Méditation du Pape Benoît XVI
Dans le passage évangélique (Jn
2) Marie
adresse à son Fils une demande en faveur de ses amis qui se trouvent en
difficulté.
A première vue, cela peut apparaître une conversation tout à fait
humaine entre Mère et Fils; et, en effet, c'est également un dialogue rempli de
profonde humanité. Toutefois, Marie ne s'adresse pas simplement à Jésus comme à
un homme, en comptant sur son initiative et sa disponibilité à porter secours.
Elle confie une nécessité humaine à son pouvoir - à un pouvoir qui va au-delà
de l'habileté et de la capacité humaine.
Les noces de Cana, fresque de Saint-Sauveur de Tsalendjikha, Georgie |
Et ainsi, dans le
dialogue avec Jésus, nous la voyons réellement comme une Mère qui demande, qui
intercède.
Cela vaut la peine d'approfondir un peu plus la compréhension de ce
passage évangélique: pour mieux comprendre Jésus et Marie, mais précisément
aussi pour apprendre de Marie à prier de manière juste.
Marie n'adresse pas une véritable demande à Jésus. Elle dit
simplement: "Ils n'ont pas de vin" (Jn
2, 3).
En Terre Sainte, les noces étaient fêtées pendant une semaine
entière; tout le village y participait, et l'on consommait donc de grandes
quantités de vin. Or, les époux se trouvent en difficulté, et Marie le dit
simplement à Jésus. Elle ne demande pas une chose précise, et encore moins que
Jésus exerce son pouvoir, accomplisse un miracle, produise du vin. Elle confie simplement le fait à Jésus et Lui
laisse la décision sur la façon de réagir.
Nous constatons ainsi deux choses dans les simples paroles de la
Mère de Jésus: d'une part, sa sollicitude affectueuse pour les hommes,
l'attention maternelle avec laquelle elle perçoit la situation difficile
d'autrui; nous
voyons sa bonté cordiale et sa disponibilité à aider.
C'est à Elle que nous confions nos préoccupations, les
nécessités et les situations difficiles. Cette bonté prête à aider de la Mère,
à laquelle nous nous confions, c'est ici, dans l'Ecriture Sainte, que nous la
voyons pour la première fois.
Mais à ce premier
aspect très familier à tous s'en ajoute un autre, qui nous échappe facilement:
Marie remet tout au jugement du Seigneur.
A Nazareth, elle a remis sa volonté, la plongeant dans celle de
Dieu: "Je suis la servante du Seigneur; qu'il m'advienne selon ta
parole!" (Lc 1,
38).
La Vigne mystique et véritable |
Telle est son attitude permanente de fond. Ainsi,
elle nous enseigne à prier: ne pas vouloir affirmer face à Dieu notre volonté
et nos désirs, aussi importants et raisonnables qu'ils puissent nous sembler;
mais les présenter devant Lui et le laisser décider de ce qu'il veut faire.
De Marie, nous apprenons
la bonté prête à aider, mais également l'humilité et la générosité d'accepter
la volonté de Dieu, en ayant confiance en Lui, certains que sa réponse, quelle
qu'elle soit, sera notre bien, mon bien véritable.
Je crois que nous pouvons très bien comprendre l'attitude et les
paroles de Marie; il nous est cependant d'autant plus difficile
de comprendre la réponse de Jésus.
Déjà, l'appellation ne
nous plaît pas: "Femme" - pourquoi ne dit-il pas: Mère?
En réalité, ce titre exprime la position de Marie dans l'histoire du
salut. Il renvoie à l'avenir, à l'heure de la crucifixion, où Jésus lui dira:
"Femme, voici ton fils - Fils, voici ta mère" (cf. Jn 19, 26-27).
Il indique donc à
l'avance l'heure où Il fera devenir la femme, sa mère, mère de tous ses
disciples.
D'autre part, ce titre évoque le récit de la création d'Eve: Adam,
au milieu de la création et de toute sa richesse, se sent seul, comme être
humain. Eve est alors créée, et en elle, il trouve la compagne qu'il attendait
et qu'il appelle du nom de "femme". Ainsi, dans l'Evangile de Jean,
Marie représente la femme nouvelle, définitive, la compagne du Rédempteur,
notre Mère: l'appellation apparemment peu affectueuse exprime en revanche la
grandeur de sa mission éternelle.
Mais ce que Jésus dit ensuite à Marie, à Cana, nous plaît encore
moins: "Que me veux-tu, femme? Mon heure n'est pas encore arrivée" (Jn 2, 4).
Nous serions tentés de répondre: Tu as beaucoup à voir avec elle!
C'est elle qui t'a donné ta chair et ton sang, ton corps. Et pas seulement ton
corps: avec son "oui", provenant du plus profond de son coeur, elle
t'a porté dans son sein et, avec amour maternel, elle t'a donné le jour et
introduit dans la communauté du peuple d'Israël. Mais si nous parlons ainsi
avec Jésus, nous sommes déjà sur la bonne voie pour comprendre sa réponse. Car
tout cela doit rappeler à notre esprit que lors de l'incarnation de Jésus, deux
dialogues vont de pair et se fondent l'un avec l'autre, devenant une seule
chose. Il y a tout d'abord le dialogue que Marie entretient avec l'Archange
Gabriel, et dans lequel elle dit: "Qu'il m'advienne selon ta parole!" (Lc 1, 38).
Mais il existe un texte parallèle à celui-ci, un dialogue, pour
ainsi dire, à l'intérieur de Dieu, qui nous est rapporté par la Lettre aux
Hébreux, quand il est dit que les paroles du Psaume 40 sont devenues comme un
dialogue entre le Père et le Fils - un dialogue dans lequel commence
l'incarnation. Le Fils éternel dit au Père: "Tu
n'as voulu ni sacrifice ni oblation; mais tu m'as façonné un corps... Voici je
viens... pour faire [...] ta volonté" (He 10, 5-7; cf. Ps 40, 6-8).
Le "oui" du
Fils: "Je viens pour faire ta volonté", et le "oui" de
Marie: "Qu'il m'advienne selon ta parole" - ce double "oui"
devient un unique "oui", et ainsi, le Verbe devient chair en Marie.
Dans ce double "oui", l'obéissance du Fils prend corps; Marie, avec
son "oui" lui donne un corps. "Que me veux-tu,
femme?".
Ce qu'au plus profond ils ont à voir l'un avec l'autre, c'est ce
double "oui", dans la concomitance duquel a eu lieu l'incarnation.
C'est ce point de leur très profonde unité que le Seigneur vise à travers sa
réponse. C'est précisément là que renvoie la Mère. Là, dans ce "oui"
commun à la volonté du Père, se trouve la solution.
Nous devons nous aussi
apprendre toujours à nouveau à nous acheminer vers ce point; là apparaît la
réponse à nos interrogations.
A partir de là, nous comprenons à présent également la deuxième
phrase de la réponse de Jésus: "Mon
heure n'est pas encore venue".
Jésus n'agit jamais seulement de lui-même; jamais pour plaire aux
autres. Il agit toujours en partant du Père, et c'est précisément cela qui
l'unit à Marie, car c'est là, dans cette unité de volonté avec le Père, qu'elle
a voulu elle aussi déposer sa demande.
C'est pourquoi, après la réponse de Jésus, qui semble repousser la
demande, elle peut dire de manière surprenante aux serviteurs avec simplicité:
"Tout ce qu'il vous dira, faites-le" (Jn 2, 5).
Jésus n'accomplit pas un prodige, il ne joue pas de son pouvoir dans
un événement qui est au fond entièrement privé. Non, il accomplit un signe,
avec lequel il annonce son heure, l'heure des noces, l'heure de l'union entre
Dieu et l'homme. Il ne "produit" pas simplement du vin, mais il
transforme les noces humaines en une image des noces divines, auxquelles le
Père invite à travers le Fils et dans lesquelles Il donne la plénitude du bien,
représentée dans l'abondance du vin.
Les noces deviennent
l'image de ce moment, où Jésus pousse l'amour jusqu'à l'extrême, laisse
déchirer son corps et se donne ainsi à nous pour toujours, devient une seule
chose avec nous - noces entre Dieu et l'homme.
L'heure de la Croix, l'heure à laquelle naît le Sacrement dans
lequel il se donne réellement à nous en chair et en sang, où il place son Corps
entre nos mains et dans notre cœur, telle est l'heure des noces. Ainsi, de
manière véritablement divine, est également résolue la nécessité du moment et
la demande initiale est largement dépassée. L'heure de Jésus n'est pas encore
arrivée, mais dans le signe de la transformation de l'eau en vin, dans le signe
du don de fête, il anticipe déjà son heure au moment présent.
Son "heure" est la Croix; son heure définitive sera son
retour à la fin des temps. Il anticipe également sans cesse précisément cette
heure définitive dans l'Eucharistie, dans laquelle il vient toujours déjà à
présent. Et il le fait toujours à nouveau par l'intercession de sa Mère, par
l'intercession de l'Eglise, qui l'invoque dans les prières eucharistiques:
"Viens, Seigneur Jésus!". Dans le Canon, l'Eglise implore toujours à
nouveau cette anticipation de l'"heure", elle demande qu'il vienne
déjà à présent et qu'il se donne à nous.
Ainsi, nous voulons nous laisser guider par Marie, par la Mère
de tous les fidèles, vers l'"heure" de Jésus.
Nous Lui demandons le
don de le reconnaître et de le comprendre toujours davantage. Et faisons en
sorte que le moment où l'on reçoit ne soit pas seulement limité à celui de la
Communion. Il reste présent dans l'Hostie sainte et nous attend sans cesse.
Sainte Mère de Dieu,
prie pour nous, comme à Cana, tu as prié pour les époux! Guide-nous vers Jésus
- toujours à nouveau! Amen!
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