouen
Un autre jour, où on lui demande « si l’Ange qui apporta le signe au roi fut le même que celui qui lui était apparu », Jeanne répond sans la moindre hésitation : « C’est toujours un seul et même Ange et il ne m’a jamais fait défaut. »

Cet Ange – elle l’a dit ailleurs – c’est saint Michel. Il l’accompagne à Poitiers, devant les théologiens chargés de l’examiner. C’est lui qui dicte ses réponses, comme il lui dictera plus tard ses messages aux Anglais. Il lui indique ce qu’elle doit mettre sur son étendard ; cet étendard « qu’elle aime, dit-elle, quarante fois plus que son épée », car il ne fait pas couler de sang et le non de Jésus y rayonne. – « Prends-le, de par le Roi du ciel, lui dit l’Archange ; et avance hardiment, Dieu t’aidera. »
Cette promesse se réalise bientôt à Orléans. Son étendard en main, Jeanne attaque et emporte successivement, presque sans coup férir, les bastilles des Tourelles – de Saint-Loup – des Augustins ; et le 8 mai (fête de saint Michel au mont Gargan) la ville est délivrée. Les Anglais, terrifiés, se retirent et s’enfuient « fort abaissés de puissance et aussi de courage », dit un vieil historien.
Il est évident qu’une force mystérieuse soutient la Pucelle, combat pour elle et la protège. Dunois, La Hire, le duc d’Alençon, Alain Chartier, se plaisent à reconnaître « qu’elle possède les qualités des chefs de guerre les plus renommés » – « qu’elle a la maturité d’une expérience consommée ». D’où lui viennent ce savoir, ce génie militaire et ce courage surhumain, sinon de Dieu ? Jeanne, en effet, se défend vivement d’avoir rien fait par elle-même ; elle ne cesse de répéter qu’elle a simplement accompli « l’ordre du ciel », qui lui fut intimé par l’Archange saint Michel. – À son écuyer Jean d’Aulon qui lui reproche de rester seule et de ne pas se retirer avec les autres, elle fait cette réponse où l’on voit combien elle compte sur l’aide des Anges : – « Seule ! – j’ai avec moi cinquante mille guerriers qui combattent pour nous ; je ne partirai d’ici que la ville ne soit prise ».
Animée de cette confiance surnaturelle, Jeanne relève tous les courages. Marchant de victoire en victoire, elle entraîne jusqu’à Reims l’indolent Charles VII, pour qu’il y soit sacré. C’est l’accomplissement de sa mission – l’apogée de sa gloire ici-bas. Mais, dans son humilité, la vierge guerrière se garde bien d’oublier qu’elle n’a rien fait que par la vertu d’En-Haut. Et dans sa reconnaissance pour son céleste protecteur, elle tient par-dessus tout à ce que le « signe » au nom duquel elle a vaincu, – l’étendard reçu des mains de saint Michel – « soit à l’honneur comme il fut à la peine ».

La Passion de Jésus suivit de près son entrée triomphale à Jérusalem. On trouve des rapprochements analogues dans la vie des serviteurs de Dieu. Ce devait être le cas pour sainte Jeanne d’Arc.
Aux acclamations enthousiastes dont elle avait été l’objet à Reims succédèrent bientôt des sentiments de jalousie – de basses intrigues – et l’abandon. Qu’elle ait été trahie ou non, son étendard lui fut arraché des mains sous les murs de Compiègne. Les Bourguignons la firent prisonnière et la livrèrent aux Anglais pour une forte rançon. Ses Voix l’en avaient avertie. – « Il faut qu’il en soit ainsi, lui disaient-elles ; ne t’étonne pas ; prends tout en gré ; Dieu te viendra en aide. »
Alors commença pour elle le chemin du calvaire. L’Archange qui « ne lui avait jamais fait défaut » lui continua son aide et ses conseils. Il la visitait, dans sa prison, jusqu’à trois fois le jour. – « Oui, dit-elle à ses juges ; j’ai entendu sa voix le matin, – à l’heure de vêpres – et, le soir, quand sonnait l’Ave Maria ». – « Et que vous a-t-il dit ? » – « De vous répondre hardiment. » – « S’est-il jamais contredit ? » – « Non, jamais. » – « Et d’où vient cette voix ? » – « Elle vient de Dieu et par son ordre. Je le crois fermement ; aussi fermement que je crois, la foi chrétienne et que Dieu nous a arrachés des peines de l’enfer ».
Un autre jour – alors que la Pucelle entrevoyait trop bien l’issue fatale de son procès – les Voix ont répété, en y mettant plus de précision : « Prends tout en gré ; n’aie pas trop grand souci de ton martyre ; tu viendras finalement au royaume du Paradis. »

Jeanne fut condamnée à être brûlée vive. L’Archange vint-il la réconforter au milieu des atroces souffrances de son supplice ? Ne pas le supposer serait lui faire injure ; d’autant que, d’après un témoin oculaire, elle l’invoquait à haute voix, mêlant son nom à ceux de Jésus et de Marie. Comment saint Michel aurait-il pu la délaisser à ce point ? Pourtant, si l’on s’en tient aux documents historiques, il semble qu’autour du bûcher de Rouen, comme durant la Passion, les Anges se soient abstenus d’intervenir, afin de laisser à la victime tout le mérite de son immolation.



dimanche 29 mai 2016

Fête patronale de notre Archiconfrérie : Venez, adorons le Corps très saint et le Sang très précieux de Notre Sauveur, livrés pour les pécheurs dans la divine Eucharistie

La Communion miraculeuse de Sainte Catherine de Sienne,
par Giovanni di Paolo di Grazia, XVe s.


Du vénérable abbé Henri Marie Boudon, Lettre 31

Approchez-vous de la communion vivante du Corps du Fils de Dieu avec confiance.

Il n’y a point à craindre quand l’on est en résolution de lui être saintement uni, renonçant à tout attachement volontaire à toute autre chose.





Corpus Domini, Tolède


vendredi 27 mai 2016

Eloge à sainte Jeanne d'Arc (2/2)

Puy-du-fou, l'anneau de Sainte Jeanne d'Arc
Extraits de l’éloge de Jeanne d’Arc par l’abbé Pie, fut Evêque et Cardinal de Poitiers, prononcé dans l’Eglise Cathédrale d’Orléans le 8 mai 1844, jour anniversaire de la délivrance de cette ville (2/2)

2nde PARTIE

~ Les deux saintes données à Jeanne pour conseillères et pour assistantes, sont deux vierges martyres (saintes Catherine et Marguerite). Pour toute récompense finale, ce qu’elles lui promettent, c’est de la conduire en ParadisAussitôt l’école de la douleur commence. La pieuse enfant est méprisée comme une visionnaire, repoussée comme une intrigante, exorcisée comme une démoniaque ; elle a déjà versé bien des larmes, quand elle obtient d’être conduite à son roi. Là, nouvelles épreuves plus pénibles encore, soupçons injurieux, dédains humiliants, voyage à Poitiers où elle a tant à souffrir, plus effrayée qu’elle est des arguments d’une armée de docteurs que de l’artillerie d’une armée d’Anglais. ~

Sainte Jeanne d'Arc, statue à Reims
Un instant effrayée, elle pleure ; ses saintes, qui l’avaient avertie, la consolent ; elle arrache de sa propre main la flèche qui l’a percée, et se met en prière. Et comme Dunois, désespéré, sonnait la retraite : « En nom Dieu, s’écrie-t-elle en se précipitant vers la Bastille, tout est vôtre, et y entrez ». Tout à l’heure elle gisait dans son sang, et la voilà rayonnante de gloire. Sa blessure a été le signal de son triomphe ; c’est la force dans l’infirmité, la puissance par la faiblesse ~.

 « Je ne durerai qu’un an, et guère au-delà, disait-elle souvent au roi ; il faut tâcher de me bien employer cette année ». Hélas ! ce beau mois de mai, qui l’avait vue victorieuse et entourée d’hommages dans Orléans, ne reparut que pour la voir captive à Compiègne. O Jeanne ! je vous aimais heureuse et triomphante, je ne vous aime pas moins, et je vous vénère davantage dans vos malheurs !

~ Désormais les anges et les saintes martyres parlent à Jeanne de son âme, de ses malheurs ; ils ne lui parlent plus de ses exploits. Ce n’est pas seulement le glaive miraculeux qui s’est brisé dans sa main ; son étendard, son saint étendard, qu’elle aimait quarante fois plus que son épée, a roulé près d’elle dans la poussière. Paris entend sa voix et la méprise impunément ; pour la première fois la victoire ne lui obéit pas. Blessée sous les murs de la grande cité, elle voudrait y mourir, et la mort est indocile comme la victoire. O journée fatale ! épreuve terrible ! L’envie de ses rivaux triomphe et s’exaspère ; ses amis hésitent et n’osent plus se prononcer en sa faveur. Tels sont les hommes ; sitôt que le succès manque, leur foi chancelle. ~

Mais ce n’est là que le prélude des douleurs. ~ Pour toute réponse, il lui est dit : « qu’elle prenne tout en gré, et que Dieu lui aidera ». Mon cœur se serre, Messieurs. La vierge qui avait délivré votre ville, qui avait rendu le courage aux guerriers et la couronne à son roi, est tombée entre des mains profanes. Jeanne, abandonnée des siens, et peut-être trahie, comme son divin Maître, est vendue à l’ennemi, vendue, elle, non ce qu’on vend un esclave, mais une tête couronnée. Une prison s’ouvre, prison affreuse, où l’attendent des supplices et des perfidies qu’on ne saurait redire ; prison dont les murailles ont des yeux pour la lubricité, des oreilles pour la trahison.

Un tribunal est érigé par la haine ; un autre Caïphe sollicite le privilège de s’y asseoir. C’est un évêque, un Français, je le sais ; n’en rougissons pas, Messieurs ; depuis longtemps il a renié sa patrie et s’est vendu à l’étranger ; on l’appelle Anglais, Bourguignon, on ne l’appelle plus Français. Les interrogatoires commencent. Là, quel contraste ! D’une part, l’hypocrisie, la bassesse de sentiments et de langage, la servilité, la cruauté ; de l’autre, la franchise, l’élévation, la noblesse ; l’indépendance, la douceur. Cependant, combien Jeanne souffre, elle si pieuse, si délicate, si respectueuse ! Sans doute ses saintes viennent la consoler : « Je serais morte, dit-elle, sans la révélation qui me conforte chaque jour ». Mais à ces voix du ciel qui la rassurent, on oppose la voix de l’Église : comme si quelques âmes vénales, c’était l’Église.

L’Église ! elle parlera un jour, et l’on saura ce qu’elle pensait dans cette grande affaire. L’accusée invoque le pape, le concile : « Le pape est trop loin, lui dit-on, c’est à votre pontife que vous devez obéir ». Elle est, comme Jésus, interrogée, jugée, condamnée avec tout l’appareil des formes légales et le cérémonial imposant de l’orthodoxie. Mais Jésus était un Dieu ; elle n’est qu’une faible femme. Et si l’Homme-Dieu a frémi, si l’Homme-Dieu a sué une sueur de sang, s’Il a eu besoin qu’un ange vînt Le soutenir dans Son agonie, s’Il a demandé que le calice de la douleur passât loin de Lui, comment s’étonner du trouble de Jeanne, de ses craintes, de ses larmes, de ses hésitations passagères ? ~

Mais bientôt les illusions s’envolent ; un bûcher s’allume, et la victime s’avance en pleurant. ~ Un instant encore la nature affaiblie succombe ~ Elle tient entre ses mains, elle couvre de ses baisers une croix, une pauvre croix de bois.

~ Au milieu des flammes, ses derniers soins sont des attentions de charité et de modestie. Les yeux toujours fixés sur le signe sacré, on l’entend invoquer avec larmes les benoîts anges, et les saints et les saintes du Paradis. Elle incline la tête, pousse un grand cri : Jésus ! Jésus ! Et du sein du bûcher, son âme, comme une blanche colombe, s’envole vers les cieux... Eh quoi ! vous tremblez, vous pleurez, ennemis de la France ! Peuple de braves, vous avez brûlé une vierge de vingt ans ; n’êtes-vous pas fiers de cet exploit chevaleresque ! Oui, tremblez et pleurez, ennemis de la France. Vous avez vaincu : mais votre victoire, comme celle de Satan sur Jésus, est une défaite (I Cor., II, 8). Vous avez cru n’être que des bourreaux, et vous étiez des sacrificateurs. Parmi ces tempêtes et ces orages, il fallait du sang pour apaiser le ciel et purifier la terre.

La France est rachetée, puisque Dieu a accepté d’elle une vierge pour hostie ~ Il est désormais permis d’espérer d’heureux retours de fortune. Il a raison, ce secrétaire du roi des Anglais qui s’écrie : « Nous sommes perdus, car nous avons fait mourir une sainte ! » Les cendres de Jeanne crient vengeance contre vous, pardon pour la France ; sa mort vous sera plus fatale que sa vie (Judic., XVI, 30). Dans un même supplice, je vois trois triomphes : le triomphe de la France, le triomphe de la Foi, le triomphe de Jeanne. ~

Jeanne n’aura point de sépulcre ; son noble cœur, la seule partie que le feu n’ait pu détruire, a été jeté dans les flots. ~ « Je sais bien, disait-elle, que les Anglais me feront mourir, parce qu’ils croient pouvoir s’emparer de la France après ma mort ; mais seraient-ils cent mille de plus (Jeanne appelait les Anglais d’un surnom joyeux et militaire : Jeanne était Française, et jusque dans les fers elle avait la gaîté française), seraient-ils cent mille de plus, ils n’auront pas le royaume… Avant qu’il soit sept ans, les Anglais abandonneront un plus grand gage qu’ils n’ont fait devant Orléans ». Six ans ne s’étaient pas écoulés, et Paris, « ce grand gage », se rendait presque sans coup férir à l’intrépide Dunois. Bientôt Charles le Victorieux régnait sur tout le pays de ses ancêtres ; et un siècle plus tard, la blanche bannière de France, flottant sur Calais, laissait lire dans ses plis l’accomplissement de la parole prophétique de Jeanne : Les Anglais seront boutés hors de France. Une femme, une reine voluptueuse avait perdu le royaume ; une bergère héroïque, une vierge martyre l’a sauvé.

Triomphe de la Foi. ~ La France possède un trésor plus précieux encore que son indépendance, qui nous est si chère à tous pourtant, c’est sa foi catholique, son orthodoxie intacte et virginale ; c’est ce trésor qui allait périr. Circonstance mémorable, Messieurs ! Devant le tribunal du Juge suprême des nations, l’Angleterre, en prononçant la sentence de Jeanne d’Arc, a signé, cent ans à l’avance, sa propre condamnation.

« Hérétique, apostate, schismatique, malcréante de la foi de Jhésu-Christ », tels sont les griefs inscrits, de par l’Angleterre, sur la tête de Jeanne. Ne déchirons pas cette inscription précieuse ; livrons-la à l’histoire ; elle pourra lui servir bientôt pour marquer au front une autre coupable, une grande coupable. Édouard n’a-t il pas déjà parlé de faire des prêtres anglais qui chanteront la messe malgré le pape ? Et, à la licence qui règne, ne sentez-vous pas qu’Henri VIII approche ? C’est à ce point de vue, Messieurs, que la mission de Jeanne s’élargit et prend des proportions immenses. Que la France devînt anglaise, un siècle plus tard elle cessait d’être catholique ; ou bien, si elle résistait à ses dominateurs, elle se précipitait, comme l’Irlande, dans des luttes et des calamités sans fin. La cause de la France, au quinzième siècle, était la cause de Dieu, la cause de la vérité : et l’on a dit que la vérité a besoin de la France.

Ste Jeanne d'Arc, Basilique
Notre-Dame de Bonsecours
~ Ne vous étonnez pas si l’archange de la France est envoyé vers une vierge, et si cette vierge est choisie au pied des autels de Remy, l’apôtre des Français, de Remy « qui a sacré et béni, dans la descendance de Clovis, les perpétuels défenseurs de l’Église et des pauvres » (Bossuet, Polit. sacr., l. VII, art. 6). Ne vous étonnez pas enfin si la mission de la libératrice de la France se termine par un grand et mémorable sacrifice. Au mal qui nous menaçait, il fallait un remède surnaturel ; quand la religion du divin Crucifié est en cause, les prodiges de valeur ne suffisent pas, il faut des prodiges de douleur. Ce sont encore nos ennemis qui l’ont proclamé, alors qu’ils se frappaient la poitrine en descendant de cet autre calvaire : « Elle est martyre pour son droict Seigneur ». Et si vous me demandez quel est son Seigneur, elle m’a appris à vous répondre que c’est Jésus-Christ.

~ O Dieu ! soyez béni ! Les juges qui prononcent la sentence de Jeanne ont écrit son absolution devant la postérité, comme les bourreaux qui la livrent aux flammes ont mis la palme céleste entre ses mains, et la couronne éternelle sur sa tête.

~ O vous qui écrivez les fastes de la France et de l’Église, aux noms de Clovis et de Tolbiac, de Charles Martel et des plaines de Poitiers, joignez les noms de JEANNE et d’ORLÉANS, noms désormais inséparables ; car Orléans n’a pas été seulement le théâtre des exploits de Jeanne, il en a été l’auxiliaire ; Jeanne a sauvé son pays et sa foi, et c’est à Orléans ; elle tenait le glaive divin, et Orléans, Orléans tout entier combattait avec elle.

Chrétiens qui m’avez entendu, femmes, vierges, enfants de la cité, vos pères ont partagé la gloire de Jeanne, et ils vous l’ont transmise. Mais Jeanne vous a laissé un autre héritage non moins précieux : c’est celui de sa foi, de sa piété, de ses douces et aimables vertus. La religion n’a pas de plus séduisant modèle à vous offrir que votre libératrice. Ah ! qu’Orléans soit toujours la digne cité de Jeanne ! que Jeanne se retrouve, qu’elle vive, qu’elle respire toujours dans Orléans ! Que sa gracieuse et sainte figure resplendisse dans vos mœurs, qu’elle brille dans vos œuvres. Marcher sur ses pas, c’est marcher dans le sentier de l’honneur ; oui ; mais c’est marcher aussi dans le sentier du ciel. Et les rigueurs dont Jeanne a été victime ici-bas proclament assez éloquemment qu’il n’y a rien de solide, rien de vrai, que ce qui conduit au Ciel.




mardi 24 mai 2016

Eloge à Sainte Jeanne d'Arc (1/2)

Extraits de l’éloge de Jeanne d’Arc par l’abbé Pie, fut Evêque et Cardinal de Poitiers, prononcé dans l’Eglise Cathédrale d’Orléans le 8 mai 1844, jour anniversaire de la délivrance de cette ville

Son Eminence le Cardinal Pie,
Evêque de Poitiers
Quam pulchra casta generatio cum claritate ! 
Immortalis est enim memoria illius apud Deum et apud homines... 
In perpetuum coronata triumphat, incoinquinatorum certaminum præmium vincens

Qu’elle est belle, la génération chaste ! Quelle auréole autour de son front ! 
Sa mémoire est immortelle devant Dieu et devant les hommes. 
Elle triomphe, couronnée d’un éternel diadème ; sans tache au milieu des combats, elle a remporté le prix de la victoire. (Sagesse IV,1-2)

~ Dieu n’emprunte pas toujours Ses moyens à l’ambition ou à la malice des hommes ; quelquefois Il les crée Lui-même. Quand Ses doigts sacrés sont las de ne toucher que des armes impures, Lui-même Se lève, descend dans l’arène, et prend en main Sa propre cause. Et comme alors Il avoue Son instrument, toujours Son instrument est saint ; et comme c’est Sa propre puissance qu’Il veut faire éclater, ordinairement Son instrument est faible. Alors apparaît dans l’histoire un de ces rares héros, qu’on dirait descendus des cieux, en qui la gloire ne trouve pas de faiblesses à effacer ; et le regard, attristé de n’avoir rencontré partout, dans le champ des annales humaines, que le vice sous le masque de l’honneur, que le crime sur le pavois de la fortune, se repose délicieusement, par exemple, sur le front chaste et pur d’une femme intrépide, d’une vierge guerrière, en qui la bravoure est rehaussée par l’innocence, et dont les traits, plus angéliques qu’humains, révèlent une vertu divine et une inspiration mystérieuse. Et le cœur s’écrie avec transport : Qu’elle est belle la chaste héroïne ! Quelle auréole de gloire autour de sa tête ! Sa mémoire est immortelle devant Dieu et devant les hommes ; sans tache au milieu des combats, elle a remporté le prix de la victoire : Quam pulchra, etc. Ces paroles de l’Esprit-Saint, Messieurs, déjà vous les avez appliquées à votre brave et pudique libératrice.

Être surnaturel en qui la beauté prend sa source dans l’innocence, la gloire dans la vertu : Quam pulchra casta generatio cum claritate ! Immortelle héroïne que le ciel et la terre ont couronnée d’un éternel diadème, et dont la mémoire, toujours bénie, est encore aujourd’hui, après quatre cents ans, l’objet d’un triomphe : in perpetuum coronata triumphat. Guerrière d’un nouveau genre, et qui, elle aussi, sans peur comme sans reproche, dans les camps, au champ de bataille et sur l’échafaud, a remporté, sans la souiller jamais, la triple palme de la virginité, de la victoire et du martyre : incoinquinatorum certaminum proemium vincens.

~ Les nobles exploits de Jeanne d’Arc vous appartiennent : cette vie illustre est comme l’héritage propre de votre cité ; chacun de vous en connaît jusqu’au moindre détail. Souffrez donc que, du haut de cette chaire, je sois moins historien que prêtre, et qu’en face des autels je proclame ces grands principes qui seront toujours compris en France : que c’est la justice qui élève les nations, et que c’est le péché qui les fait descendre dans l’abîme (Prov., XIV, 34) ; qu’il est une providence sur les peuples, et qu’en particulier il est une providence pour la France : providence qui ne lui a jamais manqué, et qui n’est jamais plus près de se manifester avec éclat que quand tout semble perdu et désespéré ; que le plus riche patrimoine de notre nation, la première de nos gloires et la première de nos nécessités sociales, c’est notre sainte religion catholique, et qu’un Français ne peut abdiquer sa foi sans répudier tout le passé, sans sacrifier tout l’avenir de son pays. ~ Jeanne d’Arc, suscitée de Dieu pour opérer le salut de la France, commençant cette œuvre réparatrice par ses exploits, la consommant par ses malheurs. En d’autres termes, Jeanne d’Arc, bras de Dieu qui renverse les ennemis de la France ; Jeanne d’Arc, victime qui désarme le bras de Dieu, tel est le sujet et le partage de ce discours.


1ère PARTIE

~ Instruisons-nous à cette école, Messieurs ; prenons l’Esprit-Saint pour guide ; et, dans l’histoire d’Israël apprenons à connaître la nôtre. La merveilleuse vie de Jeanne vous paraîtra un épisode biblique, un chapitre emprunté du Livre des Rois ou des Juges. L’Esprit-Saint semble avoir dicté, il y a quatre mille ans, les annales de la France.

~ Cependant, Messieurs, si notre France est une nation prédestinée, un autre peuple de Dieu sous la loi nouvelle, le Royaume de Jésus-Christ, comme le dira notre héroïne, l’Angleterre, dans le plan divin, fut pour nous, pendant plusieurs siècles, ce rival nécessaire, ce providentiel ennemi, instrument permanent des justices de Dieu. ~ Ses légions asservissaient nos plus riches cités et nos plus belles provinces ; ses rois prenaient le titre orgueilleux de monarques de France. ~

Et de nouveau la France oublia le Seigneur son Dieu, qui l’avait miraculeusement protégée. Pour punir la France, Dieu fit tomber son roi dans la démence, et défendit à la victoire de seconder l’ardeur de ses héros. Azincourt, Crevant, Verneuil, journées à jamais déplorables, et qui justifient le mot de Jeanne : « que Dieu, pour punir les péchés des hommes, permet la perte des batailles » ! Une reine, dont le cœur ne sut pas devenir français, oublie qu’elle est mère ; Troyes voit briller les flambeaux d’un coupable hymen, sanction sacrilège d’un infâme traité ; et bientôt, sur le cercueil de Charles VI, la voix du héraut fait retentir ces mots inaccoutumés, qui vont troubler, dans le silence de leurs tombes, les cendres des vieux rois : Vive Henri de Lancastre, roi de France et d’Angleterre !

C’en était fait de la monarchie, si Dieu n’accourait à son secours. Orléans, le dernier rempart et la dernière ressource de Charles VII ; Orléans, la cité fidèle par excellence, et qui pouvait dire alors : Etiam si omnes, ego non ; Orléans, malgré l’intrépidité de ses guerriers et l’héroïsme de ses citoyens, allait tomber au pouvoir de l’Anglais, dont rien n’arrêtera plus désormais la marche triomphante et dévastatrice. Seigneur, avez-vous oublié vos anciennes miséricordes ? Et toi, que n’es-tu là, bon connétable, que nous appelions l’Épée de la France ? – Silence ! voici briller l’épée de Dieu !... « Fille de Dieu, va ! va ! va ! Je serai à ton aide ! va ! » Et la fille de Dieu s’est levée.

Naïve enfant, des voix célestes lui ont parlé de la grand’pitié qui est au royaulme de France. Craintive et timide bergère de Dom-Rémy, le saint patron de son hameau, le Samuel français (Bossuet, Sermon sur l’unité de l’Église), l’attend au pied de l’autel de Reims, où elle doit lui conduire l’héritier de Clovis. Malgré mille obstacles, elle a franchi les distances ; elle est aux genoux de son roi. « Gentil Dauphin, dit-elle au monarque, j’ai nom Jehanne la Pucelle, et vous mande le Roy des cieulx, par moi, que vous serez sacré et couronné à la ville de Rheims, et serez Lieutenant du Roy des Cieulx qui est Roy de France ».

Jamais la cour n’a vu tant de douceur et de courage, tant de simplicité et de noblesse, tant d’ardeur et de modestie, tant d’aisance et de piété. Longtemps la prudence humaine hésite, la politique délibère, la théologie discute, la science examine. Jeanne souffre avec peine ces délais, car le temps presse ; et pourtant elle se résigne à ces épreuves nécessaires, qui doivent garantir sa mission divine contre tout soupçon d’entreprise téméraire et aventureuse.

Enfin son généreux élan n’est plus arrêté. Elle part, et Orléans, réconforté déjà et comme désassiégé, dit le chroniqueur naïf, par la vertu céleste qui brille en cet ange mortel, salue et porte en triomphe celle qui vient au nom du Seigneur.

~ Héroïne inspirée, elle prophétise la victoire, et la victoire ne sait pas lui donner le démenti. « En nom Dieu, s’écrie-telle, il les faut combattre ; seraient-ils pendus aux nues, nous les aurons ». ~ « C’est le Seigneur qui met les armées en poudre ; le Seigneur est son nom ».

~ Jeanne ne combat plus ; elle vole de triomphes en triomphes. Place, place au dauphin que conduit l’ange de la victoire ! Reims, ouvre tes portes au successeur de Clovis, au petit-fils de saint Louis ; pontife du Seigneur, montez à l’autel, faites couler l’huile sainte et posez la couronne sur le front du Lieutenant de Jésus-Christ. Et toi, ma jeune héroïne, jouis de ce spectacle qui est ton ouvrage. Ah ! que j’aime à te voir, debout, près de ton roi, à côté de l’autel, ton saint étendard à la main ! Plus tard, quand on voudra te faire un crime de ce privilège, tu répondras noblement : Il avoit esté à la peine ; c’etoit raison qu’il füst à l’honneur.

~ Jamais, peut-être, le dogme divin du salut des hommes par une vierge n’a été aussi parfaitement reproduit dans la sphère des choses humaines. Jeanne d’Arc est, dans la loi nouvelle, une des plus suaves et des plus fidèles copies de Marie, comme Judith, Esther, Ruth, Déborah étaient ses ébauches figuratives dans l’alliance ancienne. Tous les traits de ces saintes femmes s’appliquent à notre jeune inspirée. Composé harmonieux des perfections les plus contraires, des attributs qui semblent s’exclure, Jeanne n’appartient point à cet ordre de héros vulgaires que leurs brillantes qualités ne rendent pas meilleurs, et ses vertus ne sont pas de celles dont l’enfer est plein. Jeanne est l’héroïne chrétienne par excellence. Ce que les hommes admirent en elle est ce que Dieu couronne. Voyez-la dès le berceau.

Dans la solitude de ce riant vallon qu’arrose la Meuse, ~ Dès ses plus jeunes années, elle fut immaculée dans sa voie ~. Elle priait tendrement sous les ombrages du vieux chêne ~. Prévoyant un soir si orageux, Dieu prit en pitié Jeanne, sa douce petite créature, et répandit la paix sur son enfance, sur les premières heures du jour de sa vie, par une touchante compensation que le cœur rencontre presque toujours comme une loi providentielle qui le console. Mais le brillant midi de Jeanne révéla dans cette âme si pure des richesses auxquelles rien ne se compare. Brave comme l’épée, elle est pudique comme les anges. Y a-t-il une tache, une poussière même sur cette chaste envoyée du ciel ? Dieu est, sous ce rapport, si délicat dans le choix de Ses instruments ! 

Ardente comme un lion, elle est tendre et sensible comme un agneau. Quoi de plus intrépide que Jeanne ? Sa main saisissait, appliquait l’échelle aux murailles, sous une grêle de traits presque tous dirigés contre elle. Comme elle guidait avec grâce son cheval écumant ! Quelle science infuse de la stratégie militaire ! Que de fois elle réveilla l’ardeur assoupie de ses compagnons d’armes ! Elle était l’âme de cette grande lutte. ~

Sainte Jeanne d'Arc, coupole de Domremy
~ Elle pleurait en pansant les blessures même de ses ennemis ; elle pleurait surtout sur leur perte éternelle. « Glacidas, Glacidas, rens-toi au Roy du ciel ; tu m’as injuriée, mais j’ai grand’ pitié de ton âme ! »

Timide et naïve comme une pauvre petite bergère qui ne sait A ni B, ignorante dans tout le reste, quand le ciel lui a parlé, elle a toute la sublimité du génie, toute l’autorité de l’inspiration. Les chefs de guerre, assemblés en conseil, se cachent de Jeanne par la conscience de leur infériorité ; et la jeune fille, heurtant de sa lance à la porte de la salle, faisait presque pâlir les Gaucourt et les Xaintrailles. « Vous avez été à votre conseil, et moi au mien. En nom Dieu, le conseil de Notre-Seigneur est plus sûr et plus habile que le vôtre ». ~ Dunois lui-même entend son commandement ; il s’incline et promet humblement d’obéir. L’idiome de Jeanne n’a point vieilli. Que dis-je ? comme ces teintes de vétusté qui sont un mérite de plus dans certaines merveilles de l’art, il efface la phrase moderne, de jour en jour, plus terne et plus pauvre, quoi qu’en puisse dire notre orgueil. Ses répliques étaient vives, justes, animées ; c’étaient des éclairs inattendus ; et s’il est permis de parler ainsi, ses répliques ne souffraient pas de répliques. « “Si Dieu est pour nous, lui dit un docteur, à quoi bon les gens d’armes ?” – En nom Dieu, répond-elle, les gens d’armes batailleront, et Dieu donnera la victoire... Mes pères, mes pères, il y a dans les livres de Messire plus que dans les vôtres. Monseigneur a un livre où aucun clerc ne lit, tant parfait soit-il en cléricature ».

~ Je cherche en vain ce qui pourrait manquer à mon héroïne ; tous les dons divers s’accumulent sur sa tête ; rien de plus mystique et de plus naïf ; en elle la nature et la grâce se sont embrassées comme sœurs ; l’inspiration divine a laissé toute sa part au génie national, tout son libre développement au caractère français ; c’est une extatique chevaleresque, une contemplative guerrière ; elle est du ciel et de la terre ; c’est, pardonnez cette anticipation, c’est une martyre qui pleure ; c’est une sainte qui n’a pas d’autels ; que l’on vénère, que l’on invoque presque, et qu’il est permis de plaindre ; que le prêtre loue dans le temple, que les citoyens exaltent dans les rues de la cité ; modèle à offrir aux conditions les plus diverses, à la fille des pâtres et à la fille des rois (elle a prouvé, elle aussi, qu’elle savait comprendre la sainte et noble figure de Jeanne), à la femme du siècle et à la vierge du cloître, aux prêtres et aux guerriers, aux heureux du monde et à ceux qui souffrent, aux grands et aux petits ~.

Car, Messieurs, Jeanne d’Arc est de Dieu ; elle est l’envoyée de Dieu ; elle n’a cessé de le dire. ~

Vous l’entendez, Messieurs, le saint Royaume de France, le Royaume des loyaux français, c’est le Royaume de Dieu même ; les ennemis de la France, ce sont les ennemis e Jésus. Oui, Dieu aime la France, parce que Dieu aime Son Église, rapporte tout à Son Église, à cette Église qui traverse les siècles, sauvant les âmes et recrutant les légions de l’éternité ; Dieu, dis-je, aime la France, parce qu’il aime Son Église, et que la France, dans tous les temps, a beaucoup fait pour l’Église de Dieu.

Et nous, Messieurs, si nous aimons notre pays, si nous aimons la France, et certes nous l’aimons tous, aimons notre Dieu, aimons notre foi, aimons l’Église notre mère, la nourrice de nos pères et la nôtre. Le Français, on vous le dira du couchant à l’aurore, son nom est chrétien, son surnom Catholique. C’est à ce titre que la France est grande parmi les nations ; c’est à ce prix que Dieu la protège, et qu’il la maintient heureuse et libre.

~ Mais la mission réparatrice de Jeanne n’est pas achevée ; elle a commencé son œuvre dans la gloire ; elle la poursuivra dans la douleur. L’épouse de Jésus doit s’abreuver au calice de son époux. Jeanne va passer du Thabor au Calvaire ; et sa mort sera plus féconde que sa vie. Recueillons-nous, Messieurs. La sagesse antique avait entrevu quel noble spectacle c’est que celui d’un juste aux prises avec l’adversité. 
Mais la doctrine chrétienne seule peut nous faire comprendre ce mystère d’expiation, qui tire toute sa vertu de la croix.