Notre Dame des Anges, tableau de la chapelle des saints Anges peint à la demande du vénérable abbé Henri Marie Boudon, grand archidiacre d'Evreux |
Ce 2 août, solennité de la Dédicace de la Basilique patriarcale Notre-Dame des Anges, humble chapelle restaurée par saint François à Assise, l'Archiconfrérie du Saint Sacrement et des saints Anges ainsi que quelques amis parisiens et bretons, s'est rassemblée dans la chapelle Notre-Dame des Anges, dans la Cathédrale d'Evreux, où repose le vénérable Henri Marie Boudon, son fondateur, pour une Messe solennelle.
Cette magnifique Messe a été présidée, dans la forme extraordinaire, par Monsieur le Chanoine Frédéric Goupil, icrsp., et nous reproduisons sa magnifique homélie :
Statue de Marie - Mère de Dieu, chapelle du Saint-Sacrement, Cathédrale Notre-Dame d'Evreux |
Les
images représentant Notre-Dame des Anges la montrent ordinairement portant en
ses bras son divin Fils, notre Seigneur. Le tableau ainsi proposé peut nous
paraître quelque peu pieux, s’adaptant à notre dévotion, et nous risquerions de
manquer le caractère fondamental de cette représentation, qui est pourtant
universelle en Chrétienté.
De
même que le crucifix n’est pas le fruit d’une quelconque dévotion médiévale
mais la représentation de ce qui constitue le sommet de l’histoire du monde et
du salut, cette représentation de la Vierge à l’Enfant nous replonge à
l’origine des âges, à l’aube du monde, et du monde invisible, au deuxième
instant de la vie des esprits célestes.
Ceux-ci
venaient d’être créés : bons, naturellement heureux, beaux, intelligents à
un degré qu’il nous est impossible d’imaginer.
«
Tous les anges sont différents en espèce,
expliquait M. Boudon, et par conséquent
de différente beauté […]. Leurs
excellences sont sans imperfection » (BOUDON : Dévotion aux neuf chœurs des saints Anges ; 1er motif.).
Ne
parlons même pas de leur nombre : « Le
nombre de tous ces Anges est si excessif, que le saint homme Job déclare qu’il
est innombrable. Il y a des savants qui tiennent qu’il surpasse le nombre de
tous les astres du Ciel, de tous les oiseaux de l’air, de toutes les gouttes
d’eau, de tous les brins d’herbe, de tous les atomes, enfin de toutes les
créatures visibles. S. Grégoire de Nysse dit qu’il y en a une infinité de
millions. [Dieu seul], dit le grand
S. Denys, en sait le nombre » (in op.
cit., 3e motif).
A
cela, Dieu ajouta l’épreuve qui devait mériter aux anges l’accession à l’état
surnaturel, la félicité pour une éternité, le parfait repos que nous souhaitons
aux âmes qui quittent le monde.
Les Anges adorant le Verbe incarné, mosaïques de la chapelle basse de la Basilique de la Transfiguration, Mont Thabor |
Cette
épreuve demeure pour nous, humbles mortels, bien mystérieuse. Toutefois, toute
la Tradition de l’Église y voit Dieu montrant d’avance à Ses anges les mystères
de l’Incarnation à venir (Dieu fait homme) et de la Rédemption, à savoir Jésus
naissant humblement dans une crèche puis souffrant douloureusement Sa Passion
par amour des hommes.
Le
vénérable abbé Boudon dit par exemple que les anges « ont combattu dès le commencement du monde pour l’intérêt de Dieu, et
pour la querelle du Verbe incarné » (Dévotion
aux neuf chœurs des saints Anges ; conclusion).
Dieu
attendait de Ses anges un acte d’adoration et de soumission à Ses volontés,
dans un grand et obscur mystère.
La chute des Anges, Bruegel |
Mais
l’assemblage de dons incommensurables, la pluie de grâces que Dieu avait
déversé sur les célestes esprits tourna hélas la tête, si vous me permettez l’expression,
du premier de ces esprits, le plus intelligent, le plus beau, partant : le
plus aimé de Dieu : Lucifer, le Porte-Lumière, c’est-à-dire celui sur
lequel comptait Dieu pour faire resplendir Sa gloire.
Lucifer,
donc, refusa de s’agenouiller devant ce Dieu fait homme. Pourquoi ? Non
pas qu’il refusât à Dieu l’acte d’adoration qui Lui est due : il n’y a
rien de déshonorant pour un ange, une créature, d’adorer le Créateur. Dans le
cas présent, il fut demandé à Lucifer d’adorer un Dieu fait homme, un
Homme-Dieu. Et là, nous comprenons mieux l’incompréhension du premier des
anges.
Pour
pénétrer ce mystère, j’utiliserais une image, une parabole, à l’exemple de
Notre Seigneur. Si Dieu nous annonçait, à nous, hommes, qu’Il allait S’incarner
en fourmi, voire pire, en moucheron, araignée ou larve, et qu’Il nous demandait
de L’adorer d’avance en cet animal abject, cela nous donnerait un haut-le-cœur,
et sans doute nous insurgerions-nous face à une telle humiliation.
La Très Sainte Trinité aux Anges |
Comprenez
bien qu’il s’agit bien de cela pour Lucifer et les anges. De nature parfaite,
ils étaient appelés par Dieu à adorer d’avance Jésus dans une nature ô combien
inférieure à la leur, dans un état, non de splendeur royale, mais d’extrême
pauvreté et même tout couvert de plaies.
Face
à un tel mystère, qui scandalise la sagesse humaine et passe pour folie,
Lucifer s’indigna, s’insurgea et s’écria « Non serviam » : je ne servirai pas, entendons : le
Verbe incarné et Sa sainte Mère.
En
refusant d’adhérer à un plan qui le dépassait (c’est tout le contraire de
Notre-Dame), Lucifer refuse de s’abandonner à la volonté de Dieu, et par là
montre qu’il n’a en Lui aucune confiance, et donc aucune amitié.
Notre-Dame,
qui est l’exact contraire de Lucifer, se voit proposer, le jour de
l’Annonciation, un plan qui l’exalte, elle se trouble et par humilité fait une
objection, mais bien rapidement, l’obéissance prend le dessus et elle
accepte : « Fiat »,
« Je suis la servante du Seigneur,
qu’il me soit fait selon votre parole ». Marie est toute confiante en
Dieu car elle est Son amie par excellence, « Sa colombe, Sa toute-belle, Son amie, Son aimée », comme dit
le Cantique des Cantiques.
Lucifer,
refusant de servir, refusant ce grand saut dans le vide qui devait le conduire
au Paradis, se fait ainsi son propre dieu en voulant accomplir sa propre
volonté : il est trop beau et intelligent pour ce soumettre à pareil
scénario !
Le
prophète Isaïe décrit le péché et la chute de Lucifer : « Comment es-tu tombé du ciel, Lucifer, qui dès le matin te levais ?
Comment as-tu été renversé sur la terre, toi qui […] disais dans ton cœur : je monterai au ciel, au-dessus des astres de
Dieu j’élèverai mon trône ; je siègerai sur les montagnes de l’Alliance, aux
côtés de l’aquilon ! Je monterai sur la hauteur des nuées, je serai semblable
au Très-Haut ! » (XIV, 14-15).
Josse Lieferinxe, Crucifixion, détail, saint Michel expulsant Satan du Ciel |
Par
son refus de servir, d’accomplir sa mission, sa vocation, il se fait le propre
maître de son destin, refusant à Dieu Sa maîtrise de toute vie.
Par
son opposition, il se veut « semblable à Dieu » : sacrilège
suprême, au nom duquel d’ailleurs Caïphe condamnera Jésus à mort, Lui Qui était
pour le coup vraiment Dieu, mais un Dieu Qui S’humiliait, alors que la créature
angélique s’exalte. Or nous savons que « quiconque
s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé » (Lc XIV,
11).
«
Mais cependant tu seras traîné dans
l’enfer, au fond de l’abîme… », poursuit le prophète. Satan, refusant comme
je le disais le grand saut dans le vide, s’illusionne et s’éblouit lui-même
(lui le précurseur des prétendues Lumières), et chute alors irrémédiablement,
et d’autant plus bas qu’il était le plus élevé dans les hiérarchies angéliques.
Sceau de l'abbaye du Mont Saint-Michel |
Quant
à son second, saint Michel, horrifié non pas par ce que lui demande le Seigneur,
mais par l’ahurissante révolte de la première créature en dignité, se lève et
s’exclame de tout son être : « Qui
est comme-Dieu ! », provoquant la chute de son supérieur, tandis
que chacun des milliards d’anges choisit en un instant son camp, qui pour le
Paradis, qui pour l’enfer.
Alors
les saints Anges furent aussitôt récompensés de la gloire céleste et d’une
félicité inamissible, saint Michel recevant la place abandonnée par le
prévaricateur par excellence. Ces princes de l’armée victorieuse, nous dit
Boudon, « ce sont des esprits entièrement
désintéressés, qui n’ont jamais eu le moindre mouvement pour leur propre
intérêt, qui ont été toujours tout perdus dans le pur amour, dans l’amour de
Dieu seul, qui ont combattu dès le commencement du monde pour l’intérêt de Dieu
» (BOUDON : Dévotion aux neuf chœurs
des saints Anges ; conclusion). Pour l’intérêt de Dieu, c’est-à-dire pour
l’accomplissement de Sa volonté, même et surtout quand on ne la comprend pas.
« Adveniat regnum Tuum, fiat
voluntas Tua sicut in cœlo et in terra ». S’étant
opposé à l’avènement du règne de Dieu et à l’accomplissement de Sa volonté –
non pas seulement si Dieu le veut mais COMME Dieu le veut –, Lucifer est devenu
Satan, qui signifie « le diviseur, l’accusateur » des hommes.
Domenichino, le péché originel. Adam accuse Eve et Eve le serpent. |
Que
viennent faire, me demanderez-vous, les hommes dans cette histoire malheureuse
et grandiose en même temps ?
Eh
bien ces pauvres hommes, cette humble humanité est le motif-même de tout ce
céleste combat, puisque ce fut parce que Dieu voulut Se faire homme que Lucifer
se révolta. Reprenant le psaume 8e, il aurait pu répondre à son
Créateur : « Qu'est-ce que l'homme
pour que tu penses à lui, le fils d'un homme, que tu en prennes souci ? Tu l'as
voulu un peu moindre qu'un dieu, le couronnant de gloire et d'honneur »
(Psaume 8) ».
Lucifer
est jaloux de l’homme car, quitte à S’incarner, Dieu eût mieux fait de
S’« incarner », si je puis dire, en ange, de
« s’angéliser ». Lucifer
est d’autant plus jaloux qu’il est aujourd’hui malheureux, pour une éternité, à
cause de l’homme, à cause de cette épreuve originelle qui avait l’homme pour
motif. Lucifer
est encore davantage jaloux de la race humaine qu’il la voit aujourd’hui
remplir au Ciel des stalles, des trônes qui lui étaient réservés, à ses anges
et lui.
Contrairement
à leurs malheureux compagnons, les saints Anges, selon le fondateur de notre
archiconfrérie, « ne sont pas fâchés de
nous voir égaux en gloire, mais ils sont
ravis, et font ce qu’ils peuvent pour nous voir plus glorieux dans le Paradis
qu’ils ne le sont eux-mêmes. […] Quand ont-ils commencé à
nous aimer ? Au moment-même que nous avons commencé d’être ».
Je surenchérirai en disant : au moment-même où ils adorèrent le Christ
dans Sa nature humaine.
«
Tous, sans réserve, prennent soin de
nous, soit d’une manière, soit d’une autre : tous les neuf chœurs des anges
sont au service des hommes » affirme notre vénéré fondateur.
Vitrail de l'arbre de Jéssé. Marie, Mère de Dieu, tient dans ses bras l'Enfant Dieu. Cathédrale Notre-Dame d'Evreux, chapelle du Saint Sacrement. |
Dans
l’épreuve angélique, à l’origine du monde, l’image – ou plutôt le concept,
l’idée – d’un Dieu incarné et rédempteur comportaient nécessairement la
présence, déjà, de la Co-Rédemptrice, et que ce soit l’Enfant-Jésus ou le
Christ mort, dans les deux cas, c’est la plus pure et la plus parfaite créature
humaine qui le portait, qui le soutenait : la Vierge Mère portant en ses
bras son bébé (le divin Poupon), et la Mère de Douleurs portant en ses bras le
Christ pâle et sans vie après Sa déposition de la Croix.
Parlant
de la Très Sainte Vierge Marie, le vénérable abbé Boudon enseigne que les
saints Anges « ont fortement combattu
pour sa gloire dès la création du monde, s’opposant à Lucifer et aux anges
apostats qui n’ont pas voulu se soumettre à son empire, Dieu leur ayant révélé
qu’elle devait être quelque jour leur souveraine ».
N’y
voyez pas de blasphème, mais l’auguste Mère de Dieu, par sa fidélité au dessein
de Dieu, s’est révélée une vraie Porte-Lumière. Tandis que Lucifer, dont le nom
indiquait bien les espoirs mis en lui par le Seigneur en le créant, Lucifer,
lui, trahit sa mission et par là-même perdit son nom.
détail, vitrail de l'Annonciation, Cathédrale Notre-Dame de Paris |
De
même que devant un crucifix, nous sommes mystiquement présents au pied de la
Croix (et nous le sommes réellement à chaque sacrifice de la Messe),
imaginons-nous au milieu des anges et agenouillons-nous alors révérencieusement
devant notre auguste Reine et Maîtresse pour lui offrir les hommages du culte
d’hyperdulie qui lui est spécial, et adorons « de tout notre cœur, de toute notre force et de toute notre âme »
(Lc X, 27) l’Enfant-Dieu qu’elle porte en Ses mains et propose ainsi à nos
lèvres, comme elle Le présenta le premier jour de l’histoire du monde à saint
Michel et à ses anges, puis il y a deux mille ans aux Rois mages venus
d’Orient, puis à l’ensemble des hommes, ses enfants, comme elle le fait depuis
en chacune de ses si populaires représentations de Vierge à l’Enfant. Ainsi
soit-il.
détail du dallage de la chapelle royale de Versailles |
Magnifique Messe... Magnifique homélie... De la part du chanoine Goupil cela ne m'étonne pas vraiment...
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