Le grand mystère de l'Ascension |
Dom Guéranger,
Année liturgique, dimanche après l’Ascension
Jésus est monté aux cieux. Sa
divinité n’en avait jamais été absente, mais aujourd’hui son humanité y
est intronisée, elle y est couronnée d’un diadème de splendeur ; et c’est là encore une nouvelle
face du glorieux mystère de l’Ascension. A cette humanité sainte le triomphe ne
suffisait pas ; le repos lui était
préparé sur le trône même du Verbe éternel auquel elle est unie
éternellement dans une même personnalité, et c’est du haut de ce trône qu’elle
doit recevoir les adorations de toute créature. Au nom de Jésus Fils de l’homme
et Fils de Dieu, de Jésus assis à la droite du Père tout-puissant, « tout
genou doit fléchir au ciel, sur la terre et dans les enfers. »
Habitants de la terre, c’est là cette
nature humaine qui apparut autrefois dans l’humilité des langes, qui parcourut
la Judée et la Galilée n’ayant pas où reposer sa tête, qui fut enchaînée par
des mains sacrilèges, flagellée, couronnée d’épines, clouée à une croix ; mais tandis que les hommes qui l’avaient
méconnue la foulaient aux pieds comme un ver de terre, elle acceptait le calice
des douleurs avec une entière soumission et
s’unissait à la volonté du Père ; elle consentait, devenue victime, à
réparer la gloire divine en donnant tout son sang pour la rançon des pécheurs. Cette nature humaine, issue d’Adam par
Marie l’immaculée, est le chef d’œuvre de la puissance de Dieu. Jésus, « le
plus beau des enfants des hommes », » est l’objet de l’admiration
extatique des Anges ; sur lui se sont reposées les complaisances de la
suprême Trinité ; les dons de la grâce déposés en lui surpassent ce qui a
été accordé à tous les hommes et à tous les esprits célestes ensemble ;
mais Dieu l’avait destiné à la voie de l’épreuve, et Jésus qui aurait pu racheter l’homme à moins de frais, s’est plongé
volontairement dans une mer d’humiliations et de douleurs, afin de payer
avec surabondance la dette de ses frères. Quelle sera la récompense ? l’Apôtre nous
le dit dans ces fortes paroles : « Il s’est fait obéissant jusqu’à la
mort et à la mort de la croix ; à cause de cela Dieu l’a exalté, et lui a donné
un nom qui est au-dessus de tout nom. »
Le Christ règne ! Venez, adorons-Le ! |
O
vous donc qui compatissez ici-bas aux douleurs par lesquelles il nous a rachetés,
vous qui aimez à le suivie dans les stations de son pèlerinage jusqu’au
Calvaire, levez la tête aujourd’hui, et
regardez au plus haut des cieux. Le voici, « parce qu’il a souffert la
mort, le voici couronné de gloire et d’honneur. Plus il s’est anéanti sous la
forme d’esclave, lui qui dans son autre nature pouvait sans injustice se
dire égal à Dieu » ; plus le Père prend plaisir à l’élever en gloire
et en puissance. La couronne d’épines qu’il
a portée ici-bas est remplacée par le diadème d’honneur. La croix qu’il
laissa imposer sur son épaule est désormais le signe de sa principauté. Les
plaies que les clous et la lance ont imprimées sur son corps resplendissent
comme des soleils. Gloire soit donc rendue à la justice du Père envers Jésus
son Fils ! mais réjouissons-nous aussi de voir en ce jour « l’Homme des douleurs » devenu
le Roi de gloire, et répétons avec transport l’Hosannah que la cour céleste
fait retentir à son arrivée.
Toutefois n’allons pas croire que le Fils
de l’homme établi désormais sur le trône de la divinité reste inactif dans son
glorieux repos. C’est
une souveraineté, mais une souveraineté active que le Père lui a concédée. Il l’a
d’abord établi « juge des vivants et des morts, et nous devons tous comparaître
devant son tribunal. » A peine
notre âme aura-t-elle quitté son corps, qu’elle se trouvera transportée au pied
de ce tribunal sur lequel le Fils de l’homme s’est assis aujourd’hui, et elle
entendra sortir de sa bouche la sentence qu’elle aura méritée. O Sauveur
couronné en ce jour, soyez-nous miséricordieux à cette heure décisive pour
notre éternité.
Mais
la judicature exercée parle Seigneur Jésus ne se bornera pas à l’exercice
silencieux de ce souverain pouvoir ; les Anges nous l’ont dit aujourd’hui
: il doit se montrer de nouveau à la
terre, redescendre à travers les airs, ainsi qu’il est monté, et alors se
tiendront les solennelles assises où le genre humain comparaîtra tout entier.
Assis sur les nuées du ciel, entouré des milices angéliques, le Fils de l’homme
apparaîtra à la terre dans toute sa majesté. Les hommes verront « Celui
qu’ils ont percé », et les traces de ses blessures, qui ajouteront encore
à sa beauté, seront pour les uns un objet de terreur et pour les autres la
source d’ineffables consolations. Pasteur
encore sur son trône aérien, il séparera ses brebis des boucs, et sa voix
souveraine que la terre ne connaissait plus depuis tant de siècles, retentira
pour commander aux pécheurs impénitents de descendre aux enfers, et pour
inviter les justes à venir occuper, en corps et en âme, le séjour des délices
éternelles.
En
attendant ce dénouement final des destinées de la race humaine, Jésus reçoit aussi du Père, en ce jour, l’investiture
visible du pouvoir royal sur toutes les nations de la terre. Nous ayant
tous rachetés au prix de son sang, nous sommes à lui ; qu’il soit donc
désormais notre Seigneur. Il l’est en effet, et il s’intitule le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. Les
rois de la terre ne règnent légitimement que par lui, et non par la force, ou
en vertu d’un prétendu pacte social dont la sanction ne serait que d’ici-bas.
Les peuples ne s’appartiennent pas à eux-mêmes : ils sont à lui. Sa loi ne
se discute pas ; elle doit planer au-dessus de toutes les lois humaines
comme leur règle et leur maîtresse : « Les nations frémiront sous son
sceptre, nous dit le Roi-prophète ; les peuples, pour lui échapper,
méditeront de vains systèmes ; les princes de la terre se ligueront contre lui ;
ils diront : Brisons son joug, et jetons-le loin de nous. » Inutiles
efforts ! car, ainsi que nous ledit l’Apôtre, « il faut qu’il
règne, jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous les pieds », jusqu’à
ce qu’il apparaisse une seconde fois pour abattre la puissance de Satan et l’orgueil
des hommes.
Ainsi donc, le Fils de l’homme couronné
dans son Ascension doit régner sur le monde jusqu’à ce qu’il revienne. Mais, direz-vous, règne-t-il donc dans
un temps où les princes confessent tenir leur autorité du mandat de leurs
peuples, où les peuples séduits par ce prestige qu’ils nomment liberté ont
perdu jusqu’au sens même de l’autorité ? Oui, il règne, mais dans la justice, puisque les hommes ont
dédaigné d’être conduits par sa bonté. Ils ont effacé sa loi de leurs codes,
ils ont accordé droit de cité à l’erreur et au blasphème ; alors il les a
livrés à leur sens absurde et mensonger. Chez eux le pouvoir éphémère, que l’onction
sainte ne rend plus sacré, échappe à tout moment aux mains qui s’efforcent de
le retenir, et lorsque les peuples, après avoir roulé dans les abîmes de l’anarchie,
essayent de le constituer de nouveau, c’est pour le voir crouler encore, parce
que princes et peuples veulent se tenir en dehors du domaine du Fils de l’homme.
Et il en sera ainsi, jusqu’à ce que
princes et peuples, lassés de leur impuissance, le rappellent pour régner sur
eux, jusqu’à ce qu’ils aient repris la devise de nos pères : « Le
Christ est vainqueur ! le Christ règne ! le Christ
commande ! Daigne le Christ préserver son peuple de tout malheur ! »
En ce jour de votre couronnement, recevez donc les hommages de vos
fidèles, ô notre souverain Roi, notre Seigneur et notre juge ! Nous qui fûmes par nos péchés les
auteurs de vos humiliations et de vos souffrances dans le cours de votre vie
mortelle, nous nous unissons aux acclamations que firent entendre les Esprits
célestes au moment où le diadème royal fut placé sur votre divin Chef. Nous ne
faisons encore qu’entrevoir vos grandeurs ; mais l’Esprit-Saint que vous
nous avez promis achèvera de nous révéler tout ce que nous pouvons connaître
ici-bas sur votre souverain pouvoir, dont nous voulons être à jamais les
humbles et fidèles sujets.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire