vendredi 26 mars 2010

Notre-Dame des 7 Douleurs


Le Vendredi de la Passion est traditionnellement la fête de la Transfixion de Notre-Dame, qui commémore le fait qu'un glaive de douleur ait transpercé le Coeur immaculé de Notre-Dame (comme le lui avait prédit S. Syméon) lorsque S. Longin ouvrit de sa lance le côté du Christ mort en Croix. C'est Notre-Seigneur Qui reçut la plaie, mais c'est Notre-Dame qui en souffrit la douleur.
Cette fête est chère à l'Archiconfrérie car elle commémore également dans ses oraisons la fidélité des quelques Saints et Saintes restés au pied de la Croix, et que toutes les générations se doivent d'honorer avec gratitude. Mentionnons : Notre-Dame des Sept Douleurs, S. Jean Apôtre & Evangéliste, Ste Marie-Madeleine (et sans doute Ste Marthe et S. Lazare), Ste Marie-Cléophas, Ste Salomé, Ste Jeanne, Ste Suzanne, S. Joseph d'Arimathie, S. Nicodème, S. Dismas et S. Longin. "Il y avait là aussi, à quelque distance, beaucoup de femmes qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée pour Le servir" précise saint Jean en son Evangile. Peut-être d'autres fidèles, voire des Apôtres, se trouvaient-ils aussi aux alentours du Calvaire pour voir une dernière fois leur Seigneur et Maître.
Gloire soit rendue à tous ces Saints catholiques : à l'école du vénérable Henri-Marie Boudon, redoublons de dévotion envers eux. Pensons aussi aux millions d'âmes à travers le temps et l'espace, qui s'unirent à cette Passion de Notre-Seigneur, notamment à chacuns de ses renouvellements sacramentels lors de la Sainte Messe, mais aussi par l'exercice du Chemin de Croix et la méditation des souffrances du Christ, parfois jusqu'à la grâce de la stigmatisation.
"Que nous puissions, par les glorieux mérites et l'intercession de tous les Saints qui sont restés fidèlement au pied de la Croix, recueillir les fruits de Votre Passion" (Collecte).
"Que rappelant dans nos prières la Transfixion de l'âme très douce de la Bse Vierge Marie, Votre Mère, nous méritions d'obtenir par sa miséricordieuse intercession, jointe à celle des Saints qui l'accompagnaient au pied de la Croix, d'avoir part avec les Bienheureux aux mérites de Votre mort" (Secrète).
Que cette Fête quadragésimale propre de l'Archiconfrérie obtienne à ses membres de demeurer eux aussi fidèles jusqu'à la mort, et la mort de la Croix, brûlants d'amour pour le plus aimable des Rois.

jeudi 25 mars 2010

Le 25 mars, c'est aussi... la Saint-Dismas !

Notre Archiconfrérie a une grande dévotion pour les saints restés fidèlement au pied de la Croix. Comment pourrions-nous oublier saint Dismas, le Bon Larron, canonisé par Notre-Seigneur Lui-même. Qu'il nous obtienne la grâce d'une bonne mort.
Suite du chap. V des Saintes Voies de la Croix.
Tout ce qu'il y a à faire dans les voies divines, est d'y être en la manière que Dieu veut. Ce n'est pas à nous à nous faire nos croix, nous n'avons qu'à les recevoir de la main de Dieu, ou grandes ou petites, ou pesantes ou légères, selon qu'il lui plaira en disposer. Seulement il faut prendre garde à une illusion de quelques spirituels, qui, sous prétexte de jouissance de Dieu, veulent nous introduire dès cette vie, dans un état tout de consolations et de joies, et ne parlent de souffrances que comme des choses qui ne sont que pour un certain temps. Je l'ai déjà dit, je demeure d'accord qu'il y a quelques voies crucifiantes qui ne sont pas pour toujours ; mais cette règle n'est pas générale, comme il paraît par l'exemple de plusieurs saints, qui ont porté des peines intérieures étranges durant tout le cours de leur vie. Par exemple, un saint Hugues, qui en a été tourmenté jusqu'à la mort ; et dans nos derniers temps, le saint homme le P. Jean de Jésus-Marie, général des Carmes déchaussés, qui témoignait en mourant n'en être pas quitte ; comme aussi la vénérable mère de Chantal, qui paraissait, en sa dernière maladie, n'en être pas délivrée.
Il y en a que Dieu conduit par une voie mêlée de souffrances et de consolations. Ce qui fait dire à un serviteur de Dieu ces paroles : « Comme l'orfèvre retire de temps en temps son ouvrage du feu, le travaille, et regarde s'il est parfait, et n'étant pas encore achevé, il le rejette en la fournaise ; de même quelquefois Dieu retire l'âme des travaux, lui donne quelques consolations ; mais, n'étant pas encore bien purgée, elle est rejetée dans ses peines. »
Dieu est toujours infiniment adorable et aimable en ses conduites. Il est le maître souverain qui fait bien tout ce qu'il fait. Ce n'est point à la nature à les examiner ; son droit est de s'y soumettre en aveugle, avec une entière soumission et un très grand amour. Toujours est-il très vrai que les croix nous sont bonnes, en quelque état que nous puissions être. Premièrement, pour satisfaire à la justice divine en l'union des satisfactions de notre bon Sauveur. Hélas ! nous avons mérité de souffrir à jamais dans l'enfer, pour nos péchés ; nous avons mérité d'être privés de la présence de Dieu, et de toute consolation pour un jamais : avons-nous donc sujet de nous étonner si nous portons des peines et des privations durant le cours d'une vie qui passe sitôt. Secondement, nous en avons toujours besoin pour être purgés de nos imperfections. Nous l'avons déjà dit, il y a toujours en cette vie quelque chose à purifier : les saints tombent dans quelques imperfections, et il est assuré que la moindre empêche l'entrée du ciel. C'est pourquoi on rapporte de quelques saintes âmes, admirables en leurs vertus, qui ont même passé par des états intérieurs de très grandes croix, qu'elles n'ont pas laissé d'aller en purgatoire. Toute notre vie, disait saint François de Sales, n'est qu'un noviciat, nous ne ferons la profession d'une entière et totale profession qu'après la mort. En troisième lieu, les croix sont nécessaires pour nous humilier. C'est le sentiment de saint Grégoire, qui enseigne que celui qui est plus ravi en contemplation est plus travaillé de tentations. L'exemple de saint Paul est un témoignage indubitable de cette vérité. C'est ce qui fait, selon la doctrine du même Père, que souvent on trouve une plus grande douleur, en cela même qu'on bâtit pour le repos. D'où vient que le Prophète a bien dit : Vous lui avez renversé son lit dans son infirmité (Psal. XL, 4) ; comme s'il disait : Tout ce que quelqu'un s'est préparé pour le repos, vous lui avez changé cela en trouble. En quatrième lieu, les croix sont toujours avantageuses, parce qu'elles servent à l'augmentation de la grâce, de l'amour de Dieu, du mérite et de la gloire. De là vient que Notre-Seigneur en a fait si bonne part aux âmes sur lesquelles il avait de grands desseins. C'est ainsi, dit sainte Thérèse, qu'il s'est comporté avec ses saints, qu'il a chargés de peines après leur avoir départi ses grâces, et un don sublime d'oraison. Il est rapporté de la sainte mère de Chantal, que notre Sauveur récompensa ses peines par de nouveaux supplices. En cinquième lieu, la conformité des membres avec leur chef, demande d'être crucifiés avec lui, avec celui qui n'a pas été un moment sans douleur, et qui, dans le temps même de la communication de la gloire à son saint corps sur le Thabor, en avait l'esprit occupé, et s'entretenait de sa douloureuse passion. Le glorieux saint Ignace, fondateur de la Compagnie de Jésus, pénétré de cette vérité, assurait que, quand la gloire de Dieu serait égale dans la consolation et dans la souffrance, il aimerait toujours mieux la souffrance, parce qu'elle donne plus de rapport à notre divin maitre. Oh ! Que c'est une chose honteuse, s'écriait saint Bernard, de voir un membre dans la délicatesse sous un chef couronné d'épines !
Quelqu'un objectera ici ces paroles de notre Sauveur : Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes chargés de chaînes, et je vous soulagerai. (Matth. XI, 28) Il est certain que Dieu, fidèle en ses promesses, soulagera tous ses disciples : mais comment ? Il les soulagera par le repos éternel qu'il donnera en l'autre vie ; il les soulagera en la vie présente par la force qu'il leur donnera à porter leur croix, ce qui est commun à tous ceux qui souffrent, car quoique le don de force ne soit pas égal, sa grâce est abondante dans toutes les âmes crucifiées. Il les soulagera quelquefois par des consolations sensibles ; mais c'est ce qui n'arrive pas à tous. Il les soulagera encore par la délivrance de certaines peines ; mais ce que l'on doit remarquer, est que, par ces paroles, on ne doit pas entendre ordinairement ni un soulagement sensible, ni la délivrance totale des peines ; autrement comment accorder cette vérité avec l'état public de tant de saintes âmes qui ont eu recours à Jésus-Christ, et qui ont toujours été dans la peine ?
On objectera encore ces paroles de l'Apôtre : Réjouissez-vous tous au Seigneur (Philip. IV, 4) ; et on en conclura que le bonheur est donc dans la joie. Mais il est facile de répondre à cette objection : car ou l'Apôtre entend parler d'une joie sensible, ou d'une joie qui réside en la cîme de l'âme, et qui est bien souvent imperceptible. De dire qu'il veut parler d'une joie sensible, c'est ce qui ne se peut pas : car ce serait aller contre toute expérience, contre tout ce qui se lit dans la Vie des saints, contre toute la doctrine des Pères de l'Église et des maîtres de la vie spirituelle, et contre l'autorité-même de l'Écriture en la bouche du même Apôtre, que l'on ferait tomber dans une contradiction manifeste ; puisqu'il assure qu'il a souffert outre mesure, et non seulement extérieurement, mais qu'il a été dans les angoisses d'esprit, jusque-là même que quelquefois la vie lui était à charge ; et cela, non seulement par le désir qu'il avait de voir Jésus-Christ, mais encore par la grandeur de ses peines, qui lui faisait dire qu'il était ennuyé de vivre. Donc il est manifeste que cette joie continuelle dont il parle, ne peut s'entendre de la joie sensible, qui n'est pas toujours permanente en ce monde-ci. Il parle donc d'une joie qui réside en la cîme de l'âme, qui vient d'une abondance de paix qui donne la parfaite conformité avec la volonté divine ; car l'âme ne voulant que ce que Dieu veut, est toujours contente en tout ce qui lui arrive. Or, cette paix ou cette joie est si souvent cachée, que non seulement les sens n'y ont aucune part, mais encore la partie raisonnable inférieure. Nous avons parlé suffisamment dans notre livre Du règne de Dieu en l'oraison mentale, de la différence de la partie inférieure raisonnable, d'avec la suprême partie de l'âme ; ce qu'il est assez nécessaire de savoir, plusieurs savants même les confondant, et entendant par la partie inférieure, la sensitive et animale. L’exemple de notre Sauveur éclaircit entièrement la chose, puisque son âme était affligée d'une tristesse mortelle, en même temps qu'elle jouissait de la gloire. Or, dit saint François de Sales, cette tristesse ayant porté ce bon Sauveur à demander à son Père que ce calice amer passât loin de lui, s'il était possible, et ayant ajouté qu'il n'en allât pas comme il voulait, mais selon la volonté de son Père, il est évident que Notre-Seigneur n'était pas seulement affligé dans sa partie sensitive qui n'a point de volonté, mais encore dans la partie inférieure raisonnable. Jésus jouissait donc d'une joie inénarrable dans la suprême partie de son âme, en même temps qu'il souffrait les tourments les plus grands qui furent jamais. Ce qui marque bien que la joie dans la cîme de l'âme peut s'allier avec tous les états intérieurs les plus pénibles. Et dans le temps que notre bon maître était si délaissé de son Père qu'il s'en plaignit publiquement, n'est-il pas vrai que la gloire de son âme était égale et qu'elle possédait la joie de la vision béatifique ! Il faut donc dire que la joie continuelle à laquelle l'Apôtre exhorte n'est autre que celle qui réside en la suprême partie de l'âme, par une entière conformité à la volonté divine ; joie qui souvent est imperceptible, qui n'est nullement aperçue, ainsi qui laisse l'âme dans la désolation, qui ne sait en plusieurs états si elle est résignée au bon plaisir divin, qui ne connaît pas ce qui se passe dans son fond, tout cet acte réfléchi lui étant ôté. Cette joie était véritablement dans ces saintes âmes qui ont souffert des peines d'esprit jusqu'à la mort ; mais comme elle n'était nullement aperçue, elle n'en recevait aucune consolation.
Mais, ajoutera-t-on, plusieurs se forment des états imaginaires des peines surnaturelles, ou se causant des souffrances par leur imprudence et par leur faute. Il est aisé de répondre que ces abus ou fautes sont à éviter, que nous ne les approuvons pas ; mais les abus qui se rencontrent dans les états les plus saints, ou les fautes que l'on y commet, n'ôtent pas la perfection et l'excellence de ces états. Pour ce qui regarde les abus, il les faut détruire avec la grâce de Notre-Seigneur. À l'égard des fautes, on en doit avoir regret et cependant en porter les peines avec patience, en en faisant un saint usage. Toutes les âmes qui sont en purgatoire y sont pour leurs fautes et leurs péchés ; ce sont des peines qu'elles se sont procurées d'elles-mêmes par leurs offenses : cela n'empêche pas que ce ne leur soit un très grand bonheur d'y être purifiées pour jouir de la vision de Dieu.
On ajoutera que les consolations sont bonnes et que les lumières sensibles sont des dons de Dieu. Tout cela est vrai ; mais aussi il est sûr qu'elles sont dangereuses à raison de la nature. On ne pourrait pas nier sans erreur que les biens naturels ne soient bons, comme par exemple l'or et l'argent, les terres, les vignes et choses semblables, qui sont les richesses de la vie présente ; que ce soient des dons de Dieu, et avec cela le Fils de Dieu s'est déclaré bien nettement au sujet de ces biens, et a prononcé : Malheureux ceux qui les possèdent, à raison du danger qui s'y trouve ! Il a mis le bonheur dans la souffrance de la pauvreté, qui en prive. Appliquez ceci aux consolations spirituelles, qui sont les richesses dont l'amour-propre s'entretient. Nous ne disons pas que ce soit chose mauvaise que ces consolations ; nous disons même qu'elles sont utiles et nécessaires à quelques âmes pour les aider dans leurs faiblesses : nous avouons que Dieu les donne quelquefois à de très grands saints : que ceux qui en ont les doivent recevoir avec action de grâces, comme les personnes riches leurs biens temporels, et en faire un saint usage, sans s'y attacher.
Mais, à dire vrai, le bonheur de la vie présente consiste plutôt dans leur privation que dans leur jouissance. Premièrement, comme il a été dit, à raison du danger de l'amour-propre qui s'y glisse facilement. Notre-Seigneur parlant à une sainte âme, lui dit qu'il le fallait bien plus remercier pour les afflictions que pour les consolations, parce que les consolations enivraient de vanité et d'orgueil ; que, pour mille qui se perdent dans les afflictions, dix mille périssent dans les consolations sensibles, qui sont la pâture de l'amour-propre. Secondement, le diable souvent s'y mêle. Une femme avait des consolations si grandes qu'elle en était toute transportée et était obligée de dire qu'elle n'en pouvait plus : la sainte Vierge révéla que c'était le diable qui les lui donnait, et dit que quand l'âme s'épanouit par ces voies, le démon s'en approche et lui brouille l'esprit de plusieurs pensées et affections qui viennent de l'amour-propre. En troisième lieu, c'est un retardement à la perfection. Il en arrive à peu près dans ces voies sensibles, comme à un voyageur qui, ayant bien du chemin à faire, au lieu d'aller tout droit, s'amuse à la rencontre des belles maisons et des beaux jardins que la curiosité presse de voir. Il n'en est pas de même de celui qui ne trouve en son voyage que des lieux désagréables et fâcheux ; il marche sans aucun retardement, et n'est-il pas vrai qu’il arrive plus tôt au lieu où il va, et où il a affaire ? En quatrième lieu, il y a plus d'amour de Dieu, généralement parlant, dans la privation des goûts et lumières sensibles, car il y a moins de créatures. Nous en avons traité plus amplement en notre livre Du règne de Dieu en l'oraison mentale. Disons seulement ici ce qu'assurait sainte Catherine de Gênes, sur ce sujet : Un moyen qui me plaît davantage, disait cette sainte, est quand Dieu donne à l'homme un esprit occupé en grande peine et affliction, de telle manière que la partie propre ne peut se repaître ; il est nécessaire qu'elle se consomme. Dans les consolations, les créatures se mettent entre Dieu et nous ; dans les afflictions Dieu se met entre nous et les créatures pour nous en séparer. Notre-Seigneur a dit à une sainte âme, que les prières lui étaient plus agréables lorsqu'on les faisait dans la sécheresse, la peine, la douleur et la répugnance. Mais enfin l'Écriture ne nous dit-elle pas que saint Pierre ne savait ce qu'il disait quand il disait qu'il était bon de demeurer dans la consolation du Thabor ? Cependant les divines lumières qui y paraissaient, les douceurs que l'on y goûtait, étaient très bonnes et très excellentes, puisque c'était un rejaillissement des lumières et des torrents de la gloire du paradis et de la gloire du Sauveur-même.
Après tout, l'adorable Jésus est le véritable exemplaire de tous les élus, et sa divine vie, la règle de la vie de tous ceux qui seront sauvés. Jetant donc les yeux sur ce modèle adorable, nous n'y verrons que croix : croit extérieures terribles, croix intérieures extrêmes. Toute sa sainte vie s'est passée dans la douleur ; car, ou il souffrait actuellement des peines extérieures, ou son esprit en était affligé par la vue très présente qu'il en avait, et cela avec tant de fidélité pour la croix que sur le Thabor-même, la gloire faisant un déluge de joie de toutes ses facultés, tant inférieures que supérieures, qui portaient leurs effets jusque sur ses vêtements, au lieu d'y arrêter son esprit, il en détournait ses pensées pour ne songer qu'aux tourments de sa Passion, et pour nous enseigner fortement que les joies sensibles ne sont pas propres pour cette vie : vous diriez qu'il veut étouffer dans l'esprit de ses disciples la vue de la gloire qu'il leur avait montrée, ne les entretenant ensuite que des souffrances ignominieuses de sa croix. Enfin cette proposition du grand Apôtre est générale : Jésus-Christ n'a point pris de satisfaction en lui-même. (Rom. XV, 3) Cette proposition est si universelle, dit le révérend P. Louis Chardon, Dominicain, en son excellent Livre de la croix de Jésus, ouvrage qui ne peut être assez loué, qu'elle comprend son entendement, son esprit, sou jugement, sa mémoire, ses richesses et les trésors de la science, qui ne l'ont jamais satisfait. Elle comprend encore la complaisance qu'il pouvait tirer de l'union ineffable de son âme sainte avec une personne divine. Quelle pensée plus pressante pour être transporté de joie. Après tout cela la joie inénarrable qu'il devait recevoir de la vision béatifique est refusée pour donner la préférence à la pensée de la confusion de la croix qui s’empare d'une partie de son esprit. Mais en mourant, remarque le même auteur, son amour pour la croix ne meurt pas. Son côté sera ouvert par un coup de lance : il veut que la divine Eucharistie soit une représentation continuelle de sa Passion ; et parce que le sacrifice doit finir avec le monde, il réserve ses plaies pour l'éternité ; plaies capables non seulement de recevoir les doigts, mais encore les mains de ses apôtres, pour nous marquer que ses inclinations à la croix ne peuvent finir.
Je sais que quelques-uns disent qu’il était nécessaire que l'adorable Jésus fût ainsi crucifié, parce qu'il était le Sauveur des hommes, et qu'il était venu satisfaire pour leurs péchés. Mais, ô mon Dieu ! Que l'esprit de l'homme est bizarre et peu raisonnable dans ses pensées ! S'il a été nécessaire que celui qui est l'innocence-même ait souffert, le criminel doit-il mener une vie délicieuse ? Si ce Fils bien-aimé du Père éternel, tout Dieu qu'il était, pour avoir pris l'apparence du pécheur et s'être présenté en son nom à son Père, a été accablé sous les torrents de sa colère, et en a porté des déluges de souffrances, l'esclave du démon, qui ne mérite que la colère de Dieu et l'enfer, doit-il être exempt de peines ? Oh ! L'étrange et inconcevable raisonnement ! Il faut que le Maître, le Seigneur, le Fils, le Roi, et Dieu même souffre ; mais pour l'esclave, le sujet, la créature, le néant, et le pécheur qui est au-dessous du néant, ce n'est pas là son affaire : la joie et la douleur de la vie, voilà son partage.
Je demande de plus à ces personnes, si la croix n'était pas la grande grâce de la vie présente, d'où vient que le Fils de Dieu a tant souffert, et souffert jusque-là que la vie lui était à charge, comme il est rapporté en saint Marc, au chapitre XIV, puisque la moindre de ses peines était suffisante pour satisfaire pour des millions de mondes ? Cette surabondance de croix nous est un témoignage infaillible de son amour pour les souffrances. Je leur demande encore d'où vient que la très sainte Vierge a été abîmée comme dans une mer immense de douleurs, et qu'elle a plus enduré que tous les saints. Je leur demande d'où vient que la sainte Église chante : Tous les saints, combien ont-ils souffert ? La sainte Vierge cependant qui n'a jamais contracté ni commis le moindre péché, ne pouvait souffrir pour être purifiée de ses taches, étant plus pure que le soleil et les anges. Marque évidente que les états de peine ne sont pas seulement peur purifier, mais pour sanctifier de plus en plus les âmes. Enfin je leur demande de qui nous apprendrons les voies du ciel, si ce n'est de celui qui est la voie, la vérité et la vie ! Certainement, s'il eût trouvé, selon sa sagesse infinie, qu'il y eût eu quelque chose de meilleur en ce monde que la souffrance, il l'eût enseigné par son exemple. Cette pensée est du livre divin de l'Imitation de Jésus-Christ.
Ce que tant de miracles n'avaient pu faire, il l'a fait par la croix : marque donc qu'elle renferme quelque chose de plus grand que ce qu'il y a de plus merveilleux et de plus miraculeux en cette vie.
Mais écoutons ce divin maitre, parlant à tous ses disciples : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même et porte sa croix. (Matth. XVI, 24). Il ne dit pas : Ayez de hautes contemplations, de belles lumières, des consolations et des joies spirituelles : il ne demande que la croix, et pour prévenir la mauvaise réponse de ces personnes qui disent que cela est bon pour un temps, il ne limite point son ordre à de certains âges, conditions ou états intérieurs ; mais il prononce généralement à tous ceux de sa suite, qu'ils doivent porter la croix ; et pour ôter tout doute, un évangéliste rapporte qu'il disait qu'il fallait porter sa croix tous les jours. Voilà une décision bien nette. Il le faut bien, puisque le même divin maître nous assure que comme son Père l'a envoyé, il nous envoie. Si donc il a été envoyé pour souffrir, nous sommes aussi en ce monde pour la peine. Que ces personnes qui renvoient les tourments à notre bon Sauveur fassent réflexion sur ce passage, qui est expliqué, comme je le fais, par les saints Pères et les auteurs spirituels.
Enfin, sommes-nous plus sages que la Sagesse-même ? Le Fils de Dieu a cru que son Père serait plus glorifié par les voies de la croix, que par les voies douces ; pourquoi ne serions-nous pas dans les mêmes sentiments ? Tout le christianisme a été établi dans cet esprit. Toutes les réformes et les plus grands desseins de Dieu ne s'accomplissent que par ce moyen. Le salut, dans l'Écriture (Apoc. VIII, 8), est comparé à une montagne, parce qu'il faut peiner pour y monter. Sa voie est étroite, et bien étroite ; ce qui fait voir que l'on n'y marche pas sans difficulté. La sûreté y est tout entière, mais la peine s'y trouve. C'est une parole fidèle, dit le grand Apôtre, que si nous mourons avec Jésus, nous mourrons avec lui, mais ne voyez-vous pas la condition ? C'est pourquoi il appelle tous les Chrétiens des morts. Il faut donc conclure par ces paroles que le Fils de Dieu adressait à sainte Thérèse : « Le bien de ce monde ne consiste pas à jouir de moi, mais à me servir, à travailler pour ma gloire, et à souffrir à mon imitation. » Ne vous étonnez pas ensuite si cette grande sainte avait pris pour maxime, Ou souffrir, ou mourir, comme si elle eût voulu dire : Dès que l’on ne souffre plus en ce monde, il faut le quitter, la croix y étant notre grande affaire. Ne nous étonnons pas si sainte Catherine de Sienne choisit la couronne d'épines, et la préféra à toutes les autres.

…et concepit de Spiritu Sancto

La Fête de l'Annonciation de Notre-Dame est l'occasion de méditer sur le fruit du 1er mystère joyeux, d'après le Saint esclavage à l'admirable Mère de Dieu de M. Boudon.

CHAPITRE VIII - De l'humilité de la très sainte Vierge

Si à proportion qu'un édifice doit être élevé, les fondements doivent en être jetés plus avant en terre, que devons-nous penser de l'humilité de la très sacrée Vierge, qui a été le fondement de toutes ses vertus et de la gloire immense dont son Fils bien-aimé l'a couronnée. Tout est grand en la divine Marie, tout y est admirable, tout y est surprenant : mais il n'y a point d'esprit qui ne se doive perdre dans la profondeur incroyable de son humilité. Que celui-là qui nous peut faire connaître ses grandeurs presque infinies, nous découvre l'abîme de son humilité. « Elle est élevée, dit saint Bernard, à la dignité de Mère de Dieu, et elle s'en appelle la servante » : elle porte un Dieu dans ses entrailles, dont elle est la Mère, et elle fait un voyage pénible pour aller rendre visite à sa cousine sainte Élisabeth, de même pour la servir en sa maison. Si on la loue, elle renvoie tout l'honneur qui lui est rendu, à Dieu seul : elle est la souveraine du ciel et de la terre, et elle ne fait point difficulté d'obéir au commandement de César : celle qui comptait quatorze rois dans sa famille, loge volontiers dans une caverne, où elle ne trouve pour compagnie que des bêtes : celle qui est plus pure que les anges, veut bien passer pour immonde le jour de sa purification : celle qui doit commander aux anges et aux hommes, épouse un pauvre charpentier et lui obéit avec une soumission très respectueuse. « Celle, dit le saint dévot Bernard que nous venons de citer, qui est la première de toutes les créatures, se met la dernière dans le cénacle après l'ascension de Notre-Seigneur, au-dessous des veuves et des pénitentes, et de celle dont il est écrit, que sept démons en avaient été chassés ! Si elle parle, elle ne se nomme pas la première. » Elle ne dit pas dans l'Évangile, dit un Père : Voici que moi et votre père, entendant saint Joseph, vous cherchions ; mais elle dit : Votre père et moi. (Luc. II, 48) Comme elle devait recevoir en soi un Dieu infini, et renfermer dans ses pures entrailles celui que les cieux et la terre ne peuvent comprendre, elle devait aussi avoir une disposition comme infinie pour la communication de cet être infini ; c'est pourquoi elle se mit dans le néant par une humilité tout abîmale ; et, selon la version de Vatable, si elle chante (Luc, I, 48), que toutes les nations la diront bienheureuse, c'est parce qu'elle croit que le Seigneur a arrêté les yeux sur son néant. Elle a révélé à sainte Brigitte, qu'elle souhaitait de voir le temps du Messie, pour avoir l'honneur d'être la servante de sa mère, et, comme il est rapporté dans une autre révélation, la servante des servantes de sa mère. Saint Bonaventure nous apprend qu'elle demandait à Dieu la grâce d'être et de vivre dans le temps que son Fils devait s'incarner, et le priait de lui conserver les yeux pour voir sa très pure mère ; sa langue pour pouvoir la louer ; ses mains pour pouvoir lui servir ; ses pieds pour aller à l'exécution de ses ordres. Mais, ce qui est bien admirable, c'est qu'étant remplie de grâces et ornée de toutes les vertus, et enfin, étant la Mère d'un Dieu, elle a révélé qu'elle ne s'est jamais préférée à aucune créature.
Après cela, où se mettra le pécheur, le ver de terre, le morceau de boue et de crachat, l'ennemi de Dieu et l'esclave de l'enfer ? Y a-t-il des abîmes assez profonds pour nous perdre, dans la vue d'une humilité si prodigieuse en la personne de la mère d'un Dieu ? Je ne vois que des abaissements ineffables en celle que Dieu élève au-dessus des séraphins, et je ne vois que des élévations superbes dans ceux qui méritent d'être abaissés jusque dans les enfers : je ne vois que des anéantissements épouvantables en celle qui est la mère du grand tout, et à qui tout est donné ; car comment y aurait-il quelque réserve pour une Vierge à qui Dieu se donne pour Fils ? Et l'on ne remarque qu'un orgueil détestable en ceux qui n'ont pour apanage que le rien et le péché. Malheur à nous qui pensons être quelque chose, quoique nous ne soyons rien, et qui voulons être considérés des autres, et occuper quelque place dans le monde. Hélas ! Les saints en qui la vertu de Jésus-Christ deviennent grands, qui disent et font bien ce qu'ils disent et ce qu'ils font, pensent toujours ne rien faire, et ne se croient dignes que de mépris et de confusion, pendant que nous autres, pauvres pécheurs, qui ne sommes que corruption, estimons faire quelque chose et mériter quelque approbation. La misère nous environne de tous côtés, et nous courons après la gloire de toutes parts ; nos malheurs ne sont-ils pas extrêmes, et nos malices étrangement criminelles, d'être ce que nous sommes, c'est-à-dire rien, et moins que rien, et cependant vouloir toujours être quelque chose ? Le néant nous appartient, car c'est du néant que nous sommes tirés, et c'est dans ce néant que nous retomberions, si Dieu, tout bon, cessait un moment de nous conserver. Mais à ce néant naturel nous ajoutons le néant criminel du péché ; ainsi voilà le néant sur néant. Nous ne sommes rien par notre origine naturelle, et nous ne sommes rien par le péché. Ce n'est pas tout, nous sommes même moins que rien, parce que celui qui fait le péché est l'esclave du péché : n'étant donc rien en tant de manières, nous nous mettons encore au-dessous du rien. Oh ! Que de néants se présentent à une âme véritablement éclairée ! Celui donc qui a la lumière de Dieu, et qui ne marche pas dans les voies ténébreuses de la corruption des sens et du monde aveugle, ne peut jamais avoir que de très bas sentiments de soi-même, et ne se voit jamais que dans son rien. Oh ! Que Dieu parait grand à ses yeux, et qu'il y est petit ! Que de lumières il a sur son incapacité, son impuissance, ses faiblesses, ses misères ! Qu'il connaît clairement, que quand il a tout fait, il n'a rien fait, et qu'il est toujours un serviteur inutile !

Sainte Thérèse recherchant pourquoi Dieu aimait tant l'humilité, elle découvrit que c'est parce qu'il est le Dieu de vérité. Ceux donc qui marchent dans la vérité, sont toujours humbles : la vanité vient de l'erreur et de l'ignorance ; c'est pourquoi les pécheurs qui sont enveloppés dans les nuages du péché, sont plus sujets à la présomption ; et les saints qui cheminent dans le beau chemin de la grâce, en sont bien éloignés. L'on s'étonne de ce que l'angélique Docteur disait qu'il n'avait jamais eu de pensées de vanité ; l'on est surpris de ce que saint Ignace, le fondateur de la Compagnie de Jésus, assurait qu'il ne savait pas comme l'on pouvait en prendre ; et de vrai il y a bien à s'étonner que de pauvres malheureux comme nous sommes, qui y sommes si exposés, quelque misère que nous ayons, pendant que ces saints tout environnés de gloire en étaient si éloignés. Mais c'est, comme nous l'avons dit, que les saints voient les choses dans la vérité, pendant que nous ne les regardons que dans l'illusion ; que souvent nous faisons pitié aux saints anges, par l'estime que nous avons de ce que nous sommes, ou de ce que nous faisons ! Que ces pensées vaines qui roulent dans nos esprits, leur paraissent ridicules ! Et qu'elles nous sont ennuyeuses à l'heure de notre mort ! Que notre orgueil nous deviendra abominable au temps du Jugement rigoureux de notre Dieu ! Nous découvrirons pour lors la sottise de toutes ces pensées et de tous ces discours de noblesse, de condition, de talents naturels, de grand esprit, de sciences, de charges, d'honneurs, de biens, de beauté de corps, et de choses semblables. Mais pourquoi attendons-nous à connaitre la vanité des choses créées, dans un temps où la connaissance en sera inutile ? Pourquoi n'ouvrons-nous pas nos yeux aux pures lumières de la foi ? Et si nous les ouvrons, si nous savons la vanité de nos pensées et de nos paroles, pourquoi nous trompons-nous nous-mêmes, agissant d'une manière contraire à ce que nous pensons ? Celui donc qui est véritablement humble, demeure toujours dans son néant, et il parle et agit, ne se retirant jamais de son rien. De là vient que premièrement il ne s'estime et ne se préfère jamais à aucune créature, mais il se voit au-dessous de toutes. C'étaient les sentiments du divin Paul, qui se qualifiait le premier des pécheurs (I Tim., I, 15) : c'étaient les pensées du grand saint François, qui se reconnaissait pour le plus grand pécheur du monde. En cet état, l'on ne s'occupe pas tant d'une multitude de raisonnements que le propre esprit donne ; mais l'on porte une impression de grâce qui fait entrer dans ces sentiments, qui est fondée sur quelque chose de bien plus solide que les raisonnements de nos petits esprits. J'ai connu à Paris un vénérable vieillard, qui marchant dans les rues allait le long du ruisseau, quoique avec incommodité, dans la vue dont il était pénétré, qu'il le devait céder à tout le monde, et se mettre au-dessous des pieds de toute créature.

Le saint homme le P. de Condren se trouvant un jour obligé de coucher, faisant voyage, dans un lieu où les chiens passaient la nuit ; et ayant pris un peu de paille qu'il y trouva, pour se reposer : comme il s'aperçut que cette paille servait à un chien qui était auprès de lui, il la quitta pour la lui laisser, dans la vue que ce grand serviteur de Dieu avait, qu'il était au-dessous des chiens par ses imperfections, qui assurément étaient bien légères, puisqu'ayant l'usage de raison depuis l'âge de deux ou trois ans, il avait été tellement appliqué à Dieu seul, qu'une personne ayant trouvé un papier où il avait écrit une confession de plusieurs années qu'il avait passées à la campagne à recevoir les compagnies, et dans les divertissements de la chasse, y étant obligé par ses parents, et étant encore bien jeune, et cette personne en ayant lu le commencement par mégarde, ne sachant ce que c'était, elle y trouva qu'il s'accusait d'avoir perdu la présence de Dieu tout au plus neuf ou dix fois durant plusieurs années, et dans des occupations si peu propres au recueillement. Ce sont à la vérité des prodiges de la grâce : mais si ces personnes qui sont les miracles du christianisme, se mettent si bas, ces personnes qui doivent occuper les premières places d'un empire éternel, où se mettront celles dont les péchés méritent le dernier lieu de l'enfer ? Le bienheureux François de Borgia disait, qu'il ne pouvait trouver de place assez basse, après qu'un Dieu s'était mis au-dessous des pieds de Judas. Ajoutons à cette pensée, et qu'il s'est laissé porter par le démon. Disons encore, et que dans le très-saint Sacrement il s'humilie sous une apparence de pain et de vin, et est exposé à la rage des impies qui l'ont plusieurs fois foulé aux pieds, qui l'ont jeté aux pourceaux, et aux sorciers qui l'ont porté à leur infâme Sabath. Il faut que tout esprit s'arrête dans ces vues terribles, pour se perdre sans ressource dans des abîmes anéantissants. Plus de place donc pour nous dans le monde, plus de place dans aucun esprit pour y trouver la moindre estime, plus de place dans aucun cœur pour y trouver la moindre affection. Dieu seul, Dieu seul, Dieu seul ; ou si nous y avons quelque place, que ce soit pour y être crucifiés par le mépris et les opprobres, pour y être anéantis par le rebut des créatures. Notre lieu est l'enfer, nous ne sommes dignes que de l'ire de Dieu et de sa colère éternelle.
Cette vérité est certaine, pénétrant l'âme du véritable humble, il ne se plaint jamais, il ne pense pas qu’on lui fasse jamais tort ; il croit, quelque mal qu'on lui procure, qu'il est toujours trop bien traité : ainsi il ne regarde jamais ses plus cruels ennemis que comme des gens qui lui font grâces. Et de vrai, si un homme qui serait condamné à être brûlé, n'était puni que d'un soufflet, aurait-il sujet de se plaindre ? Si nous donc qui méritons des confusions infinies, souffrons quelques affronts qui passent bientôt, devons-nous nous en étonner ? N'est-ce pas une grâce très grande de souffrir dans le temps, quelques peines que nous puissions avoir, et quand elles dureraient toute notre vie, pour éviter les peines des enfers qui n'auront jamais de fin ? Y a-t-il quelque comparaison entre les souffrances qui nous peuvent arriver de la part des hommes, pour grandes qu'elles puissent être, et celles que nous méritons d'endurer pour jamais des démons ? Tous les tourments de la vie présente ont-ils quelques rapports avec ceux de l'éternité ? Je dis donc que quand l'on viendrait nous prendre pour nous faire mourir sur un gibet, nous n'aurions pas sujet de murmurer, mais d'adorer avec soumission la justice divine : et c'est ce que nous devons faire dans tous les maux qui nous arrivent, soit de la part de Dieu immédiatement, soit de la part des hommes et des démons par la conduite de la divine Providence, qui s'en sert pour notre bien et pour sa gloire. Enfin, le véritable humble n'a pas seulement de très bas sentiments de lui-même, mais il est bien aise que les autres aient les mêmes pensées de lui : ainsi, s'il voit sa misère, il bénit Dieu lorsqu'elle est connue des autres. Davantage, il se réjouit lorsqu'on lui impose des maux qu'il n'a pas faits, à l'exemple de son divin Maître, qui étant l'innocence-même, non-seulement a passé pour criminel, mais a été condamné et jugé à la mort ignominieuse de la croix ; et à l'exemple de sa bonne maîtresse, qui étant la plus pure créature qui fut jamais, n'a pas laissé de subir la loi de la purification, qui était ordonnée aux femmes dans l'ancienne Loi.

mercredi 24 mars 2010

L'Archiconfrérie pour la Vie

25 mars : Journée mondiale de la Vie


S.S. Benoît XVI, aujourd´hui à l´Audience générale.
"Le mystère de l'Incarnation révèle tout particulièrement la dignité de la vie humaine. Dieu nous en a fait don et l'a sanctifiée lorsque le Fils s'est fait chair en Marie. Ce don doit être protégé de sa conception à la mort naturelle. Je m'unis de tout coeur à tous ceux qui animent des initiatives en faveur du respect de la vie et d'une nouvelle sensibilité sociale".

Constitution pastorale Gaudium et Spes du concile Vatican II (1965):
"… tout ce qui s'oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d'homicide, le génocide, l'avortement, l'euthanasie et même le suicide délibéré … toutes ces pratiques et d'autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s'y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l'honneur du Créateur." (27, 3)
"Dieu, maître de la vie, a confié aux hommes le noble ministère de la vie, et l'homme doit s'en acquitter d'une manière digne de lui. La vie doit donc être sauvegardée avec un soin extrême dès la conception : l'avortement et l'infanticide sont des crimes abominables." (51, 3)

Après la Messe de S. Gabriel, dite pour tous les membres vivants & défunts de l'Archiconfrérie du Très-Saint-Sacrement de l'Autel et des saints Anges, a eu lieu au nom de ladite confrérie une Adoration eucharistique pour la reconnaissance du caractère sacré de la dignité de toute personne humaine, et en réparation pour le crime de l'avortement.
La Messe de l'Annonciation, jeudi 25 mars, sera dite à l'intention de tous les martyrs du nouveau Massacre des Innocents, ainsi que pour la conversion de tous ses acteurs.

Angelus Domini nuntiavit Mariæ…

Fête de S. Gabriel Archange
En cette Fête de l’Archiconfrérie des saints Anges, nous nous rappelons ce que notre Fondateur, M. Boudon, disait de ce Prince céleste qu’est saint Gabriel, en sa Dévotion aux neuf chœurs des saints Anges (2nd traité, 4e pratique).

Saint Gabriel est aussi l'un des premiers séraphins ; et quand on l'appelle archange, comme l'on fait aussi saint Michel, il faut savoir que ce n'est pas que l'on entende qu'il soit simplement du huitième chœur des archanges ; mais ce nom d'archange est commun à ceux qui sont les plus considérables entre les princes du ciel, de même que l'est le nom d'ange à tous ces esprits bienheureux, de quelque ordre qu'ils soient, aussi bien aux séraphins qu'aux anges du neuvième et dernier chœur. C'est saint Gabriel qui a été choisi de Dieu pour traiter du mystère de l'Incarnation ; et ceux qui donnent à la reine du ciel un ange gardien estiment que ç'a été ce glorieux prince qui en a eu soin. Et même dans l'opinion de ces savants, qui pensent que la Mère de Dieu n'avait pas d'ange gardien, mais des troupes d'anges servants, c'est saint Gabriel qui était l'un des premiers de ces troupes bienheureuses à servir celle à qui un Dieu n'a pas fait de difficulté de s'assujettir.

Et voici ce que le vénérable Boudon dit de l'auguste Marie, que nous invoquons en ce Temps liturgique comme "Reine des Cieux et Souveraine des Anges" (Ave Regina coelorum, Ave Domina Angelorum), et qui dans quelques heures va concevoir en son sein le Verbe de Dieu.
1er traité, 11e motif : La gloire de la très sainte Vierge

Ce n'est pas un motif peu puissant à un cœur qui aime comme il faut la très sainte Mère de Dieu, que la vue de sa gloire. Nous lisons en des auteurs irréprochables, qu'il s'est trouvé même des pécheurs, et des pécheurs bien criminels, qui dans leur état déplorable ne laissaient pas d'en être si touchés qu'ils protestaient qu'ils auraient bien voulu donner leur vie pour la gloire de cette reine des bontés et des douceurs du paradis ; et ces désirs ont été suivis de tant de bénédictions, qu'enfin ils ont obtenu par les soins de la mère de miséricorde une mort chrétienne, par une entière conversion et un changement notable de leur vie. Si des âmes rebelles aux ordres de Dieu sont capables d'être touchées de l'honneur de l'auguste Reine du ciel, à plus forte raison des âmes pures et innocentes, et qui, d'autre part, lui ont une dévotion spéciale, se laisseront aller facilement au zèle d'un honneur si saint, et qui mérite d'être rendu avec tant de justice à celle que nous ne pourrons jamais assez dignement honorer.

Les anges, selon le témoignage de sainte Brigitte, dès le commencement du monde, conçurent un zèle si pur des intérêts de cette reine du paradis, qu'ils eurent plus de joie de ce qu'elle devait être que de ce qu'ils avaient été créés. Combien de personnes dans la suite des temps, à l'imitation de ces bienheureux esprits et par leurs puissants secours, ont préféré les intérêts de la Mère de Dieu à leurs propres intérêts, son honneur à leur honneur, son être à leur être ? J'en ai connu qui voudraient avoir un million de vies pour les sacrifier à Dieu pour la gloire de cette incomparable Vierge ; qui seraient contents de rester jusqu'au jour du jugement dans les feux épouvantables du purgatoire, s'il y allait de la moindre chose de son honneur ; qui voudraient de tout leur cœur être un million de fois anéantis, si Dieu en était plus glorifié. En vérité, un bon cœur ne dit jamais : C'est assez, quand il s'agit de la très pure Vierge, pourvu que l'on demeure dans l'ordre de Dieu. Hélas ! On voudrait tout quitter, tout faire, tout souffrir pour son amour, et après tout l'on voit bien que ce serait encore bien peu pour celle qui a mérité d'être Mère d'un Dieu. Ces vérités m'ôtent tout lieu de douter que le motif de sa gloire ne soit pas l'un des plus puissants dont l'on se puisse servir pour établir plus fortement l'amour et la dévotion des saints anges. C'est ici, ô âmes qui avez de la dévotion pour la glorieuse Vierge, que je vous invite à celle des saints anges. Il y va de sa gloire : c'est tout vous dire, si vous l'aimez en vérité.

La divine Marie est la générale des armées de Dieu, et les anges en sont les troupes glorieuses ; ce sont donc les soldats de celle qui seule paraît terrible comme une armée tout entière rangée en bataille ; et ils ont fortement combattu pour sa gloire dès la création du monde, s'opposant à Lucifer et aux anges apostats qui n'ont pas voulu se soumettre à son empire, Dieu leur ayant révélé qu'elle devait être quelque jour leur souveraine. Elle est l'auguste et triomphante reine du paradis ; les anges sont les fidèles et généreux sujets qui l'ont honorée, comme nous venons de le dire, auparavant qu'elle fût, et qui tiennent à grande gloire d'être assujettis aux lois de son royaume. Elle est dame* des anges, et souvent elle est invoquée sous cette qualité de Notre-Dame des Anges** ; ils sont donc ses serviteurs, mais des serviteurs si zélés, qu'ils ne font qu'attendre la manifestation de ses volontés, pour les exécuter au moindre signe, avec une promptitude inénarrable. Elle est même leur amie ; c'est pourquoi dans les Cantiques (VIII, 13) le divin époux la prie de parler et de faire entendre sa voix, parce que, dit-il, les amis écoutent. Or, ces amis sont les saints anges. L'on peut dire de plus, qu'elle est leur mère en quelque manière, et c'est le sentiment de plusieurs graves théologiens.
Tous ces titres font assez voir qu'il y va de la gloire de cette reine, de cette générale, d'une si glorieuse et si puissante dame, que ses sujets, ses soldats, ses serviteurs soient considérés. L'amour qu'elle a pour eux, les traitant comme ses fidèles amis, et même comme ses enfants, demande par toutes sortes de raisons que nous aimions ce qu'elle aime, que nous ayons de profonds respects pour ceux qu'elle désire d'être honorés. Louons donc et bénissons les saints anges, parce que la très pure Vierge, l'auguste reine et dame des anges en est louée et bénie : mais louons et bénissons le Seigneur, qui a fait tout ce qu'il y a de grand et de louable, et en la dame des anges et dans les saints anges ; et c'est Dieu seul, Dieu seul, Dieu seul.
* Nous avons peine à comprendre aujourd'hui ce que signifiait vraiment cette expression, si chère à saint Bernard : il nous faudrait le bel esprit médiéval pour la bien entendre. La dame est l'épouse du seigneur, pour laquelle le chevalier est prêt à tout donner. Le latin rend bien cela : domina (dame) est bien le féminin de dominus (seigneur).
** Rappelons que la fête de Notre-Dame-des-Anges est la fête patronale de l'Archiconfrérie des saints Anges. Elle se célèbre le 2 août.

Saint Gabriel Archange, priez pour nous !

lundi 22 mars 2010

Temps de la Passion

CHAPITRE V : Que le bonheur du Chrétien consiste à souffrir en ce monde - Réponse à quelques difficultés que l'on objecte sur ce sujet
Suite des Saintes Voies de la Croix.

Si la voie de la croix est nécessaire au salut, quel plus grand bonheur que d'y être ! Et au contraire, y a-t-il malheur comparable à celui de n'y pas être ? Mais si c'est le grand chemin royal, comme il a été montré, n'est-ce pas un grand bonheur que d'y marcher en assurance ? C'est pourquoi, comme nous le dirons, la croix est la véritable marque de la prédestination ; et de vrai, les membres sont sauvés par la conformité qu'ils ont avec leur chef. Disons de plus, n'est-ce pas un bien tout extraordinaire de se voir dans la souffrance, puisque dans le sentiment des saints, il n'y a pas de gloire comparable à celle des croix ? La voie de la croix est le grand et véritable moyen qui, dans la séparation qu'il porte à des créatures, nous unit à Dieu, et n’est-ce pas dans cette union que se trouve le bien des biens, et le souverain bien ? Ô mon âme, quel bonheur que celui des souffrances ! Elles sont, disait une sainte âme, nos pères et nos mères, qui nous ont engendrés sur le Calvaire. Ceux qui ne les reçoivent pas ressemblent à ceux qui chassent leur père et mère de la maison. Sainte Thérèse assure que c'est une rêverie de penser que Notre-Seigneur reçoive qui que ce soit en son amitié, sans le mettre à l'épreuve par des peines ; et son grand directeur, le vénérable père Balthazar Alvarez, parlant sur ce sujet, disait : « Si le supérieur d'une maison était le premier à l'oraison du matin, et aux autres exercices, et que les autres demeurassent au lit, sans doute que cela le fâcherait ; à plus forte raison, Notre-Seigneur, étant ce qu'il est, et se voyant le premier à la croix, ne sera pas content, si on ne veut pas lui tenir compagnie. »
Disons encore que le bonheur des souffrances est extrême ; puisque celui qui a la croix a tout. Elle purifie, et satisfait ; elle délivre, et sauve ; elle embellit, et orne ; elle enrichit, et ennoblit. Elle est utile aux bons et aux vicieux, parce qu'elle fait avancer à la vertu les uns, et qu'elle purifie les autres de leurs fautes, et leur en obtient le pardon. Il faut encore dire, ce que l'on ne peut assez répéter, que ceux qui sont sauvés ne sont sanctifiés que par la même grâce qui est en Jésus ; autrement l'esprit de Jésus serait contraire à lui-même, et tout autre dans le chef que dans les membres. Or, la grâce de Jésus est une grâce qui cloue et qui attache à la croix. L'esprit de la croix est l'esprit de notre esprit ; il est la vie de notre vie. Ceux qui souffrent davantage, dit un serviteur de Dieu, accomplissent plus ce qui manque à la passion du Fils de Dieu, car il lui manque que le fruit en soit appliqué : l'application d'une grâce qui prend sa source dans les souffrances, se fait beaucoup mieux par les croix, que par une autre voie.

Sainte Thérèse assurait que Notre-Seigneur envoyait plus de croix à ceux qu'il aimait plus spécialement ; elle avait appris cette doctrine de la bouche du même Fils de Dieu, qui lui avait dit : mon Père envoie de plus grands travaux à ceux qu’il aime davantage. Il ne faut que savoir ce qui s'est passé dans la religion chrétienne, pour être entièrement persuadé de cette vérité. Jamais personne n'a été plus aimé du Père éternel, que le divin Jésus ; et, jamais personne n'a tant souffert. Après Jésus, la très sainte Vierge surpasse toutes les créatures en grâces, et en même temps elle les surpasse en peines. La mesure donc de notre bonheur se doit prendre de la mesure de nos croix. Heureux celui qui souffre, plus heureux celui qui souffre davantage, très heureux celui qui est accablé de toutes sortes de peines, qui ne vit que de croix, qui y passe toute sa vie à l'imitation de notre bon Sauveur et de sa sainte mère, et enfin qui y expire !

Mais c'est une vérité de foi, que la béatitude de cette vie consiste dans les larmes. Bienheureux ceux qui pleurent (Matth. V, 5) dit la Vérité même. Or, par les larmes, sont entendus tous les sujets d'affliction qui nous peuvent arriver, qui sont capables de toucher et de tirer des larmes : et notre divin Maître voulant en expliquer quelque chose plus en particulier, déclare à ses apôtres, qu'ils seront bienheureux lorsqu'ils seront maudits, et même que l'on en dira faussement toute sorte de mal, lorsqu’ils seront haïs, rebutés, chassés, et que leur réputation sera perdue. C'est pourquoi le Saint-Esprit prononce cet oracle dans les Écritures : Voici que nous béatifions ceux qui ont été dans les souffrances (Jac. V, 11), et il apporte le témoignage des deux Testaments de la loi ancienne et de la nouvelle, par les exemples de Job et de l'adorable Jésus, pour ôter tous les doutes que l'on pourrait se former sur ce sujet. De là vient que le grand Apôtre, instruisant les fidèles leur apprend qu'outre le don de la foi, le don des croix leur a été de plus accordé. Ce qui mérite bien d'être pesé avec beaucoup d'attention, pour en concevoir l'estime que l'on doit en avoir : car enfin, c'est un grand don de Dieu que celui des peines. Aussi la très sainte vierge a révélé à une sainte âme, qui a souffert des peines dont l'on ne trouve point de semblables dans toutes les vies des saints, qu'elle avait employé tout son crédit pour les lui obtenir ; et pour ce sujet elle lui fait faire beaucoup de pèlerinages très pénibles, des jeûnes extraordinaires et quantité d'autres mortifications. On rapporte de la même sainte personne, que, priant Notre-Seigneur pour un pauvre marchand fort tourmenté de soldats qui étaient logés chez lui, ce bon Sauveur lui dit que ce marchand était bien obligé à ses soldats, c'était parce qu'ils servaient d'instrument à la divine Providence pour le faire souffrir. Mais l'esprit humain, poussé d'un secret amour-propre, ne manque pas de raisonnements pour opposer à cette doctrine de la croix. Quel plaisir, dira-t-il, Dieu peut-il prendre dans ces voies de souffrances ? Quel bien en tire-t-il pour les âmes, ou quelle gloire pour son saint nom ? Certainement, Dieu, de soi-même, est toute bonté : son plaisir est d'en faire, et de combler de biens ses chères créatures. Son dessein, quand il a créé l'homme, n'a pas été de lui faire porter des peines, mais de lui faire mener une vie bienheureuse en ce monde et en l'autre. Cela est vrai, à ne regarder que le premier état de choses ; mais l'homme s'étant dépravé et, corrompu par le péché, il s'est de lui-même engagé à la peine qui lui est nécessaire pour le tirer de sa corruption, et le rétablir dans un état de salut. C'est pourquoi Dieu lui envoie des souffrances, comme un bon père qui fait prendre des médecines amères à son enfant malade, qui lui est bien cher ! Hélas, son plaisir serait de ne pas donner cette peine à son enfant : mais supposez sa maladie, il y est obligé ; et c'est son amour qui le presse d'en user de la sorte. Il est aisé de voir ensuite le bien qu'il en arrive aux âmes, et la gloire que Dieu tout bon en tire, puisque le salut éternel s'y opère. Ô quel bonheur ! Ô le bonheur ! Ô le souverain bonheur ! Plusieurs des chapitres de ce petit ouvrage, donneront assez de lumière sur cette vérité.

Cela est difficile à comprendre, dira quelqu'un. Voici ce que le grand prélat répond à cette difficulté au chapitre 16 de la Lutte spirituelle : Ceci vous semblera difficile à croire, dit ce grand homme ; mais si vous vous souvenez que les rameurs en leur assiette, tournent leurs épaules au lieu où ils conduisent leur barque, vous ne trouverez pas étrange que Dieu, par l'eau et le feu de la tribulation, vous fasse tendre au rafraîchissement. Et au chapitre 6 du même livre : Qui ne sait que les arbres, plus battus des vents, jettent de plus profondes racines ; que l'encens ne jette son odeur que quand il est brûlé ; que la vigne ne profite que quand elle est taillée ? Pourquoi tant de fléaux, tant de pauvretés, de pestes, de famines, de guerres, et d'autres misères, si ce n'est pour le bien des élus ? Le Fils de Dieu n'a-t-il pas mis la consommation de notre salut dans la consommation de ses souffrances, et le délaissement même du Père éternel ?

Mais les souffrances, répliquera-t-on, ne sont pas la fin des états spirituels. Il est bien vrai ; mais ce sont les moyens qui y conduisent. Voulez-vous, sous prétexte que ce ne sont que des moyens, ne vous en pas servir ? Rome est le terme qu'un homme se propose dans le dessein qu'il prend d'aller en cette première ville du monde ; tous les villages, bourgs et villes qui y mènent, ne sont que des moyens par où il faut passer : cependant il est nécessaire de passer par ces moyens, autrement on n'y arrivera jamais. Or, pendant que nous sommes en cette vie, nous sommes toujours dans la voie ; nous n'arriverons parfaitement et entièrement à notre fin, qu'après la mort ; et en ce monde il y a toujours à combattre : ce qui ne se fait pas sans peine. De là vient que l'Écriture nous enseigne que la vie de l'homme sur la terre, est un combat ou milice (Job VII, 1) : et le Fils de Dieu donne pour partage, en cette vie présente, les pleurs et les larmes à ses disciples.

On répartira encore que, dès cette vie même, les états les plus crucifiants conduisent à la jouissance de Dieu. J'en demeure d'accord ; mais cette jouissance, comme l'enseigne très bien saint Augustin, n'est pas sur la terre en sa totale perfection : c’est pourquoi elle n'est pas exempte de croix, qui sont données toujours en ce monde, ou pour purifier l'âme de plus en plus, ou pour l'embellir, l'orner et l'enrichir davantage. De quelque côté que vous preniez la chose, vous verrez le besoin des croix, puisqu'il y a toujours à purifier ou à perfectionner de plus en plus. Cela est clair, quant à ce qui touche la perfection dans les peines de la très sainte Vierge. J'avoue qu'il y a de certains états de croix qui ne durent pas toujours, de certaines peines qui ne sont que pour de certains temps, et de certaines dispositions de quelques états intérieurs. Dieu est le maitre, il sait les appliquer, selon sa très grande sagesse, aux uns plus, aux autres moins. J'avoue qu'il y a de certaines âmes qui souffrent, par la divine grâce, avec tant de vigueur qu'elles semblent ne pas souffrir en souffrant. Nous dirons dans la suite de cet ouvrage que les voies des croix sont différentes : cependant ce sont des croix.

mercredi 17 mars 2010

Fête de S. Joseph d'Arimathie

A l'école de ce fidèle entre les fidèles, faisons nôtre l'enseignement évangélique de M. Boudon dans ses Saintes Voies de la Croix, afin d'offrir à Notre-Seigneur avec saint Joseph notre propre tombeau (notre corps) afin qu'Il y repose jusqu'au jour où Il ressuscitera, nous transformant alors en Lui.

CHAPITRE IV
Qu'il faut nécessairement marcher par la voie de la croix

Il n'y a point à hésiter sur ce que la divine parole nous assure ; c'est pourquoi il faut croire la voie de la croix nécessaire, puisqu'elle nous l'apprend. Tant de sentiers qu'il vous plaira, où l'on goûte des plaisirs innocents, s'ils mènent au ciel, les roses qui y croissent auront toujours leurs épines. Que les dures et pesantes croix fassent le grand chemin royal du paradis, il s'en rencontrera toujours de médiocres ou de petites dans toutes les voies qui y peuvent conduire ; car enfin, c'est un oracle prononcé par le Saint-Esprit même : Qu'il nous faut par beaucoup de tribulations entrer dans le royaume de Dieu (Act. XIV, 21). Remarquez que le Saint-Esprit ne nous enseigne pas qu'il est de la bienséance, qu'il est utile, ou qu’il vaut mieux souffrir ; mais il dit très clairement, qu'il le faut. Il faut donc le faire : il n’y a point à délibérer.

De vrai, la qualité de pécheur demande de soi des souffrances ; car Dieu, qui est très juste, ne peut pas laisser le crime impuni : sa justice le châtie, soit en cette vie, soit en l'autre. Mais, comme la béatitude est réservée pour l'autre vie à ses bons serviteurs, il est donc nécessaire que leurs fautes soient châtiées en ce monde ; et d'autre part, à la réserve de la Vierge, toujours immaculée, même dans le premier instant de sa toute sainte conception, tous les hommes ont péché : donc tous les hommes doivent porter des croix.

Mais la qualité de Chrétien ne permet pas que l'on soit exempt des souffrances ; car s'il a fallu que l'adorable Jésus, le chef de tous les fidèles, qui ne font qu'un corps mystique avec lui, ait souffert pour entrer dans la gloire, comme la divine parole nous l'assure, à plus forte raison les membres doivent être affligés. Dans le corps naturel, si la tête fait mal, ou le cœur, tout le reste des membres est dans la peine. L'on n'est point à son aise, quand ces principales parties sont dans la douleur. Mais quelle apparence que le roi n'entre dans son royaume, qui lui appartient de droit, qu'à force de plaies ; et que l'esclave des démons à qui l'enfer est dû, le possède sans qu'il lui en coûte rien ! Retenez bien les paroles de l'Écriture, disait notre bon Sauveur à sainte Thérèse : Le serviteur n'est pas au-dessus du maître (Matth. X, 24). C'est une vérité tout à fait sensible : mais, hélas ! pourquoi n'en faisons-nous pas l'application ? Ou je suis, disait encore notre maitre, mon serviteur y sera (Joan XIV, 3). Il est bien juste : et quel moyen de faire autrement, puisque nous avons encore le très grand honneur, honneur inconcevable, d'être ses membres ? Comment le chef ira-t-il d'un côté, et les membres de l'autre ? Vous voyez bien, vous qui lisez ceci, que cela est impossible, à moins que les membres ne se séparent de leur chef : en ce cas, ce seront des membres sans vie, morts et pourris, qui ne seront plus propres qu'à être jetés dans les feux de l'enfer. Disons ici, faisant réflexion sur cette vérité : Hélas ! À quoi pensons-nous, quand nous pensons à ne pas souffrir ? C’est vouloir l'impossible, et voilà la plus haute folie du monde. Oh ! Que c'est donc avec grande justice que notre maître s'écrie en saint Luc : Celui qui ne porte pas sa croix après moi ne peut pas être mon disciple (Luc. XIV, 27). Pesez bien ces paroles : Ne peut pas être. Il ne dit pas : Il aura de la difficulté à l'être, mais il ne le peut.
Voilà donc le grand sujet de la doctrine de la croix, que Notre-Seigneur prêchait à tous les peuples, Il ne leur découvrait pas tous les mystères du règne de Dieu, et quoiqu'il en donnât la connaissance à ses disciples, comme il le témoigne, il y avait cependant plusieurs choses, comme il assure, qu'il ne leur disait pas, parce qu'ils n'y étaient pas encore disposés. Mais, pour la doctrine de la croix, il la prêchait autrement, sans aucune remise et sans aucun retardement. Ô prudence humaine, que deviens-tu ici ? Ne semblait-il pas qu'il fallait attendre que ce peuple grossier, à qui notre bon Sauveur parlait, fût plus disposé ? Si ce divin maître réservait de certaines choses à dire, même à ses disciples, après la venue du Saint-Esprit, y avait-il rien en apparence qui ne méritât plus qu'une doctrine si sévère, et en ce temps presque inouïe, et à l'égard d'un peuple tout charnel ? D’autant plus que ce peuple, au lieu d'en faire un bon usage, s'en scandalisait, en murmurait jusque-là que quelques-uns voulurent précipiter du haut d’une montagne ce divin Maître qui l'enseignait, et ses proches le voulurent garrotter, disant que c’était un furieux. Pourquoi prêcher une doctrine qui a de telles suites ? Cependant il en parlait tout haut publiquement et à découvert, et il disait à tous : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il porte sa croix (Matth. XVI, 24). Il le disait à tous, à ses disciples et aux peuples les plus grossiers ; et il en parle si généralement qu'il n'y met aucune exception. Si quelqu'un veut venir après moi, c'est-à-dire qui que vous soyez, riche ou pauvre, savant ou ignorant, grand ou petit ; fussiez-vous général d'armée, prince, roi ou empereur ; de quelque qualité et condition que vous puissiez être, de quelque âge, soit jeune on vieux ; de quelque sexe, soit homme ou femme ; de quelque état, soit dans le siècle, soit hors du siècle ; si quelqu'un d'entre vous veut venir après moi, qu'il porte sa croix, il faut se résoudre à la souffrance. C'est pour cela que l'Évangile nous apprend que ses miracles faisant un grand éclat, et remplissant d'étonnement et d'admiration ceux qui les voyaient, il en désoccupait ses disciples, et leur recommandait de mettre bien avant dans leurs cœurs les discours qu'il leur faisait de sa mort et passion, dont il les entretenait dans le temps de ses actions les plus miraculeuses ; pour leur marquer que ce n'étaient pas les consolations qui nous doivent arrêter en cette vie, mais bien les peines et les travaux.

Que dites-vous donc, ô Chrétien, quand vous vous plaignez de vos peines ? Faites-vous bien réflexion à la qualité que vous prenez ? Être Chrétien, et être crucifié, c'est une même chose. Si vous renoncez aux souffrances, il faut renoncer au christianisme. En vérité, encore une fois, savez-vous bien ce que vous faites, quand vous parlez de ne point souffrir ? Est-ce que vous voulez quitter la religion chrétienne, renier votre baptême, et n'être plus des disciples de Jésus-Christ ? Or, si vous voulez en être, attendez-vous à des peines, soit d'esprit, soit de corps ; soit de la part des hommes, dont les contradictions ne manquent pas ; soit de la part de l'enfer, qui vous combattra toujours ; soit de la part de la nature corrompue, de vos inclinations, de vos passions et de vos humeurs. Souvenez-vous bien de ce que l'Église chante, que la croix est notre unique espérance. Il n'y a rien à espérer que par cette voie.

lundi 15 mars 2010

Fête de S. Longin

« Le centurion, qui se tenait en face de lui, s'écria : Vraiment cet homme était fils de Dieu ! » (Mc XV 39).

Suite des Saintes Voies de la Croix de M. Boudon, en cette fête de S. Longin, le soldat qui perça de sa lance le côté de Notre-Seigneur, ouvrant ainsi Son Coeur Très Sacré, et faisant jaillir le Sang et l'eau (Jn XIX 31-37).

Chapitre 3 - La voie de la croix est le grand chemin royal de la bienheureuse éternité

Il y a plusieurs voies, ô mon Dieu ! qui conduisent à votre bienheureuse jouissance ; il y a plusieurs sentiers qui mènent à votre glorieuse éternité. Mais, ô mon Dieu ! vous avez fait un grand chemin qui y conduit, dans la dernière sûreté. Or, mon âme, ce grand chemin n'est autre que la voie de la sainte croix. Cette voie est le grand chemin royal de tous les élus, parce qu'elle mène à la cité du Roi des rois. Elle est le grand chemin royal, parce que c'est par cette voie que marche la grande troupe des saints, la Reine de tous les saints, et le grand Roi du paradis. Elle est le grand chemin royal du salut ; car c'est par elle que les courriers de la bienheureuse éternité portent les douces dépêches de la grâce ; c'est par elle que marchent les grands convois de vivres nécessaires ; c'est par elle que l'on mène toutes les précieuses marchandises du beau paradis. Allons mon âme, jusqu'à l'origine du monde ; descendons ensuite de siècle en siècle jusqu'à nos derniers jours. Considérons avec attention ce qui s'est passé dans la loi de nature, dans la loi écrite, et dans la loi de grâce ; et nous verrons bien clairement que la voie de la croix a toujours été le grand chemin royal des élus.

Si je vois un Abel qui est agréable à Dieu, je vois en même temps un Caïn qui le persécute. Il faut qu'un Abraham soit dans la dernière épreuve par l'ordre qu'on lui donne de sacrifier son fils unique. Job sera réduit sur un fumier, dans un délaissement extrême, méprisé de ses amis, moqué de sa propre femme, et dépouillé de tous ses biens et de ses enfants. Moïse a un Pharaon pour l'exercer. David a un Absalon son enfant. Elie a une Jésabel. Tobie perd la vue, et est dans le danger de perdre la vie. Saint Jean-Baptiste a un Hérode qui le fera mourir. Tous les apôtres et disciples sont des gens de croix. S'il se rencontre même de petits innocents, la faiblesse de leur âge ne les exemptera pas de ce chemin rigoureux. Parce qu'ils appartiennent particulièrement à Dieu, ils seront tous baignés dans leur sang, et il leur en coûtera la vie, qu'ils ne font presque que de recevoir. En un mot, l'Église chante que tous les saints ont bien souffert. Enfin, mon âme, regarde comme le roi de tous les saints celui qui est la voie, la vie et le modèle de toutes les âmes qui seront sauvées, marche à pas de géant, ou pour mieux dire, cours dans cette voie, depuis le premier moment de sa divine conception, jusqu'au dernier moment de sa vie. Considérez comme la très sainte Vierge, sa bénie mère, lui tient compagnie ; saint Jean l'Évangéliste, son cher favori : sainte Madeleine, sa fidèle amante ; et pour le dire en peu de paroles, tous ceux qu'il a le plus favorisés de son amour. Souvenez-vous, comme l'Écriture l'enseigne (Apoc. VII, 14), que ceux qui ont été agréables à Dieu, ont passé par beaucoup de tribulations, qu'ils ont été faits ses amis par ses épreuves.

Grande sûreté donc pour tous ceux qui vont par ce chemin, puisque c'est le grand chemin royal du salut : celui qui y marche, est bien en assurance. Ô âme, qui que tu sois, pourquoi t'affliges-tu dans cette voie de la croix ? Il me semble que j'entends tous les bienheureux, qui savent si bien les routes certaines de la glorieuse éternité, te crier : Ne craignez point, vous êtes bien, vous allez bien, vous tenez le grand chemin royal du ciel. Les voleurs et les homicides n'y sont pas à craindre, car ils fuient devant la croix, avec plus de frayeur et de vitesse, que les hommes ne font devant les canons de la terre et les foudres du ciel.


Il n'en est pas de même dans les voies des consolations temporelles et spirituelles ; nos ennemis invisibles s'y mêlent facilement, s'y cachent, et y sont à couvert ; la chair s'y fortifie, la nature y prend sa vie, l'amour-propre s'y nourrit, l'esprit du monde s'y introduit.


Ces routes de goût même spirituelles, sont bien dangereuses ; car l'on y prend facilement le change. Quoiqu'on y puisse aller à Dieu, et qu'on y aille, on est souvent tout surpris de voir que, sans y penser, on se trouve dans le chemin de la nature, au lieu de la voie de la grâce. Les douceurs sensibles provenant de la grâce, les consolations qui arrivent par les satisfactions que l'on a en cette vie, et qui sont innocentes, sont de petits chemins écartés qui peuvent mener au ciel, mais ces petits sentiers vont à travers les terres ; de temps en temps on a de la peine à les découvrir, quelquefois ils manquent, et on ne sait où l'on en est. On se trouve toujours embarrassé par mille détours qu'ils obligent de faire. Il faut souvent frapper aux portes, et crier pour demander le chemin, et pour savoir si l'on n'est pas égaré ; sans cesse il faut avoir de l'attention, autrement on s'égare. Mais dans le grand chemin royal de la croix, il ne faut que marcher, il n'y a qu'à suivre ; un aveugle le tiendrait sans s'égarer, y allant au bruit de ceux qui y marchent. C'est une chose inutile que d'y demander des adresses : il n'y a personne de ceux qui en sont instruits qui ne réponde : Vous n'avez que faire de vous mettre en peine, il n'y a qu'à aller tout droit ; vous ne sauriez jamais manquer, à moins que de plein gré vous ne vouliez quitter ce grand chemin de la croix, pour prendre des sentiers de goûts et de consolations.


Au reste il ne faut pas se troubler, si cette voie paraît fâcheuse à la vue ; il est vrai qu'il y a quantité d'eau à passer, mais le fond en est bon, l'on y marche à pied ferme, il n'y a rien à craindre. Celui qui voudrait s'en détourner pour aller plus à l'aise parmi les prairies couvertes de fleurs où tout est riant, n'irait pas loin sans trouver des fossés qu'il ne pourrait franchir, ou sans enfoncer tout à coup bien avant dans les terres molles, dont il ne se tirerait pas sans grande difficulté. Le plus assuré est de tenir le grand chemin frayé par tous les saints du paradis. Il n'y a point de péril à aller par la voie du Fils de Dieu et de sa très sainte Mère. Ô mon Sauveur, je vois vos vestiges empreints dans ce chemin, j'y remarque très clairement vos traces ; tirez-nous après vous, et ne permettez jamais que nous nous égarions dans les voies du siècle. Nous vous demandons cette grâce et miséricorde par votre amour et charité excessive, et par le cœur très aimant de votre aimable Mère, par tous vos anges et vos saints. Oh ! Que l'aveuglement du monde, qui ne recherche que des voies aisées, est à déplorer ! Mais que le bonheur est grand de ceux qui portent leur croix à la suite d'un Dieu incarné et de sa virginale Mère.

jeudi 11 mars 2010

Mi-Carême

Suite des Saintes Voies de la Croix (1671) du vénérable Boudon.


CHAPITRE II - S’il est à propos d’écrire des voies de la croix


On ne demande pas ici s'il est à propos de parler ou d'écrire en général des voies de la croix, puisqu'il suffit d'être chrétien pour ne pas ignorer que non seulement il est à propos, mais encore qu'il est nécessaire de parler, de penser et de repenser à des voies par lesquelles tous les disciples du Fils de Dieu doivent marcher indispensablement. La difficulté est de savoir s'il est bon de traiter en particulier de certaines voies intérieures crucifiantes, à raison des suites qui en peuvent arriver. Il y a des personnes qui disent qu'on ne doit pas écrire de ces peines, parce que les faibles se les impriment facilement dans l’imagination, par la lecture qu'ils en font ; qu’ils s'en forment des états imaginaires, et se persuadent être dans des sentiers fort élevés ; et que les autres s'en choquent et les méprisent. Cependant la pratique des docteurs et des maîtres de la vie spirituelle est toute contraire au sentiment de ces personnes. Les livres qu'ils ont donnés au public ne laissent aucun lieu de douter de cette vérité. S'il fallait les citer en particulier, il faudrait citer presque tous les grands personnages qui ont écrit des voies mystiques. Nous nous contenterons de rapporter ce que saint Bonaventure en a écrit. Ce saint docteur (De process. relig., cap, 4, 5), écrivant des voies intérieures crucifiantes, dit que, premièrement il arrive une soustraction de dévotion, ensuite un ennui de prier, d'entendre de bonnes choses, d'en parler ou d'en faire, et d'assister aux choses divines. De plus, l'on est tenté d'impatience contre Dieu ; on va jusqu'à se demander pourquoi il est si dur et cette tentation est si violente, que l'homme est presque hors de soi-même. Enfin, dit-il, les plus âpres tentations sont d'hésiter en la foi catholique, de désespérer de la miséricorde de Dieu, de blasphémer, contre lui et ses saints, de vivre dans une certaine perplexité d'une conscience craintive et plaintive, et enfin de n'admettre point de conseil salutaire. Jusqu'ici sont les paroles de ce saint docteur. Je ne dis rien de saint Jérôme et de saint Bernard, qui ont cru glorifier Dieu en laissant à la postérité la connaissance des tentations qu'ils ont portées contre la pureté, et dont ils ont spécifié plusieurs circonstances particulières. Je ne parle point du grand Apôtre, qui a voulu que toute l'Église sût ses peines sur le même sujet. Il n'a pu manquer de conduite en les laissant par écrit, puisque le Saint-Esprit le conduisait en écrivant de la sorte. On ne peut pas blâmer avec justice les Pères de l'Église qui ont traité des peines intérieures, puisque la lumière, la prudence, la charité et l'expérience ne leur ont pas manqué. Les saintes femmes mêmes, et les bienheureuses vierges, qui ont donné des écrits an public, ont traité de ces voies de souffrances ; comme, entre plusieurs, sainte Catherine de Gênes, la bienheureuse Angèle de Foligny, dont les peines extrêmes donnent de grands sentiments de compassion, selon le jugement qu'en fait saint François de Sales. Mais sainte Thérèse, en plusieurs lieux de ses livres, n'a-t-elle pas parlé des peines intérieures ? Le lecteur en pourra voir des témoignages bien forts, que nous rapporterons en plusieurs endroits de ce petit ouvrage. Les auteurs des Vies des saints n'ont pas fait des difficultés de rapporter leurs sentiments et leurs souffrances. Il ne faut que lire les Vies de ces âmes éminentes en sainteté, tant de celles qui ont vécu dans les premiers temps de l'Église et dans la continuation des siècles, que de celles qui ont paru dans les derniers temps. Ne lisons-nous pas qu'un saint Benoît s'est jeté dans les épines, par la violence d'une tentation contre la pureté ; un saint François dans la neige, pressé par la même peine ? Un saint Pierre Célestin s'est trouvé réduit en de grandes angoisses, au sujet de la même tentation. Il y en a eu qui en ont été affligés toute leur vie. L'histoire de saint François de Sales marque ses peines au sujet de son salut ; celle de la vénérable mère de Chantal en fait voir d’extrêmes, qu'elle a portées durant tout le cours de sa vie. L'histoire de saint Ignace nous apprend les tourments que les scrupules lui ont donnés, jusque-là que ce grand saint fut tenté du désespoir. La Vie de la bienheureuse Madeleine de Pazzi montre des croix intérieures qui sont terribles. Enfin, les livres des Pères de la vie spirituelle, et les histoires des saints, sont remplies de voies de souffrances.

S'il n'était donc pas à propos d'en écrire, il faudrait condamner les Pères de l'Église, supprimer les livres des docteurs mystiques, et nous ôter l'histoire des Vies des Saints. Mais, dit-on, plusieurs en abusent. Je réponds que les directeurs doivent veiller à ne pas permettre la lecture des livres qui ne sont pas utiles aux âmes qu'ils conduisent, et qu'un chacun doit prendre garde à ne pas se servir de ce qui ne l'aide pas, ou lui sert d'empêchement dans le chemin de la perfection ; et qu'ainsi il faut faire un choix des livres qui nous sont propres, ne se servant pas indifféremment de toutes sortes de livres spirituels. Mais s'il arrive que quelques-uns n'en fassent pas un bon usage, il ne faut pas, pour l'abus que l'on fait des choses, les condamner ; autrement il faudrait blâmer l'Écriture sainte, dont tant d'hérétiques ont abusé, les livres des pères de l’Église, enfin tout ce qu'il y a de plus saint dans la religion.

Mais pourquoi écrire de ces matières ! Les saints docteurs l'ayant fait, cela suffit pour persuader un esprit raisonnable qu'il est utile et nécessaire d'en écrire et d'en parler. Mais nous pouvons encore dire qu'il est nécessaire d’en traiter pour le besoin de quantité d'âmes qui marchent par ces voies de souffrances, et qui, demeurant dans les petites villes ou dans les villages de la campagne, sont dépourvues de personnes qui leur puissent donner des lumières sur ces états. Il faudrait avoir passé par ces voies de peines pour savoir dans quelles angoisses la pauvre âme qui les souffre est réduite. Mais, avec toutes ces peines extrêmes, que deviendra-t-elle, ne sachant que faire, et souvent étant tentée de désespoir, et s'imaginant déjà être damnée ; et qui pis est, trouvant quelquefois des confesseurs peu éclairés, qui prendront ses tentations pour des péchés, et ne lui serviront qu'à se perdre d'une manière incroyable à ceux qui n'ont pas d'expérience de ces sortes de tourments et de souffrances ! Si on considère bien la qualité de ces peines, qui surpassent tout ce que l'on peut souffrir au dehors, et les suites qui vont jusqu'à l'éternité, et la grande privation de secours, qui est assez ordinaire à ceux qui sont dans ces tristes situations, on demeurera d'accord qu'il y a une nécessité extrême de donner quelque assistance à ces personnes. Un pauvre, qui mourrait de faim, serait dans un état où il y aurait la dernière obligation de le secourir. Mais cet état dont nous parlons, emporte quelque chose de bien plus pressant. Il ne s'agit pas de la vie d'un corps, qu'il faut tôt ou tard perdre ; il est question du salut d'une âme, qui est d'une conséquence infinie. Or l'éclaircissement que l'on donne, par les livres qui traitent des croix intérieures aux personnes qui les portent, les instruit de la bonté de ces états, de l'amour et douceur de la divine Providence qui les envoie, quoiqu'elle paraisse très rigoureuse, leur apprend comment il faut s'y comporter, les fortifie et les encourage ; les soutient au milieu de leurs abattements et des tentations de découragement et de désespoir, et leur fait faire usage de leurs épreuves, ou des châtiments que l'amour et la justice divine exercent sur elles. Plusieurs confesseurs et directeurs, qui ne sont pas assez expérimentés dans ces sentiers, reçoivent beaucoup de lumières par la lecture de ces traités ; et enfin, l'adorable Jésus en est beaucoup glorifié dans ses membres, qui ne lui sont jamais plus unis que lorsqu'ils lui sont plus conformes dans ses croix. La charité donc de Jésus-Christ nous presse de donner ce petit ouvrage pour l'établissement de sa gloire et de celle de sa très sainte Mère, dans les âmes crucifiées. Le peu d'expérience que j'ai me fait voir très clairement que ces âmes sont entièrement dignes de compassion, et que parmi les personnes qui souffrent ce sont elles qui sont les plus affligées. Que ceux qui ne font pas état de leurs croix me pardonnent ; mais je ne puis douter que ce sont des croix terribles. Qu'ils pardonnent à quelque peu de zèle qu'il plaît à Notre-Seigneur et à la sainte Vierge de me donner pour leur assistance. Quand on est un peu pénétré de la longueur de l'éternité, des tourments de l'enfer, du bonheur du paradis, et surtout de la charité excessive, répétons-le, de la charité excessive d'un Dieu-Homme, mourant sur un gibet, au milieu d'une immensité de douleurs, que l'esprit humain ne peut comprendre, pour l'assistance des âmes, on ne passe pas si légèrement sur leurs besoins ; mais qu'y a-t-il qu'on ne doive faire ? Ô cœur adorable de Jésus, ouvrez-vous ; ô fournaise d'amour, paraissez à vos créatures ; ô charité ineffable, ô miséricorde excessive, faites-vous connaître. C'est à vous, c'est pour vous que j'écris cet ouvrage ; bénissez-le, et en tirez votre gloire et celle de la divine Marie.