mardi 24 décembre 2019

24 décembre, dernier jour de l'Avent... Allons à Bethléem

L'arrivée à Bethléem

Du Cardinal Joseph Ratzinger, homélie de Noël 1980

 « Transeamus usque Bethlehem : Allons, et partons à Bethlehem ! Ces paroles des bergers en la Nuit Sainte ont été prononcées et chantées maintes et maintes fois depuis. Elles ont fait de Noël une occasion toujours renouvelée ; elles expliquent ce que signifie célébrer Noël : invitation à se mettre en route, à devenir soi-même berger, afin d’entendre la voix de l’ange, qui annonce la joie de Dieu aujourd’hui. Car la joie qui vient de Dieu demeure. C’est une exhortation à partir à la recherche de l’Enfant, qui naît aujourd’hui encore sur nos autels, pour apporter au monde la Gloire de Dieu en vue de la Paix aux hommes

Transeamus usque Bethlehem : ces paroles des bergers ont trouvé en nous un écho lumineux comme peu d’autres paroles bibliques. Dans d’innombrables chants de Noël et de bergers, nés de cette manière, cet écho retentit de façon vivante et chaleureuse dans notre actualité. Transeamus usque Bethlehem : ces paroles interpellèrent nos ancêtres. Ils n’étaient pas à même de se livrer à de grandes considérations sur le Dieu Trinitaire et ses innombrables mystères, mais ils purent s’identifier aux bergers : c’étaient eux les bergers ; suivant leur chemin vers un Dieu qu’ils pouvaient comprendre et aimer parce qu’Il s’était fait tout proche, venu dans leur monde à eux.

Cela nous est plus difficile à nous, même si nous reprenons ces mêmes chants car nous sommes bien loin de la simplicité des bergers et de leur univers. Ce qui peut toutefois nous consoler, c’est que les mages venus d’Orient, représentants d’une civilisation tardive et sur-raffinée et en qui nous sommes également représentés, aient trouvé le chemin de la crèche. A cet égard, songeons aux paroles qu’Evelyne Waugh fait - en pensée - prononcer à l’impératrice Hélène découvrant la Croix : « Vous êtes arrivés tard, tout comme moi », dit-elle en s’adressant aux mages du pays du Levant. « Les bergers et même les animaux, étaient là avant vous. Leurs voix se joignaient déjà au cœur des anges, tandis que vous ne vous étiez pas encore mis en chemin. L’ordre strict du Ciel dut même pour vous être quelque peu assoupli. (…) »

Hommes de peu de foi, nous avons certes besoin de prier pour les âmes lentes à croire, afin de voir l’Etoile nous aussi, de percevoir la voix de l’ange et de trouver le chemin de Bethlehem. Quel en est le parcours à vrai dire ?

Penchons-nous sur l’Evangile de Noël et demandons-nous : quels hommes sont donc devenus ces bergers, qui connaissaient le chemin et n’avaient qu’à le suivre ? Que faire pour reconnaître ce chemin ? La Tradition a toujours considéré deux données comme très importantes : les bergers vivaient aux champs et ils étaient éveillés ; comme Joseph et Marie, ils étaient sans domicile fixe. Ceux qui vivaient dans les palais, dans les maisons n’entendaient pas les anges : ils dormaient. Les bergers étaient des hommes éveillés. Cela nous montre une réalité plus profonde qui peut - qui doit - interpeller celui qui a un toit. Nous devons garder un cœur vigilant, rester capables de voir au-delà des apparences et nous laisser interpeller par Dieu. Cette vigilance du cœur, cette interpellation de Dieu, qui n’était pas éteinte, c’est elle qui lie les mages venus d’Orient, (les âmes lentes à croire) aux bergers, et leur fait trouver le chemin, même s’ils le font plus lentement, plus difficilement et par plus de détours et de questionnements.

La question est donc celle-ci : sommes-nous éveillés ? Sommes-nous vraiment libres ? Sommes-nous malléables et souples dans la main du potier ? Ne souffrons-nous pas terriblement de snobisme et d’un scepticisme orgueilleux ?

Peut-il entendre la voix de l’ange, celui qui sait d’avance avec certitude qu’il n’existe pas ? Quand bien même il l’entendrait, il ne pourrait s’empêcher de l’interpréter à sa manière. Et celui qui a pris l’habitude de toujours juger de tout du haut de sa grandeur, de tout savoir mieux que les autres, de tout passer au crible, comment pourrait-il acquiescer ?

L'annonce aux bergers
Il m’apparaît de plus en plus clairement que la mort de l’humilité est la véritable raison de notre incapacité à croire et, ainsi, le mal de notre époque ; je comprends de mieux en mieux que saint Augustin ait déclaré que l’humilité était le noyau du mystère du Christ. Lui-même était une de ces âmes lentes à croire qui ont bien du mal à descendre de leur piédestal et à trouver péniblement, après bien des détours, le chemin de la crèche.

Notre cœur n’est pas éveillé, notre cœur n’est pas libre. Il est rempli de préjugés et de suffisance ; il est étourdi par les affaires et les devoirs, paralysé par l’agitation. Et pourtant le chemin existe pour les âmes vulnérables, et c’est consolant ; elles aussi peuvent devenir bergers, à condition d’avoir une chose en commun avec eux : l’éveil et la liberté. Ainsi, profitons de ce temps non pas pour nous laisser étourdir une fois de plus, mais pour reprendre souffle, pour devenir des êtres libres, afin que notre cœur réapprenne à entendre et à voir.

Les bergers nous disent autre chose d’important dans l’Evangile de Noël : ils partirent en hâte vers Bethlehem et rapportèrent ce qu’ils avaient entendu. Ces hommes plutôt silencieux louèrent Dieu, leurs lèvres débordant du trop-plein de leur cœur. Ils se hâtèrent, d’une hâte qui ressort à plusieurs reprises des Saintes Écritures : Marie se rend en tout hâte chez sa cousine Elisabeth, les bergers se hâtent vers la crèche, Pierre et Jean courent vers le Ressuscité.

Gloria in excelcis Deo !
Cette hâte n’a rien à voir avec celle des hommes tourmentés par leurs agendas. C’est l’inverse : toute cette fausse hâte disparaît quand il s’agit de l’essentiel et de quelque chose de grand. C’est la Joie qui donne des ailes à l’homme. La grâce de l’Esprit Saint exclut la lourdeur, dit saint Ambroise. Cela veut dire que le poids qui pèse sur notre cœur et nos pieds tombe au cours de notre marche vers Dieu. Elle signifie que les doutes, la suffisance, les fausses lumières qui nous empêchent d’aller à Lui se dissipent. Cette grâce signifie que nous apprenons à marcher dans un élan plein de joie. Cette hâte ne vient pas de la précipitation, mais de sa disparition, et de la légèreté de notre cœur.

Les anges peuvent voler parce qu’ils ont le cœur léger, déclara Chesterton avec esprit. Laissons Richard Dehmel nous redire que rien n’est difficile, si nous restons dans la légèreté, et le pape Jean XXIII, ces mots puisés dans la profonde expérience de sa vie et de son combat : tout devient facile lorsque nous nous séparons de nous-même et lâchons prise. Lâcher prise, voilà la réponse : ne plus placer en nous-mêmes, mais en Dieu seul notre centre de gravité. Alors notre cœur s’allège, il devient libre, capable d’écouter et de nous guider.

En conclusion, il me revient un jeu de mots, par lequel saint Jacques, dans sa lettre aux chrétiens, dans le Nouveau Testament, caractérise la différence entre les bergers et les âmes lentes à croire, nous montrant ainsi comment nos âmes rebelles peuvent trouver le Seigneur. Il commence par fustiger les riches, les snobs, les esprits dits « éclairés », qui se prennent pour le véritable Israël. Et il leur reproche ceci : vous avez nourri vos cœurs. Puis il se tourne vers les pauvres, les simples, les croyants ; il les affermit, les console et les exhorte : Affermissez vos cœurs (Jc 5,8). Là réside toute la différence : gaver notre cœur jusqu’à le rendre sourd à Dieu. Seul un cœur affermi a des oreilles, occupe la place centrale en l’homme, et lui permet de trouver l’unité de son être. Gaver notre cœur, n’est-ce donc pas, hélas, l’exacte description de ce que nous faisons à Noël la plupart du temps, en nous gavant le corps et l’esprit, afin d’étourdir notre cœur, le réduire au silence, parce que nous ne voulons pas l’entendre ? C’est l’inverse que nous devrions faire : non pas se gaver le cœur, mais l’éveiller, l’affermir, pour qu’il nous redonne notre capacité de voir, et d’entendre la voix de l’ange.

Dans une histoire juive, on raconte qu’un savant, ayant peur de perdre la foi, alla voir un homme pieux pour lui demander conseil. Le sage, le hassid, ne s’engagea pas dans un discours philosophique. Il récita seulement plusieurs fois avec le savant sceptique les prières qu’il avait apprises par cœur dans son enfance. C’est tout. L’homme pieux ne discute pas avec celui qui doute, il prie avec lui. Il récite les prières de son enfance, par lesquelles son cœur s’est éveillé à Dieu. Il affermit le cœur. 

C’est exactement ce que l’Eglise veut faire avec nous à Noël. Elle fait avec nous ce que cet homme pieux fit avec cet homme pris de doute ; elle ne discute pas ; elle prie avec nous. Elle prononce avec nous les prières que nous avons apprises par cœur dans notre enfance, par lesquelles notre cœur s’est éveillé à Dieu. Elle prie avec nous pour affermir notre cœur et nous rendre la santé.

Transeamus usque Bethlehem !
Prions le Seigneur qu’il nous aide sur ce chemin et veuille nous offrir des Noëls aussi heureux !


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