Méditation de Son Excellence
Monseigneur Luc Ravel, Évêque aux Armées
Méditation de Son Excellence
Monseigneur Luc Ravel, Évêque aux Armées
A force de douter de tout, on finit par ne plus croire en rien. Il en va de la France comme du reste. Au fond, la France existe-t-elle ? N’est-elle pas un songe fabriqué par nos sommeils pour nous éloigner du présent, de sa composition multiple, de ses courants divers ? La France, n’est-elle pas une invention bricolée par des nostalgiques d’un temps qui n’a jamais existé ?
A ces questions, extrêmes mais présentes aujourd’hui,
il faut répondre. C’est à dire qu’il faut parler. Le silence ne suffit
plus, fût-il réprobateur.
Pour dire la France, il convient d’abord de redire
simplement ce qui est et ce qui fut. Ce qui est au plus près de l’évidence et
ce qui fut au plus près de l’histoire. C’est là une très
claire mais très âpre tâche. Tâche difficile parce qu’on ne peut plus dire ce
que l’on voit à cause du politiquement correct ; et on ne veut plus voir
ce que l’on voit à cause de l’idéologiquement suspect.
La tâche de voir et de dire la France, dans sa
naissance par exemple, implique la rigueur. Nous ne renoncerons jamais à la
rigueur. J’en appelle à la rigueur la plus stricte. J’oserai même dire :
s’il y a doute, affirmons le minimum. Ne nous laissons pas emporter par un
lyrisme démodé sur notre pays. Les faits sont suffisants. Ne les craignons pas
en y rajoutant.
Par exemple, pour ce qui fut : la rigueur
historique écrème l’histoire en la décontaminant des excès
« légendaires ». Nous les abandonnons volontiers, même si leur
fausseté n’est pas toujours assurée. Encore une fois : dans le doute et
face à des idéologies qui ne nous passeront rien, nous abandonnons les faits
mal attestés, nous renonçons par avance aux approximations. Mais ce qui reste
suffit amplement. Surabondamment.
Saint Louis IX de France, Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre |
Intéressons-nous à la naissance de la France.
Appliquons-lui la rigueur de l’histoire.
La France est-elle née un jour et Clovis y est-il pour
quelque chose ? Qu’on renonce au vase de Soissons est une chose,
qu’on jette aux oubliettes le baptême de Clovis en est une autre. Or si la
France est une vocation, une histoire et un destin, elle est aussi et avant
tout une naissance. N’existe que ce qui est né. Pour être quelque chose ou
quelqu’un, il faut naître comme une entité en soi, une réalité autre que toutes
celles qui préexistent à elle : un enfant vient de ses parents mais, par sa
naissance, il existe et vit comme un individu différent.
Le très savant « Dictionnaire encyclopédique du Moyen Age » (ed° du
Cerf, 1997) dans son article « Clovis » ne laisse aucun doute : « Les dernières années de Clovis virent l’annexion au
prix du sang des royaumes francs de Gaule du Nord qui subsistaient encore, ce
qui lui permit enfin d’être dénommé « roi des Francs ». Le roi
légiféra également, faisant notamment rédiger la première version de la Loi
salique. Quelques mois avant sa mort, il réunit à Orléans en juillet 511 un
synode des évêques de Gaule qui présida à la naissance de l’Eglise
mérovingienne. Le roi mourut à la fin de l’année il laissa à ses fils le plus
puissant royaume barbare d’Occident et, qui plus est, son premier Etat
catholique. » Le même article conclut : « C’est donc à juste
titre que Clovis, dont le peuple a donné son nom à la France, mérite d’être
considéré comme son lointain fondateur et son premier roi. »
Par Clovis, la France naît et naît comme un Etat
catholique. Si Clovis se fait couronner à Tours, en 508, ce n’est pas pour des
raisons politiques mais parce que Saint Martin y est enterré. S’il choisit
Paris comme capitale, ce n’est pas « pour des raisons
stratégiques (d’autres villes avaient une plus grande importance militaire)
mais vraisemblablement en raison du lieu de la sépulture de sainte Geneviève
(sans doute morte en 502), dont les liens avec la dynastie franque naissante
avaient été si étroits. ». Nous le savons, Clovis et Clotilde
voulurent être enterrés à côté d’elle.
On peut toujours mettre en doute la conversion de
Clovis à la bataille de Tolbiac. On ne peut pas douter de son baptême par saint
Remi à Reims, très probablement en 496. Le père de Clovis, Childéric, avait
lui-même noué des liens stables avec l’évêque Remi et sainte Geneviève. Qu’on
soupçonne des volontés politiques derrière ces relations ou cette conversion ne
fait que confirmer l’affaire : le lien étroit entre la
naissance d’une nation, c’est l’aspect politique, sa terre, c’est l’aspect
géographique, et la foi catholique, c’est l’aspect religieux.
En revenant à la naissance de la France, nous
répondons à la première question humaine : d’où vient-elle ? La
réponse éclaire et soulage comme le terme atteint d’une quête des origines
conduite par un enfant orphelin. Mais nous scrutons aussi sa conception : parler de Clovis et de Clotilde, c’est transcrire l’ADN de la
France. C’est établir son code génétique. L’histoire d’un homme le façonne mais sans jamais supprimer cette
donnée fondamentale, ce patrimoine qui porte sa liberté.
Depuis Clovis, quinze siècles mouvementés enrichissent
la France. Doit-on pour autant lui faire renoncer à son origine ?
Notre Dame de France, priez pour nous |
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