Du vénérable abbé Henri Marie Boudon, « Les saintes voies de la Croix »,
chap. 2, Que chacun doit porter sa croix et de
quelle manière il faut la porter
Après avoir parlé de tant de croix
différentes, que nous reste-t-il, sinon de prendre la nôtre, celle qu’il plaît
à la divine Providence de nous donner ? Mais que notre Maitre s’explique clairement sur ce
sujet, lorsqu’il dit : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il
porte sa croix ! (Matth. XVI, 24) Car il ne dit pas qu’il
porte la croix, mais sa croix. C’est
donc une vérité certaine, qu’il faut que
chacun porte la sienne. Ô mon âme, vois-tu ce divin Roi des prédestinés, à
la tête de tous ses élus, chargé de la plus lourde croix qui fut jamais, et qui
renferme toutes les croix des saints ? Si tu prends bien garde à toute sa
suite, tu ne verras aucun de ceux qui sont à lui, depuis le commencement du
monde jusqu’à la fin des siècles, qui ne porte la sienne. Résolument, il faut
donc aussi porter la nôtre : et
comment faire autrement ? Serions-nous assez perdus d’esprit pour penser
qu’il y aurait une exception pour nous seuls, de la vie générale de tous les
prédestinés ? Non, non, il n’y a point à hésiter sur ce qui est
sûr de la dernière certitude. Chacun doit porter sa croix.
La via Crucis |
~ La
première, de ne se les pas procurer par
ses fautes ou par son imagination, se formant des états de peines, parce qu’on
les a lus ou entendus, ou parce qu’on y a trop rêvé. Quand les fautes sont
faites, ayez-en regret, mais ne vous
inquiétez pas ; et, pour l’imagination, tâchez doucement d’y apporter
du remède, la divertissant de son application, et agissant selon les avis que
les personnes expérimentées vous donneront. Après cela, donnez-vous du repos, et sachez une bonne fois que les effets qui
viennent de vos péchés ou de votre imagination, et qui ne sont plus volontaires
en vous, sont des croix que Dieu veut que vous portiez. Ne vous abattez
donc pas sous vos peines, parce que vous vous les êtes procurées : courage, consolez-vous. Dieu, qui n’a
pas voulu la cause, en veut l’effet. Nous l’avons déjà dit, et peut-être le répéterons-nous
encore : les peines du purgatoire ont-elles une autre cause que le
péché ? Faites comme ces bonnes âmes qui y souffrent. Endurez avec paix avec douceur, et tranquillité d’âme.
La
seconde chose que l’on doit éviter, est de ne
pas s’amuser à désirer d’autres croix que celles que nous avons. Vous
verrez de certaines personnes qui ne font que penser à ce qu’elles n’ont pas,
et ne pense jamais bien à ce qu’elles ont. Elles
s’occupent des peines des autres, elles s’imaginent qu’elles leur seraient plus
propres ; et elles ne veulent pas, à ce qu’elles disent, ne pas porter la
croix : hélas ! non, mais elles voudraient bien d’autres croix
que celles dont elles sont chargées. Pour ce sujet, elles se figurent qu’elles
en feraient un tout autre usage, et qu’elles ne s’y laisseraient pas aller dans
les fautes où elles tombent. Tout cela n’est qu’amour-propre et présomption.
Pensons-nous être plus sages que la Sagesse éternelle, et savoir mieux les
croix qui nous sont propres que Dieu même ? Ô quelle folie, quelle imprudence ! Croyez-moi, nous n’y
entendons rien. Si on nous laissait faire, nous ferions des croix qui nous
seraient ou trop longues ou trop courtes, ou trop pesantes ou trop légères. Il n’appartient qu’à Jésus seul de nous les
tailler toutes justes. Tenez pour certain que celle que vous avez, quoi qu’en
disent vos sens et votre esprit, est celle qui vous est juste. Demeurez-en
là ; songez à en faire un bon usage. Le
démon vous donne le change, de peur qu’elle ne vous soit utile, il vous fait
penser à d’autres dont il ne s’agit pas, et vous fait oublier celle que vous
avez. Après tout, ne perdez-vous pas le temps ? Et de quoi cela vous
sert-il ?
Icône de Sainte Hélène, crypte de la paroisse S.Leu-S.Gilles, église capitulaire de l'Ordre Equestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem (Paris), qui abrite des reliques de la sainte impératrice. |
La
troisième chose que l’on doit fuir, est
une subtilité de l’amour-propre qui suggère qu’il est bien juste de porter sa
croix ; mais qu’il serait à désirer qu’on l’eût à porter d’une autre
manière. On veut bien le mal que l’on a, mais on serait bien aise de l’avoir
d’une autre façon. Tout cela n’est qu’une pure tromperie. Il faut porter sa croix, et la porter en la manière que Dieu la donne.
C’est la volonté de Dieu qu’il y faut envisager, et non pas précisément la
croix, puisque c’est sa divine volonté que nous y devons faire, et non la
nôtre. Souvenez-vous que la croix de
Notre Seigneur, je veux dire celle que l’on porte chrétiennement, ne consiste
pas précisément à beaucoup jeûner, à veiller et à souffrir, puisque les diables
ne mangent et ne dorment jamais, et qu’ils souffrent des peines indicibles.
Elle ne consiste pas précisément à se priver de son bien pour le donner aux
pauvres, et vivre en pauvreté, puisque le grand Apôtre assure que cela peut se
faire inutilement et sans le véritable amour de Dieu. (I Cor.
XIII, 3) Elle ne consiste pas dans la
solitude ; car combien de bergers méchants, qui y passent leur vie !
Elle est donc dans la souffrance portée par l’esprit de Jésus-Christ, parce qu’il
le veut de la sorte. Or cela ne se peut pas faire, si on ne souffre en la
manière qu’il ordonne.
Ensuite,
ménagez bien toutes vos croix. Oh ! Qu’il est bon en cette matière d’être
un grand ménager ! ~ Ne perdez donc pas la moindre occasion de souffrir,
ne laissez pas écouler le moindre de ces moments heureux ; devenez
saintement avare en cette rencontre. Voyez-vous cet homme attaché au
bien ? C’est lui arracher le cœur que de lui faire perdre une pistole. Ô
quelle joie pour lui, si on lui présentait un trésor, où on lui donnât la
liberté de puiser un jour entier, et de prendre à pleines mains de l’or et de l’argent !
Je vous assure qu’il n’en perdrait pas un moment ; serait bien habile, qui
le divertirait à d’autres choses. Mais savez-vous
que le trésor des souffrances renferme des richesses immenses pour la
gloire ? Si vous aviez un morceau de la vraie croix, et qu’il vous en
échappât quelques parcelles qui tombassent à terre, aussitôt vous vous
jetteriez à genoux pour les recueillir ; vous regarderiez partout, de peur
d’en perdre la moindre partie ; vous appelleriez vos enfants pour vous
aider à les chercher. Hélas ! les croix que vous portez sont encore l’accomplissement
de la croix de notre bon Sauveur. Prenez-y bien garde, n’en laissez rien
échapper.
Saint Macaire de Jérusalem et Sainte Hélène adorant la sainte Croix enfin retrouvée. |
Pour
tout cela, encore une fois, regardez
bien la divine volonté dans vos croix. Voyez-y Dieu : ne regardez pas
la tentation comme suggérée par le malin esprit, mais venant de la part de Dieu
pour votre propre bien ; faites de même en tout ce qui vous arrive de la
part des hommes ou des causes naturelles, soit pour les maladies, pertes, ou
autres accidents. Ne faites pas comme
les chiens qui courent après la pierre qu’on leur jette, sans regarder ceux
dont elle vient : cet exemple est familier et ordinaire, mais il est
utile ; faites-en l’application. Ô mon Dieu, verrons-nous toujours les
causes secondes, sans envisager la première ?
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