Dom Guéranger, sur les Rogations
Une autre fin des Rogations est d'attirer
la bénédiction de Dieu sur les moissons et les fruits de la terre ; c'est la
demande du pain quotidien qu'il
s'agit de présenter solennellement à la majesté divine. «Tous les êtres, dit le Psalmiste,
élèvent avec espoir leurs yeux vers vous, Seigneur, et vous leur donnez leur
nourriture en la saison convenable ; vous ouvrez la main, et vous répandez
votre bénédiction sur tout ce qui respire.» Appuyée sur ces touchantes paroles,
la sainte Eglise supplie le Seigneur de
donner, cette année encore, aux habitants de la terre la nourriture dont ils
ont besoin. Elle confesse qu'ils en sont indignes par leurs offenses;
reconnaissons avec elle les droits de la divine justice sur nous, et
conjurons-la de se laisser vaincre par la miséricorde. Les fléaux qui
pourraient arrêter tout court les espérances orgueilleuses de l'homme sont dans
la main de Dieu; il ne lui en coûterait pas un effort pour anéantir tant
de belles spéculations: un dérangement
dans l'atmosphère suffirait pour mettre les peuples aux abois. La science
économique a beau faire: bon gré, mal gré, il lui faut compter avec Dieu. Elle
parle de lui rarement; il semble consentir à se voir oublié; mais «il ne
dort pas, celui qui garde Israël.» Qu'il retienne sa main bienfaisante, et nos
travaux agricoles, dont nous sommes si fiers, nos cultures, à l'aide desquelles
nous nous vantons d'avoir rendu la famine impossible, sont aussitôt frappés de
stérilité. Une maladie dont la source
demeurera inconnue fondra tout à coup, nous l'avons vu, sur les produits de la
terre; et ce serait assez pour affamer les peuples, assez pour amener les plus
terribles perturbations dans un ordre social qui s'est affranchi de la loi
chrétienne, et n'a plus d'autre raison de tenir debout que la compassion divine.
Et
cependant, si le Seigneur daigne cette année encore octroyer fécondité et
protection aux moissons que nos mains ont semées, il sera vrai de dire qu'il
aura donné la nourriture à ceux qui l'oublient, à ceux qui le blasphèment,
comme à ceux qui pensent à lui et l'honorent. Les aveugles et les
pervers, abusant de cette longanimité, en profiteront pour proclamer toujours
plus haut l'inviolabilité des lois de la nature; Dieu se taira encore, et il les
nourrira. Pourquoi donc n'éclate-t-il
pas? pourquoi contient-il son indignation? C'est que son Eglise a
prié, c'est qu'il a reconnu sur la terre les dix justes, c'est-à-dire le
contingent si faible dont il se contente dans son adorable bonté. Il laissera
donc parler et écrire ces savants économistes qu'il lui serait si aisé de
confondre. Grâce à cette patience, il adviendra que plusieurs se lasseront de
courir ainsi les voies de l'absurde; une circonstance inattendue leur
dessillera les yeux, et un jour ils croiront et prieront avec nous. D'autres
s'enfonceront toujours plus avant dans leurs ténèbres; ils défieront la justice
divine jusqu'à la fin, et mériteront que s'accomplisse sur eux ce terrible oracle:
«Le Seigneur a fait toutes choses pour lui-même, et l'impie pour le jour
mauvais.»
Pour nous qui nous faisons gloire de la
simplicité de notre foi, qui attendons tout de Dieu et rien de nous-mêmes, qui
nous reconnaissons pécheurs et indignes de ses dons, nous implorerons, durant
ces trois jours, le pain de sa pitié,
et nous dirons avec la sainte Eglise: «Daignez donner et conserver les fruits
de la terre: Seigneur, nous vous en supplions, exaucez-nous!» Qu'il daigne exaucer cette fois encore le
cri de notre détresse! Dans un an nous reviendrons lui adresser la même
demande. Marchant sous l'étendard de la croix, nous parcourrons encore les
mêmes sentiers, faisant retentir les
airs des mêmes Litanies, et notre confiance se fortifiera de plus en plus, à la
pensée que, par toute la chrétienté, la sainte Eglise conduit ses enfants dans
cette marche aussi solennelle qu'elle est suppliante. Depuis quatorze
siècles, le Seigneur est accoutumé à recevoir les vœux de ses fidèles à cette
époque de l'année; nous ne voudrons plus désormais atténuer les hommages qui
lui sont dus, et nous ferons nos efforts
pour suppléer, par l'ardeur de nos prières, à l'indifférence et à la mollesse
qui s'unissent trop souvent, pour faire disparaître de nos mœurs tant de
signes de catholicité qui furent chers à nos pères.
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