C’était M. de Montmorency, frère du jeune
abbé de Laval alors archidiacre d’Evreux, qui s’était senti ainsi tout à coup
pour lui un intérêt si puissant.
Les deux frères ne tardèrent pas à apprécier le trésor qu’ils possédaient et il trouva bientôt en eux, non
seulement des protecteurs aussi bienveillants que délicats, mais des amis qui
l’associèrent à leurs confidences et voulurent régler leur conduite sur ses
conseils et ses exemples.
Cette disposition
devint bientôt celle de tous les membres de leur famille. La conduite de Boudon était marquée d’une perfection si attirante et si
soutenue qu’il ne fallait qu’avoir dans l’âme l’amour de la vertu pour se sentir
entraîné vers lui. On le croyait dès lors si bien avec Dieu qu’il semble
que ceux qui lui écrivent n’ont plus rien à désirer pour leur avantage
spirituel, s’il veut s’y intéresser dans ses prières, et que rien n’est capable
de les porter à la piété comme les expressions pleines de zèle et d’onction
avec lesquelles il leur en parle.
« J’ai une grande confiance en vos prières,
monsieur, lui écrivait mademoiselle de Laval, religieuse quelque temps
après qu’il eut été reçu chez son frère,
et je vous supplie de ne pas me les refuser. »
« J’ai une grande consolation que la divine
Providence vous ait obligé de demeurer avec mon frère. C’est un bonheur pour
lui bien particulier et que je sais qu’il estime parfaitement, et moi j’en
remercie tous les jours la bonté infinie de Dieu. J’espère, monsieur, que vous
me donnerez quelquefois de vos nouvelles et que vous me ferez part des bons
sentiments que Dieu vous donne. »
C’est ainsi que
loin de penser que Boudon leur dût de la reconnaissance pour l’asile qu’ils lui
avaient accordé, M. de Montmorency et
ceux qui lui appartenaient se croyaient seuls redevables à la Providence pour
l’édification qu’ils recevaient de ses pieux exemples, mais personne
n’était plus disposé à lui en rendre grâces que l’abbé de Laval.
Attaché à l’état
ecclésiastique non par convenances et par arrangement mais par principes et par
attrait, c’était une de ces âmes en qui la piété produit des fruits d’autant
plus parfaits qu’elle les trouve capables de résolutions plus fortes, de
sacrifices plus généreux, et qui doivent bien moins briller par l’éclat de leur
rang que par celui de leurs vertus. Il
trouvait dans Boudon des pensées qui répondaient aux siennes, un cœur rempli de
cet amour pur et désintéressé auquel il aspirait lui-même, cette humilité
profonde, ce détachement absolu qu’il appréciait d’autant plus que sa position
opulente et l’élévation de sa naissance les lui rendaient plus difficiles à
pratiquer, et surtout un ami sûr et constamment attaché aux intérêts de son âme
dont rien ne pouvait intimider le zèle ni altérer la franchise.
Placé dans cette
sphère, Boudon devait connaître et connut bientôt en effet tout ce que Paris
offrait alors de personnages plus éminents par leur piété et par la pratique
des vertus les plus pures. Son attrait pour une vie intérieure et cachée le
porta surtout à multiplier ses liaisons dans les maisons religieuses.
Il n’était point
alors de famille recommandable qui ne payât son tribut au sacerdoce et au
cloître. On n’était point étonné de voir de jeunes personnes élevées avec toute
la délicatesse et le soin que réclamait leur naissance s’ensevelir dans
l’obscurité d’une maison religieuse et se vouer à la vie la plus austère et la
plus dure, au moment même où elles semblaient appelées à jouir dans la société
des avantages les plus flatteurs et les plus séduisants, pour l’amour propre.
Les hommes aussi
allaient souvent se délivrer entre les bras de la religion du désir inquiet de
s’avancer dans le monde et d’y courir une carrière incertaine et fatigante. Et
si la précipitation de vocations mal éprouvées produisit parfois des abus que
l’esprit de parti a trop cherché à grossir, on doit dire aussi que les
relations de famille que conservaient encore dans le monde ceux qui l’avaient
quitté avaient leur utilité. Quels que fussent la conduite ou les principes
secrets de chacun personne n’aurait osé parler avec mépris, ou même avec
irrévérence, d’institutions où tous pouvaient trouver des parents et des amis
qui leur étaient chers. Aussi, lorsque ces pieux asiles furent depuis anéantis,
la religion au nom de laquelle ils avaient été élevés se trouva attaquée avec
une audace et une témérité qui font encore frémir les âmes honnêtes. Quant à Boudon il ne cherchait dans ces
saintes retraites que des âmes qui fussent attachées à Dieu avec toute la
pureté et l’effusion d’amour dont il était rempli lui-même, et sa
correspondance atteste qu’il eut le bonheur d’en rencontrer souvent.
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