lundi 4 avril 2016

Annonciation du Seigneur

Annonciation, par Charles Poerson
Neuf mois avant la Nativité du Sauveur, nous célébrons - le 25 mars - l'Annonciation du Seigneur, sa conception dans le sein de la Vierge immaculée.

Pourtant, cette année, la solennité est transférée au lundi 4 avril. De fait, le 25 mars tombait cette année le Vendredi Saint. La Semaine Sainte comme l'octave pascale priment sur toutes les fêtes et solennités, d'où cette célébration aujourd'hui.

Après avoir accueilli la vie divine dans les sacrements de Pâques, n'oublions pas que le mystère de notre Salut a commencé dans le sein de Notre-Dame. Comme devant le tabernacle, ployons le genoux devant l'immaculée Mère de Dieu et toute-sainte Vierge Marie qui, comme la nouvelle Eve, a été associée au nouvel Adam pour nous donner la Vie en plénitude.

Saint Gabriel archange, par Juan Correa de Vivar

Fiançailles de Notre Dame avec Saint Joseph

 De Dom Delatte, osb., pour la fête de l’Annonciation

La scène est à Nazareth, dans la Galilée. Une humble maison. Un ménage humble et pauvre : un artisan, son épouse vierge. Regardons. Là nous pouvons tout apprendre. Nazareth est l’école par excellence. Nous voyons le milieu et l’atmosphère où s’accomplissent les œuvres de Dieu : l’humilité, la pauvreté, la solitude, la pureté, l’obéissance.

Ce même archange Gabriel envoyé, dans l’Ancien Testament, pour renseigner Daniel sur le mystère des semaines d’années et la date de l’avènement du Messie, député à Zacharie pour lui apprendre que l’heure est proche, est maintenant envoyé de Dieu dans une ville de la Galilée, Nazareth, à une vierge du nom de Marie, épouse de Joseph, un rejeton de la famille de David.

Et ayant pénétré près d’elle, il dit : « Je vous salue, pleine de grâce »

Ce n’est pas avec des paroles qu’il faut commencer. Aussi bien, les termes sacrés sont pleins, riches de signification profonde. C’est vraiment la joie qui est annoncée au monde, et depuis cette heure-là, il n’y a plus que du bonheur pour ceux qui acceptent l’Incarnation.

Cette créature surnaturelle qui s’éveille à la parole de l’ange, suffit à l’allégresse du temps et à celle de l’éternité. Le terme grec par « gratia plena », signifie une plénitude de grâce reçue par Notre Dame.

Et comme la grâce est la dot de l’âme et la condition de son union à Dieu, celle qui est pleine de grâce est pleinement à Dieu, pleinement avec Dieu ; elle est sainte non seulement par ses privilèges, mais par ses vertus. « Le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes ». L’ange ne dit rien de plus.

La salutation était plus large que toutes celles adressées dans l’Ancien Testament, l’attitude de l’ange infiniment respectueuse, la Vierge infiniment humble.

Joignons ensemble tous ces éléments et nous aurons la raison de la prudente réserve de Notre Dame. Lorsque l’on remarque qu’elle fut troublée à ces paroles de l’ange, cela veut dire qu’elle demeure indécise sur ce qu’elle devait répondre. Et, gardant le silence, elle recherchait, à part elle, ce que pouvait signifier une telle salutation. Encore une fois, elle est humble, elle est prudente : l’ange l’a abordée comme une reine, mais il n’a encore rien dit de son message divin. En face de ce silence, qui contenait une interrogation muette, Gabriel reprit la parole.

Marie, Mère de Dieu,
riches Heures de Simone de Varie
Le "ne timeas" n’a pas pour dessein de bannir une crainte proprement dite mais seulement d’exclure même le trouble et l’indécision que nous venons de décrire.
 Cette fois Notre-Dame est appelée par son nom : « Ne craigniez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. »

La faveur de Dieu, la tendresse de Dieu qui est souveraine, qui est gracieuse, qui est active, s’est reposée sur elle. La même expression a été employée au sujet de Noé, qui bâtit l’arche du salut ; Noé trouva grâce devant le Seigneur (Gn 6 8). Mais il s’agit aujourd’hui d’une faveur plus haute, d’une arche plus sainte, d’un salut plus complet. La Sainte Vierge connaissait les Ecritures ; elle avait lu et médité, au chapitre 7 d’Isaïe, les mots mêmes que l’ange emploie maintenant. « Voici que la Vierge concevra et enfantera un Fils, et on l’appellera Emmanuel ». Voici, dit l’ange, que « vous concevrez dans votre sein et que vous enfanterez un Fils, et vous l’appellerez Jésus ». Le parallélisme était flagrant. Emmanuel, « Dieu avec nous », c’était l’équivalent de Jésus, « Dieu sauveur ».

Observons par quels traits l’ange dessine la mission du Fils de la Vierge. Il sera grand : il sera appelé, parce qu’il sera réellement, Fils du Très Haut. L’ange ne dit pas : le Fils du Très Haut. Ses paroles semblent calculées pour marquer une relation intime avec Dieu, sans exprimer encore nettement la filiation divine et la seconde personne de la très Sainte Trinité.

Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. Il régnera pour les siècles sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. Remarquons les termes et l’étendue de la prophétie. C’est chose extraordinaire que cet enfant qui n’est pas né encore, soit promis à sa Mère comme un roi et comme un roi éternel, en dépit de l’humiliation à laquelle était réduit, à cette époque, le peuple juif tout entier.

Peut-être avons-nous le droit de remarquer aussi que cette prophétie s’est accomplie, qu’elle s’accomplit chaque jour encore, qu’elle est partiellement inachevée, et que le temps ne dure que pour lui donner le loisir de sa pleine réalisation.

Stabat Mater dolorosa - Notre Dame des douleurs
Il semble que Notre-Dame, même avant la salutation angélique, aurait dû se reconnaître comme prédestinée à devenir la Mère de Dieu. Elle connaissait admirablement les Livres Saints ; elle était pleine de grâce ; elle savait que les temps étaient venus ; elle était de la famille de David ; le Messie devait naître d’une vierge ; or il lui avait été inspiré de vouer la première, sa virginité à Dieu.

Tous les indices semblaient donc réunis. Comment ne s’est-elle pas demandé : « Mais n’est-ce pas de moi qu’il est question ? » Elle ne se l’est pas demandé. Les humbles s’ignorent. Peut-être avait-elle souhaité seulement d’être la servante de la Mère du Messie. Et la salutation de l’ange, si claire pour nous après l’événement, ne fit pas sortir la Vierge de cette divine ignorance d’elle-même. Après tout, il y avait moyen d’interpréter les paroles angéliques de manière à demeurer en deçà d’une grandeur à laquelle elle n’avait jamais songé. Aussi longtemps qu’il demeurait une imprécision, une part d’obscurité dans le message divin, ce serait une retraite, un abri où se réfugierait l’humilité de la Vierge. Y a-t-il au monde un spectacle plus beau que celui-là ? Dieu qui y était attentif, dut s’y complaire.

Nous aussi, perdons-nous dans cette splendeur. Voici comment on pourrait traduire cet incomparable malentendu : Dieu, par l’ange, me promet un fils. Il sera glorieux. Mais puisque l’ange n’a pas dit formellement qu’il est le Messie, qu’il est le Fils de Dieu, ce sera un roi comme les autres, un homme comme les autres. Il naîtra d’une femme, non d’une Vierge. Or j’ai voué à Dieu mon corps et mon âme ; mon mariage n’est qu’un voile, et mon époux le gardien prédestiné de ma virginité. Comment donc pourra s’accomplir la promesse angélique, puisque j’ai fait vœu de n’être à aucun homme ? ‘‘Quomodo fiet istud, quoniam virum non cognosco ?

Dans la réponse de l’ange, nous entendons la réponse de Dieu. Le Fils qui sera donné à Marie, ne sera pas le fruit d’un commerce humain : le vœu de virginité demeurera donc sauf. « C’est l’Esprit de Dieu, l’Esprit Saint, qui descendra sur vous ; c’est la force du Très-haut qui vous couvrira de son ombre. » Le texte grec est susceptible de plusieurs interprétations. La vertu de Dieu, c’est-à-dire le Fils de Dieu, vous demandera son voile, sa nature humaine, l’ombre dont il s’enveloppera pour se rendre visible aux regards humains ; la vertu de Dieu, le Fils de Dieu entrera en vous, comme on entre dans sa demeure ; il se reposera à l’ombre de votre sein ; il sera, par vous, Dieu avec nous, Emmanuel, beaucoup plus vraiment que dans le Saint des Saints et à l’ombre des grands chérubins qui étendent leurs ailes sur le propitiatoire ; une troisième interprétation, celle qui est commune et préférable, semble-t-il, reconnaît qu’il est question encore du Saint-Esprit, comme dans la première partie du verset ; nous aurions affaire à un cas de parallélisme synthétique et d’équivalence entre « Spiritus Sanctus superveniet in te » et « Virtus Altissimi obumbrabit tibi ». Par deux fois, l’ange a voulu signifier la pureté virginale de la conception promise.

Dormition, vitrail, Cathédrale de Bourges
Ce n’est point l’homme, c’est Dieu seul, c’est la sainteté et la pureté de Dieu qui interviendra. « Esprit Saint » et « Vertu du Très-haut » indiquent tous deux une même réalité : Dieu dans sa sainteté et son pouvoir infini, en un mot l’élément actif de cette création surnaturelle. Les paroles qui suivent et que nous traduisons d’après le grec, marquent le résultat, le fruit béni de cette action : « C’est pourquoi l’enfant qui doit naître sera appelé Saint et le Fils de Dieu ». Le Fils de Dieu prendra, grâce à Notre Dame, sa place dans la création, sa place, la première et l’unique dans la famille humaine : « Ut sit ipse primogenitus in multis fratribus » (Rm 8 29)

Il y a une grande différence entre l’accueil fait par Zacharie au message angélique : « Comment saurai-je qu’il en sera ainsi ? » et celui de la sainte Vierge : « Comment cela se fera-t-il ? » Aucune doute n’effleure l’âme de notre Dame ; elle demande seulement à l’ange comment, dans sa vie, se pourront concilier deux devoirs : celui de l’obéissance et celui de son vœu. Néanmoins, nous remarquerons que Dieu use, dans l’un et l’autre cas, du même procédé. Il traite sa créature avec respect ; il lui donne un signe, c’est-à-dire une preuve de ses dires et une garantie de la foi qu’il réclame. Ainsi, ses témoignages sont croyables à l’infini : « Testimonia tua credibili facta sunt nimis ». Ce signe, la Sainte Vierge ne le sollicitait pas : il lui fut gracieusement accordé. Pour obtenir son consentement l’ange en appelle à une autre conception miraculeuse : Votre parente Elisabeth, elle aussi, a conçu un fils dans sa vieillesse ; depuis six mois déjà elle le porte en son sein, elle, la stérile. Car nulle parole prononcée par Dieu, nulle promesse sortie de ses lèvres ne sera jamais trahie, ni démentie, ni inexécutée.

Il y avait un intérêt extrême, pour l’humanité et pour Dieu même, à ce que la Sainte Vierge donnât son adhésion au mystère. Lorsqu’il s’agit d’union et de mariage, il doit y avoir un consentement libre des deux parties. L’union hypostatique n’échappe pas à cette loi. C’est une union ; ce n’est pas une conquête, ni une contrainte, une sorte de mainmise violente d’un des contractants. Dieu, nous l’avons dit traite sa créature avec égards. Or, ce consentement indispensable à l’Incarnation, Dieu ne pouvait le demander ni à la portion de l’humanité qui avait précédé et qui n’existait plus ; ni à la portion qui existait alors et qu’on ne pouvait plébisciter pour savoir si elle consentait à l’union divine ; ni à la portion future de l’humanité. On ne pouvait non plus consulter la nature humaine individuelle que devait revêtir le Verbe : elle n’existait pas encore, et c’était précisément en vue de son existence que le consentement était sollicité.

Le couronnement de Notre Dame, détail
Voilà donc les destinées du monde suspendues aux lèvres et au cœur de Notre-Dame. Entendons l’Eglise, dans sa liturgie, la supplier de consentir à Dieu : « Suscipe Verbum, Virgo Maria quod tibi a Domino per angelum transmissum est… ».

Monde crée et monde incréé, tous les deux sont anxieux, attentifs, épiant la réponse de la Vierge, qui, pour tous deux, sera décisive. Ce n’est pas un rêve arbitraire, mais la doctrine de saint Thomas d’Aquin : « L’annonciation, dit-il, était convenable : ut ostenderetur esse quoddam spirituale matrimonium inter Filium Dei et humanam naturam ; et ideo per Annuntiationem exspectabatur consensus Virginis, loco totius humanae naturae » ( IIIa, Q.30, 1) (pour que fût montré qu’il y avait un certain mariage spirituel entre le Fils de Dieu et la nature humaine. Et c’est pourquoi par l’Annonciation était attendu le consentement de la Vierge en lieu et place de toute la nature humaine). La Sainte Vierge n’ignorait pas ce que devait impliquer pour elle la maternité divine. Dieu n’a pas surpris sa mère. Elle savait, par l’Ecriture, sur quelles épées nues son cœur serait traîné. C’est pleinement consciente qu’elle adhère au vouloir du Seigneur.

La condition faite à Notre Dame par l’Incarnation entraîne deux conséquences, qu’il nous suffira d’indiquer ici.

La première, c’est que jamais fils n’a été le bien de sa mère autant que le Seigneur l’a été de Marie. La virginité de notre Dame attache son Fils à elle toute seule, à elle exclusivement, comme le fruit de sa pureté ; il est le Fils de sa chair et de sa volonté ; à lui elle a vraiment tout donné. Mais comment osons-nous parler de tels mystères ?

Notre Dame des Anges et de la divine Eucharistie
Il nous faudrait pourtant ajouter encore que l’heure même de l’Incarnation, Notre-Dame a concentré et ramassé en elle l’humanité entière ; que son âme a comme embrassé et enveloppé tout ce que nous sommes ; et qu’à l’exemple de son Fils, à raison du même acquiescement qui lui a été demandé par Dieu, nous sommes à elle comme nous ne sommes à personne. Elle est la Mère de tous les vivants, la nouvelle Eve. Comment peut-il demeurer une tristesse sur terre, depuis que l’éternité elle-même s’est inclinée, que les cieux se sont abaissés, que l’ange est venu au nom de Dieu, et que Notre Dame et notre Mère lui a répondu simplement : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole ».

Et l’ange se retira d’auprès d’elle. Et en même temps que la Vierge disait à Dieu : « Ecce ancilla Domini », dans une adoration parfaite, s’élevait de son sein une adoration plus parfaite encore. La Mère de Dieu se disait la servante du Seigneur ; le Fils de Dieu se disait l’esclave et le serviteur de Dieu. L’apôtre saint Paul nous l’a révélé : « Lorsque le Christ fit son entrée ici-bas, il dit : « Vous ne vouliez plus d’hosties et d’oblations, alors vous m’avez donné un corps ; les holocaustes et les victimes pour le péché ne vous plaisent point, alors j’ai dit : Me voici, selon qu’en tête du livre, il est écrit de moi, pour faire ô Dieu, votre volonté » (Heb 10 5-7).

C’est au même instant que, du cœur de Fils comme de celui de la Mère, montait vers Dieu le parfum d’un même sacrifice, d’une même adoration.



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