Un saint Évêque, vitrail de la Cathédrale d'Evreux |
« Vie nouvelle de Henri-Marie Boudon »,
par S.Exc.R. Mgr Matthieu, Archevêque de Besançon
Cependant, approchait
le temps où les vœux de Boudon pour la répression des abus dont il déplorait l’excès
semblaient devoir s’accomplir.
Henri de Maupas, évêque du Puy et premier
aumônier de la reine Anne d’Autriche, fut désigné pour remplacer sur le siège d’Evreux
Monseigneur Gilles Boutault,
mort le 11 mars 1661. La nomination de ce prélat devait réjouir toutes les âmes
pieuses. Il était considéré comme un des
évêques les plus recommandables de l’Eglise de France. Entré fort jeune
dans le sacerdoce, il avait sacrifié les avantages que lui promettait le titre
d’aîné de sa famille pour suivre l’attrait qui l’appelait à Dieu et il s’était
donné à son service avec un dévouement sans réserve. Les maximes et les
conseils de St Vincent de Paul avaient nourri dans son âme ce sentiment sublime
et l’Ecole de St Lazare, pouvait le compter au nombre des hommes apostoliques
dont elle avait formé de si parfaits modèles. Il avait un jugement vif et pénétrant, un zèle fort et courageux, une
foi ferme et inflexible.
Tout ce qui offensait
le respect dû à Dieu l’affectait vivement, il
ne pouvait entendre blasphémer son Nom sacré sans descendre de voiture pour
reprendre les coupables et souvent avec une force telle qu’il avait le bonheur
de les toucher et de les convertir.
Attaché inviolablement à l’autorité de l’Eglise,
toutes les nouveautés lui étaient suspectes, il les combattait avec ardeur et
mettait tous ses soins à en préserver ses ouailles ; il veillait à leur
instruction avec une attention infatigable ; souvent on le voyait prendre
plaisir à catéchiser lui-même de jeunes enfants ou de pauvres villageois.
Mgr de Maupas |
Doué d’une grande
facilité pour la chaire (de prédication),
il possédait cette éloquence douce et persuasive qui vient autant de la
conviction du cœur que des talents naturels de l’esprit. Il avait eu le bonheur
de connaître St François de Sales, c’est à lui qu’on doit des détails précieux
sur sa vie et l’on sait avec quelle ardeur il travailla à sa canonisation. Admirateur passionné de cet aimable saint,
il semblait s’être revêtu de son esprit de douceur et d’onction ; comme
lui, il aimait surtout à se faire entendre dans les maisons religieuses et son
cœur paraissait plus à l’aise dans ces humbles retraites où Dieu est adoré sans
ostentation et sans éclat que parmi tout ce que les grandeurs du monde
pouvaient lui offrir de plus illustre et de plus recommandable.
A ces belles
qualités M. de Maupas en joignait d’autres qui, pour être indispensables aux
véritables chrétiens, demandent pourtant de certaines mesures dans l’esprit de
ceux que la Providence appelle au gouvernement ou à la surveillance des peuples.
C’étaient une candeur et une simplicité
admirables une défiance aussi humble qu’absolue de ses propres lumières et par
suite une grande facilité à soumettre son jugement et sa conduite à ceux qu’il
jugeait en état de le diriger. Un Carme déchaussé de Rouen nommé le P.
Cyprien eut longtemps toute sa confiance. Outre la prédilection qu’il avait
pour les religieux de son ordre, il lui portait une sorte de déférence filiale
et, pour me servir des expressions de M. Bosguérard, il suivait ses avis avec
la simplicité d’un enfant, heureux s’ils avaient toujours prévalus dans son
esprit sur les conseils violents et injustes qu’on s’efforça de lui donner par
la suite.
Chanoine portant l'aumusse, comme le vénérable abbé Boudon |
La piété et les talents de Boudon étaient
assez connus pour que M. de Maupas pût juger d’avance tout ce qu’il devait
attendre de sa coopération dans l’accomplissement des devoirs de son épiscopat. Il était à peine arrivé à Condé, avant d’avoir
pris possession de son évêché, qu’il lui
écrivit pour l’engager à se rendre auprès de lui afin de l’instruire de l’état
du diocèse et des mesures à prendre pour le bien de la religion et l’avancement
de âmes.
Boudon lui rendit compte
avec la plus scrupuleuse exactitude de tout ce qui pouvait contrister son zèle
ou lui donner quelque consolation. En lui peignant les désordres sur lesquels
il gémissait depuis près de dix ans il s’ouvrit à lui avec une pieuse liberté
sur les moyens les plus propres à les réparer. Il parla de l’établissement d’un séminaire mais surtout il insista
sur la nécessité de remettre les anciens
statuts en vigueur en y ajoutant d’autres règles que le besoin des temps
exigeait. Convaincu de la sagesse et du zèle de son grand archidiacre, M.
de Maupas le chargea de rédiger lui-même ces nouveaux statuts. Il s’y appliqua
avec toute l’attention que réclamait l’important travail qui lui était imposé
et, comme l’on doit croire que l’Esprit de Dieu ne refuse pas ses lumières à
ceux qui l’invoquent dans l’humble sentiment de leur insuffisance, on peut
assurer aussi qu’il daigna inspirer lui-même à Boudon ces sages ordonnances
dignes de la ferveur des siècles primitifs.
Le 29 mai 1664, M. de Maupas convoqua en
synode tous les ecclésiastiques de son diocèse afin de leur communiquer les
nouveaux statuts. On
reconnaît le style de Boudon dans le mandement de convocation dont nous avons
sous les yeux un exemplaire. Une image
de la sainte Vierge y remplace les armes du prélat qui n’était installé que
depuis fort peu de temps.
Cathédrale Notre-Dame d'Evreux |
Ce ne fut plus seulement alors par les
prières et les ferventes exhortations de l’archidiacre mais en vertu de l’autorité
épiscopale et par la bouche de leur premier pasteur que les prêtres réunis
furent rappelés à la vie sainte qu’exige leur état. On leur enjoignait d’en retracer la
pureté dans tout leur extérieur de ne
quitter jamais les saintes livrées de l’Eglise, de montrer dans leur maintien
aussi bien que dans leurs paroles et leurs actions cette sage réserve qui commande
le respect.
Les occupations bruyantes et indignes de leur état, les amusements profanes leur furent expressément défendus et cette
défense fut plus sévère encore relativement à tout ce qui pouvait faire
suspecter la régularité des mœurs. A
ces préceptes propres à l’édification publique les statuts en joignaient d’autres
qui regardaient la perfection intérieure, la
méditation et les pieuses lectures étaient prescrites aux prêtres comme
indispensables au maintien de la ferveur qui devait les animer. On retraçait
surtout aux curés les devoirs nombreux
de leurs charges, l’obligation de résider et de consacrer tout leur temps aux
besoins de leurs ouailles. On leur rappelait avec force la nécessité d’annoncer souvent la parole de Dieu, de
faire assidûment les catéchismes, d’administrer les sacrements d’une
manière convenable, de visiter les
malades avec empressement et charité, de prévenir les pécheurs avec douceur et avec zèle, on n’oubliait pas surtout le soin des églises, la décence et la majesté du culte et l’obligation
où sont les bénéficiera d’employer tous leurs soins à ce que rien ne soit
négligé dans cet objet important du service divin. Enfin aucun des devoirs
nombreux auxquels oblige le sacerdoce, aucune des vertus dont doivent être
ornés ceux qui en sont revêtus ne sont oubliés dans ces sages ordonnances.
M. de Maupas, après les plus pressantes
exhortations pour les engager à y être fidèles, déclare aux prêtres qui seront
rebelles à sa voix qu’il a les mains pures de leur sang et qu’il est innocent
de la perte de leur âme.
Afin d’assurer davantage l’exécution de ces statuts et les fruits qu’il en
espérait, il institua, suivant le conseil de Boudon, des conférences ecclésiastiques où les prêtres réunis de temps en temps,
soit à Evreux soit dans les paroisses les plus voisines de leur résidence, devaient
mettre en commun leurs lumières se soumettre leurs doutes et s’exciter
mutuellement à l’accomplissement de leurs devoirs.
Plus l’évêque d’Evreux
sentait le besoin d’être secondé dans la réforme toujours si difficile qu’il
venait d’entreprendre, plus il
appréciait Boudon et plus il semblait reconnaissant envers Dieu pour lui avoir
accordé un coopérateur si fidèle et si sûr. Bientôt sa confiance et son estime
semblèrent ne pouvoir ni s’augmenter ni souffrir jamais d’altération. Il le regardait comme l’ange tutélaire
chargé de lui annoncer les volontés divines, il ne voulait rien
entreprendre ni rien conclure sans avoir pris ses conseils et la déférence qu’il
lui témoignait était telle que l’humble archidiacre en souffrait souvent beaucoup.
Vue du cloître de la Cathédrale |
A ces sentiments d’estime qu’inspiraient à
M. de Maupas les vertus de Boudon se joignait l’affection la plus vive, il voulait qu’il fût continuellement
auprès de lui et qu’il n’eût point d’autre table que la sienne. Aimant dans sa
manière de parler de Dieu ce sentiment d’un cœur qui s’entretient de ce qu’il
croit, de ce qu’il aime uniquement, il renouvelait autant que possible cette
jouissance toutes les fois qu’il était à Evreux, et il ne voulait point que la
journée finît sans l’avoir entendu faire une pieuse exhortation à ses
domestiques et à tous ceux qui étaient auprès de lui. L’âme affectueuse de Boudon dut être sensible à tant de marques de
bienveillance parce qu’il y avait entre M. de Maupas et lui cette union de
pensées, cet accord de sentiments qui rend ordinairement les liaisons d’autant
plus solides qu’elles sont fondées sur des vertus plus parfaites.
Notre-Dame des Anges, tableau de la chapelle mortuaire du vénérable abbé Henri Marie Boudon, là où il confessa et célébra la Messe durant tant d'années. |
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