vendredi 8 mai 2015

Saint Michel du Mont Gargan


Dom Guéranger, L'année liturgique, au 8 mai, les apparitions de S. Michel, Archange

David avait prédit que l'arrivée de l'Emmanuel en ce monde serait saluée par les saints Anges, et qu'ils l'adoreraient humblement au moment où il manifesterait sa présence au milieu des hommes. Nous vîmes l'accomplissement de cet oracle dans la nuit à jamais heureuse où Marie nous donna le divin fruit de ses entrailles. Les concerts angéliques retentissaient avec une mélodie toute céleste qui attira les bergers dans l'étable, et nous nous mêlâmes à eux pour offrir nos hommages au Dieu enfant. Dans le triomphe de sa résurrection, l'Emmanuel ne pouvait manquer d'être entouré par ces Esprits bienheureux qui l'avaient considéré avec une terreur si profonde dans les humiliations et les douleurs de sa passion. A peine a-t-il franchi la barrière qui le retenait captif dans le sépulcre, qu'un Ange dont le visage lance des éclairs, et dont les vêtements sont éblouissants comme la neige, vient renverser la pierre qui fermait l'entrée du tombeau, et annonce aux saintes femmes que celui qu'elles cherchent est ressuscité. Lorsqu'elles pénètrent dans la grotte du sépulcre, deux nouveaux Anges vêtus de blanc se présentent à leurs regards, et leur confirment la nouvelle.

Rendons nos hommages à ces augustes messagers de notre délivrance, et contemplons-les avec respect entourant de leurs phalanges le divin roi Jésus, pendant son séjour ici-bas. Ils adorent cette humanité glorifiée qu'ils verront bientôt s'élever au plus haut des cieux et prendre place à la droite du Père. Ils conjouissent à notre bonheur en cette fête de Pâques, par laquelle l'immortalité nous est rendue en notre Sauveur ressuscité; et, ainsi que saint Grégoire nous l'enseignait il y a quelques jours, « cette Pâque devient aussi la fête des Anges ; car en même temps qu'elle nous rouvre  le ciel, elle leur annonce que les pertes qu'ils ont éprouvées dans leurs rangs vont être réparées. » Il est donc juste que le Temps pascal consacre une solennité au culte des Esprits angéliques. Aux approches de l'Annonciation de Marie, nous avons fêté Gabriel, le céleste para-nymphe; aujourd'hui c'est l'Archange Michel, le prince de la milice du ciel, qui va recevoir nos hommages. Il a fixé lui-même ce jour en apparaissant aux hommes, et leur laissant un gage de sa présence et de sa protection.
 
Le nom seul de Michel le désigne à notre admiration : c'est un cri d'enthousiasme et de fidélité. « Qui est semblable à Dieu? » ainsi s'appelle notre sublime Archange. Au fond des enfers, Satan frémit encore à ce nom qui lui rappelle la noble protestation par laquelle ce radieux Esprit accueillit la tentative de révolte des anges infidèles. Michel a fait ses preuves dans l'armée du Seigneur, et pour cette raison la garde et la défense du peuple de Dieu lui fut confiée, jusqu'au jour où l'héritage de la synagogue répudiée passa à l'Eglise chrétienne. Maintenant il est le gardien et le protecteur de l'Epouse de son Maître, notre mère commune. Son bras veille sur elle ; il la soutient et la relève dans ses épreuves, et il a la main dans tous ses triomphes.

Mais n'allons pas croire que le saint Archange chargé des intérêts les plus vastes et les plus élevés pour la conservation de l'œuvre du Christ, en soit tellement surchargé qu'il n'ait pas une oreille ouverte à la prière de chacun des membres de la sainte Eglise. Dieu lui a donné un cœur compatissant envers nous ; et pas une seule de nos âmes n'échappe à son action. Il tient le glaive pour la défense de l'Epouse du Christ ; il s'oppose au dragon, toujours prêt à s'élancer contre la Femme et son fruit ; mais en même temps il daigne être attentif lorsque chacun de nous, après avoir confessé ses péchés au Dieu tout-puissant, à la bienheureuse Vierge Marie, les avoue aussi à lui, Michel archange, et lui demande la faveur de son intercession auprès de Dieu.

Son œil veille par toute la terre au lit des mourants ; car sa charge spéciale est de recueillir les âmes élues au sortir de leurs corps. Avec une tendre sollicitude et une majesté incomparable, il les présente à la lumière éternelle et les introduit dans le séjour de la gloire. C'est la sainte Eglise elle-même qui, dans les textes de la Liturgie, nous instruit sur ces prérogatives du grand Archange. Elle nous enseigne qu'il a été préposé au Paradis, et que Dieu lui a confié les âmes saintes pour les conduire à la région du bonheur sans fin.

Au dernier jour du monde, lorsque notre divin Ressuscité paraîtra assis sur les nuées du ciel pour juger le genre humain, Michel aura à remplir un ministère formidable, lorsque, avec les autres Anges, il accomplira la séparation des élus et des réprouvés, qui auront repris leurs corps dans la résurrection générale. Au moyen âge, nos pères aimaient à représenter l'action du saint Archange dans ce moment terrible. Ils le figuraient au pied du trône du souverain juge, tenant une balance dans laquelle il pèse les âmes avec leurs œuvres.

Le culte d'un si puissant ministre de Dieu, d'un si bienveillant protecteur des hommes, devait se répandre dans la chrétienté, surtout après la défaite des faux dieux, lorsqu'il n'y eut plus à craindre que les hommes fussent tentés de lui décerner les honneurs divins. Constantin lui éleva près de sa nouvelle capitale un sanctuaire célèbre qui porta le nom Michaélion ; et à l'époque où Constantinople tomba au pouvoir des Turcs, on n'y comptait pas moins de quinze églises consacrées sous le nom de saint Michel, soit dans l'enceinte de la ville, soit dans les faubourgs. Dans le reste de la chrétienté cette dévotion ne s'étendit que par degrés; et ce fut par des manifestations du saint Archange que les fidèles furent doucement avertis de recourir à lui. Ces manifestations étaient locales, vulgaires en apparence; mais Dieu, qui fait sortir les grands effets des petites causes, s'en servit pour éveiller peu à peu chez les chrétiens le sentiment de la confiance envers leur céleste protecteur. Les Grecs célèbrent l'apparition qui eut lieu en Phrygie, à Chône, nom qui a remplacé celui de Colosses. Il existait dans cette ville une église en l'honneur de saint Michel, et elle était fréquentée par un saint personnage nommé Archippe, que les païens poursuivaient avec fureur. Afin de se défaire de lui, ils lâchèrent l'écluse d'un cours d'eau qui vint s'unir au Lycus, et menaça de renverser l'église Saint-Michel, où Archippe était en prières. Tout à coup le saint Archange apparut tenant en main une verge; à son aspect l'inondation recula, et les eaux, grossies par l'affluent que la malice des païens avait déchaîné, allèrent se perdre dans le gouffre où le Lycus s'enfonce et disparaît près de Colosses. La date de ce prodige n'est pas certaine ; on sait seulement qu'il eut lieu à une époque où les païens étaient encore assez nombreux à Colosses pour inquiéter les chrétiens.

Sanctuaire de Saint-Michel du Mont Gargan, Italie
Une autre apparition fut destinée à accroître la dévotion à saint Michel chez les peuples de l'Italie, et eut lieu sur le mont Gargan, en Apulie ; c'est celle que nous fêtons aujourd'hui. Une troisième se passa en France, sur les côtes de Normandie, au mont Tomba ; nous la célébrerons au 16 octobre.

La fête d'aujourd'hui n'est pas la plus solennelle des deux que l'Eglise consacre chaque année à saint Michel ; celle du 29 septembre est d'un degré supérieur, mais elle est moins personnelle au saint Archange. On y honore en même temps tous les chœurs de la hiérarchie angélique. Voici maintenant le récit liturgique de l'apparition du grand Archange sur le mont Gargan, tel qu'il est consigné au Bréviaire romain.

L'autorité des livres sacres et l'ancienne tradition des saints nous apprennent que le bienheureux Archange Michel a souvent apparu aux hommes : ce qui est la cause que la mémoire de ces apparitions est célébrée en plusieurs lieux. Comme autrefois la synagogue des Juifs, de même aujourd'hui l'Eglise de Dieu le révère comme son gardien et son protecteur. Une célèbre apparition du saint Archange eut lieu sous le pontificat de Gélase Ier, en Apulie, sur le sommet du mont Gargan, au pied duquel est située la ville de Siponto.

Un taureau appartenant à un homme qui habitait cette montagne s'étant un jour écarté du troupeau, on le chercha longtemps, et enfin on le trouva qui s'était embarrassé dans des broussailles à l'entrée d'une caverne. Un des hommes qui étaient à la poursuite du taureau ayant lancé sur lui une flèche pour le percer, la flèche se détourna, et revint sur celui qui l'avait lancée. Une terreur religieuse saisit alors les gens qui étaient à la poursuite de l’animal, ainsi que ceux à qui ils racontèrent la chose, en sorte que personne n'osait approcher de la caverne. Les habitants de Siponto en référèrent à leur évêque, qui leur répondit qu'il fallait consulter Dieu, et ordonna trois jours de jeûnes et de prières à cette intention.





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