mardi 1 novembre 2011

1er mardi du mois - Solennité de Tous les Saints


Deuxième Sermon de saint Bernard pour la fête de la Toussaint

« L’état des saints avant la résurrection »


     1. Puisque nous faisons aujourd'hui, la fête de tous les saints, et que nous célébrons leur mémoire qui est un très-digne objet de toute notre dévotion, je pense qu'il n'est pas sans intérêt, que je prenne pour sujet du sermon que je me propose de faire à votre charité, avec l'aide du Saint-Esprit, la félicité dont ils jouissent ensemble maintenant, et dont ils attendent la consommation. Je le ferai de manière à ne pas vous donner les conjectures de mon esprit, et mes propres opinions sur te point, mais en m'appuyant sur l'autorité des Livres saints, en sorte que je ne serai pas comme ces prophètes, qui ne prophétisaient que de leur propre fonds, et ne citerai que les témoignages de la sainte Écriture. (…)

 C'est une vérité digne de tout accueil de votre part, que nous devons marcher sur les traces de ceux que nous honorons d'un culte solennel, que nous devons courir avec avidité vers le bonheur de ceux que nous appelons bienheureux, et que nous ne saurions trop réclamer l'appui de ceux dont nous nous plaisons à chanter les louanges. Evidemment ce n'est point une solennité stérile que le fête des saints, si elle chasse loin de nous la langueur, la tiédeur et l'erreur, si leur intercession apporte quelque aide à notre faiblesse, si notre indolence est secouée par la vue de leur félicité, si enfin notre ignorance est dissipée par leurs exemples. Aussi, comme je ne doute pas que la lecture de l'Évangile de ce jour, et le sermon du Seigneur, ne vous aient parfaitement appris à suivre les exemples des saints, en dressant, devant vos yeux l'échelle, dont le chœur entier des saints que nous fêtons aujourd'hui a gravi les échelons, et que je ne puis ignorer que vous avez passé une grande partie de la nuit et du jour à réclamer leurs suffrages avec de grand sentiments de dévotion et de piété, je me propose de vous entretenir un instant de leur félicité, et de vous dire ce que m'inspirera celui qui les fait grands et glorieux, après avoir commencé par les appeler à lui, et par les justifier.

 (…)     6. Combien grande est leur félicité, combien immense leur joie ! Ils tressaillent du triple bonheur et de la triple allégresse du souvenir de leur vertu passée, de la vue de leur présent reposant et de la certitude qu'ils verront un jour leurs félicités consommées. Pour ce qui est de la consommation de leur félicité, nous avons entendu ce qu'ils en disaient eux-mêmes, à la fin du psaume que je vous ai cité. En effet, chacune des âmes à qui il a été donné d'entrer dans ce repos disent : « Seigneur, je dormirai et me reposerai dans la paix, parce que vous m'avez affermi d'une manière unique dans l'espérance (Psal. IV, 9 et 10). » D'une manière unique, dis-je, dans l'espérance, non pas entre la crainte et l'espérance où jadis je me suis vue si violemment agitée, avec des soucis et des appréhensions extrêmes. Quant au présent repos que goûtent les saints, nous lisons dans un autre psaume : « Mon âme, rentre dans ton repos, puisque le Seigneur m'a comblée de biens (Psal. CXIV, 7). » Oui, de biens, sinon de tous les biens. En effet, écoutez s'il ne l'a vraiment pas comblée de biens : « Il a délivré mon âme, dit il, de la mort, mes yeux des larmes, et mes pieds de la chute », c'est-à-dire de tout péché, de la peine du péché, de la crainte et du danger de retomber jamais dans le péché. Telle est la couche moelleuse de l'âme qu'elle n'arrosera et ne lavera plus de ses larmes, puisque Dieu en a tari la source dans ses yeux, oui c'est là le lit où elle est percée, où elle se roule dans son affliction, sous la pointe de l'épine qui la déchire (Psal. XXXI, 4), car elle a quitté la terre qui ne produisait pour elle qu'épines et que ronces. Sa couche, à présent, n'est plus une couche de faiblesse, attendu que tout ce qui sentait la faiblesse a passé outre. Oui, cette âme goûte maintenant le repos le plus doux et le plus salutaire, sa conscience est pure et calme, et jouit de la plus grande sécurité. Elle a pour sommier la pureté de sa conscience, pour oreiller sa tranquillité, et pour couverture sa sécurité, voilà le lit où, en attendant, elle dort avec délices, où elle repose avec bonheur.

      7. Pour ce qui est du souvenir de sa vertu passée, nous entendons le langage des saints dans le psaume cent vingt-troisième ; il est bien clair, je l'ai rapporté plus haut. En effet, ils considèrent et repassent dans leur souvenir, avec un grand étonnement, les pièges et les périls dont ils se sont tirés par le secours de Dieu, et, tressaillant de joie en Dieu, ils s'écrient : « Si le Seigneur n'avait été avec nous, qu'Israël le dise maintenant, si le Seigneur n'avait point été avec nous, lorsque les hommes s'élevaient contre nous, ils auraient pu nous dévorer tout vivants. Mais notre âme a passé le torrent, peut-être, sans Dieu, notre âme eût-elle trouvé cette inondation insurmontable. » Puis il ajoute : « Béni soit, donc le Seigneur qui ne nous a pas laissés en proie à leurs dents. (Psal. CXXIII, 1 à 5). » L'Apôtre, sentant sa fin approcher, faisait entendre, sur l'état de félicité dont il jouit maintenant, des paroles anticipées qui nous semblent le désigner beaucoup mieux encore que celles que nous avons citées plus haut, car il disait avec une suavité parfaite : « J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai conservé la foi, il ne reste plus qu'à attendre la couronne de justice qui m'est réservée et que le Seigneur, comme un juste juge, me rendra en ce grand jour (II Tim. IV, 7). » Oui, mes frères, je vous le dis, c'est là maintenant le tout pour les saints, ce sont leur nourriture et leur sommeil, et le Saint-Esprit a voulu que les paroles que je viens de vous rappeler fussent écrites, ainsi que plusieurs autres semblables, afin que, par elles, nous connussions au moins quelque chose de leur état présent.

     8. Dans ces méditations, ils sont impressionnés bien autrement, et trouvent un bonheur bien plus grand que notre esprit ne saurait le penser et que notre bouche ne pourrait le dire. Écoutez, en effet, tous les efforts de paroles que fait le Prophète pour nous en donner une idée sans pouvoir atteindre le but qu'il se propose. Combien grande, Seigneur, est l'abondance de votre douceur, que vous avez cachée pour ceux qui vous craignent (Psal. XXX, 23) ! » Que dit-il ensuite ? « Vous l'avez rendue pleine et parfaite ; pour ceux qui espèrent en vous, à la vue des enfants des hommes. » Il y a donc une grande partie de la douceur du Seigneur qui se trouve cachée, oui, une grande, une très-grande partie même ; elle n'est donc point encore parfaite, puisqu'elle sera rendue pleine et parfaite à tous les yeux, non point en secret, alors que les saints, au lieu de reposer sous l'autel, iront s'asseoir sur des trônes comme des juges. A peine dégagées de leurs corps, les âmes saintes sont admises au repos, mais il n'en est pas de même quant à la gloire du royaume. « Les justes sont dans l'attente de la justice que vous me rendrez (Psal. CXLI, 8) », disait le prophète, alors qu'il était encore retenu dans les liens de son corps, et Dieu, en adressant la parole aux âmes saintes qui appellent de leurs vœux la résurrection de leurs corps, leur dit : « Attendez en repos encore un peu de temps, jusqu'à ce que le nombre de vos frères soit rempli (Apoc. VI,11) ». Mais il faut terminer ce sermon, car la messe solennelle qu'il nous reste encore à célébrer nous appelle. Remettons à un autre sermon ce qui me reste encore à vous dire sur ce sujet.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire