2e sermon pour la fête de Saint Michel, sur
ces paroles : « Si quelqu'un est un sujet
de scandale pour l'un de ces petits qui croient en moi » (Matt. XVIII, 6)
1.
Mes frères, vous avez entendu en quels termes terribles l'Évangile tonne contre
ceux qui scandalisent les faibles. La
Vérité ne flatte personne, ne trompe personne, elle dit ouvertement : « Malheur à celui par qui le scandale arrive
(Matt. XVIII, 7); il vaudrait mieux pour
lui qu'il ne fût pas né (Matt. XXVI, 24); » sans doute il veut dire né une
seconde fois, né à la vie, né au Saint-Esprit, pour être ensuite absorbé par la
chair. Il vaudrait mieux pour lui, s'il en est un qui se trouve dans ce cas,
qui suscite des scandales dans cette maison, dans cette communauté sainte, agréable à Dieu et aux anges, qui est
heureuse et qui s'aime, qu'une meule, comme celle que les aines font
mouvoir, soit attachée à son cou, qu'il échangent le joug si doux et le fardeau
si léger du Sauveur, contre le poids accablant, pour ses épaules, des cupidités
terrestres, et qu'il soit précipité de nos mains au fond de cette mer grande et
spacieuse qui n’est autre que ce siècle pervers, car il serait moins funeste
pour lui de périr dans le inonde que dans le monastère. Or, quiconque n'a point la charité ne peut que
périr, quand même il aurait le courage de livrer son corps aux flammes (I
Cor. XIII, 3). Si je m'exprime ainsi, mes frères, ce n'est pas que je n'ai
point bonne opinion de vous, ou que je vois ce vice détestable régner parmi
vous, mais c'est afin que vous soyez plus attentifs encore à persévérer et à
croître dans cette charité, dans cette union et cette, paix où vous vous
trouvez maintenant dans le Seigneur. Quelle est notre espérance, quelle est
notre joie et notre couronne de gloire? N'est-ce point votre union, l'unanimité
de vos sentiments, où je suis heureux de vous trouver remplis d'amour pour vos
frères, et de vous voir appliquer, avant terri, à. conserver, les mis pour les
autres, les dispositions d'une charité réciproque, qui fait le vrai bien de la
perfection ? C'est en cela que tout le
monde reconnaît, avec les saints anges eux-mêmes, que vous êtes les disciples
du Christ, puisque vous vous aimez les uns les autres.
2.
Si vous n'avez point oublié les trois causes que les anges ont de nous aimer et
de prendre soin de nous, dont je vous ai entretenus dans ma précédente
instruction, vous pouvez concevoir aisément tous les avantages qu'on recueille
de la charité fraternelle; car il est bien facile de voir qu'aucune de ces
causes ne favorise quiconque n'aime pas son prochain. En effet, quel motif les anges auront-ils de nous
aimer pour Notre Seigneur Jésus-Christ, s'ils voient, le peu d'amour que nous
avons les uns pour les autres, qu'il s'en faut bien que nous soyons ses
disciples? Serons-nous aimés d'eux à cause de nous, c'est-à-dire à cause de la
ressemblance de notre nature avec leur nature spirituelle, s'ils voient que nous n'aimons pas nous-mêmes ceux qui sont de la même
nature que nous, que dis-je? s'il est évident pour eux, aux divisions qui
subsistant entre nous, que bien loin d'être spirituels, nous ne sommes que
charnels? Enfin, nous aimeront-ils pour eux, et dans l'espoir qu'un jour nous
servirons à réparer les brèches de leur cité sainte, s'ils voient, ce qu'à Dieu
ne plaise, que le ciment de la charité, qui peut seul nous unir et nous faire
faire corps avec eux, nous manque? Comment
pourront-ils espérer de voir les murs éternels de leur cité réédifiés avec nous
pour pierres, s'ils savent, s'ils voient que nous ne sommes point des pierres
vivantes qui puissent s'attacher les unes aux autres, mais plutôt que nous
sommes comme des grains de sable que le vent enlève de la face de la terre,
qu'un mot soulève comme un tourbillon, et que le souffle du plus léger soupçon
emporte? Mais en voilà assez sur ces mots du Seigneur : «Si, quelqu'un scandalise un de ces petits (Matt. XVIII, 6).» Je
suis convaincu que, désormais, vous, vous garderez de cette peste redoutable
avec tous les soins possibles.
3.
Mais, après cela, qui pourrait entendre, sans émotion, l'Évangile continuer: «Si votre œil vous scandalise arrachez-le?
(Matt. XVIII, 6)» Est-ce qu'il nous est ordonné de nous, arracher cet œil corporel,
de nous couper cette main ou ce pied matériels? Loin de nous, mes frères, une
pensée aussi ridicule, un sens aussi charnel. En effet, après nous avoir mis en
garde contre les scandales extérieurs, en termes assez durs, comme vous avez pu
l'entendre, le Seigneur nous dit la conduite que nous devons avoir par rapport
au scandale que nous souffrons au dedans de nous, dans celle loi de révolte que
nous trouvons dans nos membres. Il connaît en effet, le limon dont il nous a
formés, et sait bien qu'il ne nous est pas aussi facile d'éviter ce scandale.
Or, une expérience quotidienne nous a appris que cette sorte de scandale peut
se produire de trois manières. Il arrive quelquefois que l'œil intérieur de
notre intention est simple et pur et serait mieux appelé, dans ce cas, l'œil de
la grâce que notre œil à nous; mais c'est le nôtre, à proprement parler, qui
nous scandalise, quand notre volonté nous suggère une intention moins pure
qu'elle ne devrait; c'est de cet œil-là que le Seigneur nous donne le conseil «de l'arracher et de le jeter loin de nous
(Ibidem, 9).» C'est ce qu'on fait en ne consentant point, en rejetant cette
intention, en y résistant. C'est de la même manière qu'il faut entendre ce
qui est dit de la main et du pied; car lorsque nous sommes appliqués à de
bonnes œuvres et que notre volonté propre s'efforce de nous attirer à d'autres œuvres,
c'est proprement notre main qui nous scandalise, il faut la couper, la rejeter
loin de nous, ne point lui céder.
4.
De même, quand nous désirons faire des
progrès dans la sainteté, gravir les échelons de l'échelle qui apparut à
Jacob, et, suivant le mot du Psalmiste, avancer de vertu en vertu (Psal.
LXXXVIII, 8), souvent nous sommes scandalisés par notre pied, je veux dire par
le pied de notre mollesse et de notre négligence, qui tend de préférence à
reculer plutôt, et à descendre. Il faut le couper, afin que le pied de la
grâce, qui demeure ferme dans le droit chemin, puisse courir sans obstacle,
sans scandale, sans pierre d'achoppement. Pour ce qui est de ce que le Seigneur
ajoute en disant: «Mieux vaut pour vous
que vous entriez dans la vie n'ayant qu'un œil, qu'une main, qu'un pied, que
d'en avoir deux et d'être précipités dans le feu de l'enfer (Matt. XVIII,
9)», cela s'adresse à ceux qui suivent indistinctement leur volonté, bonne ou
mauvaise, et s'engagent dans deux voies en même temps, suivent tantôt la bonne,
tantôt la mauvaise, selon les désirs changeants de leur cœur. Il vaudrait
certainement mieux pour eut s'attacher en toutes choses à la grâce, et toutes
les fois qu'ils rencontrent leur volonté propre, la couper et la rejeter loin
d'eux. Mais après avoir passé bien du temps pour arriver à vaincre enfin notre
volonté propre, et à la couper en suite comme un membre, il faut que notre âme apprenne non-seulement à ne point se laisser
aller à l'orgueil, mais encore à demeurer soumise à Dieu, loin de tout
scandale, et de toute contradiction. Alors il ne sera plus nécessaire de
nous arracher un œil, car, en s'attachant à l'œil simple, il est devenu simple
et pur lui-même; bien glus, au lieu d'être un œil différent, il ne forme plus
qu'un seul et même œil avec le simple, selon ces paroles de l'Apôtre: «Quiconque s'attache au Seigneur ne fait plus
qu'un seul et même esprit avec lui (I Cor. VI, 17).» Ce que j'ai dit de l'œil,
je le dis de la main et du pied de la même manière. Quiconque a une volonté si bien unie d’affection et de désir avec la
grâce, qu'il ne désire plus faire rien de mal, ni même rien de moins bon, ou
moins bien que la grâce ne le lui inspire, est un homme parfait. Mais cette
paix est le propre de la félicité; le retranchement des scandales, la victoire
des tentations, est le propre de la force; l'une est le partage de la gloire,
l'autre, le lot de la vertu.
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